Une croissance soutenue mais souvent en trompe l’œil car dopée par le boom des matières premières…
La 1ère décennie du XXIe siècle (2000-2009) aura été pour l’Afrique la décennie des taux de croissance spectaculaires (Croissance du PIB en volume supérieure à 6% et supérieure de 2 points à la croissance du PIB mondial). En 2009 la croissance du PIB n’a été que de 3% mais le monde était alors en récession (- 0,7%). Depuis la croissance de l’Afrique a marqué le pas (+5,3% en 2013) elle reste systématique au dessus de la croissance mondiale (+3,5%). Cette forte croissance s’explique par les 20 ans d’ajustements structurels libéraux qui ont permis l’essor d’un secteur privé dynamique et attractif et un désendettement des États. Mais la forte croissance de l’Afrique s’explique surtout par le boom des matières premières, et des hydrocarbures au premier chef. C’est la hausse du prix du baril de pétrole qui explique la croissance de 20% du PIB de l’Angola par exemple. Les exportations de matières premières représentent encore les deux tiers des exportations de l’Afrique et les produits manufacturés n’en représentent que 16% (2011) sans variation notable depuis 2005. La dépendance de l’Afrique aux exportations de matières premières a des conséquences sur la capacité des États à agir en tant qu’États. L’impôt reste difficile à lever en Afrique (Les recette fiscales représentent à peine 20% du PIB continental contre 45% en Europe de l’Ouest en moyenne) car le secteur informel reste dominant. De ce fait les compagnies minières sont les premiers financiers des États, et leur poids politique excède souvent leur poids économique. Les pays riches en ressources peuvent lever près du quart du PIB national en impôt tandis que les pays pauvres en ressources peinent à en lever 17%. Les entrées de capitaux (Transferts des migrants, 28% des entrées, les Investissements Directs Étrangers, IDE, 48%, et les Aides Publiques au Développement, APD, 30%) ont quadruplé en 10 ans, passant de 50 à 200 milliards de dollars par an. Mais ces entrées représentent pour les États pauvres des ressources équivalentes aux ressources de l’impôt, ce qui souligne leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur.
… Des inégalités de richesses criantes pour un continent qui compte toujours autant de précaires mais moins de pauvres …
Les États africains sont encore massivement des États très pauvres. Que ce soit en terme d’IDH ou de PIB les pays africains sont en queue de classement. La quasi-totalité des Pays les Moins Avancés (PMA) sont en Afrique (15 sur 17). Mais les inégalités sociales, qui ne cessent de se voir et de se creuser, sont un mal sociétal en Afrique. Au Gabon, pays pétrolier peu peuplé, 50% de la population vit en dessous du seuil mondiale de pauvreté. En Angola, pays importateur net de céréales, les ménages consacrent encore 50% de leurs dépenses à l’alimentation. Les États sont pauvres, peinent à lever l’impôt et peinent surtout à offrir à leurs populations des services fiables. Au Niger 2% des filles seulement iront à l’université, 20% d’une classe d’âge de garçons aura le Baccalauréat. La carence des États permet le maintien de traditions délétères comme les mariages précoces ou les mariages forcés. La faim reste le marqueur du sous-développement de l’Afrique : 27% des Africains sont touchés par la sous-alimentation. La hausse des produits agricoles permet certes aux très nombreux paysans africains d’investir en profitant de la hausse de leurs revenus mais elle les pénalise aussi lors des crises de sécheresse comme on en voit de plus en plus fréquemment.
Cependant en dix ans (2000-2010) la part des plus pauvres se réduit et émerge une classe moyenne urbaine. Ceux qui gagnent moins de 1 € par jour (soit 1.25$, seuil mondial de la très grande pauvreté) représentaient 60% de la population du continent en 1990, moins de 48% aujourd’hui. Ce sont encore 70% des Africains qui vivent avec moins de 2$ par jour, mais 191 millions d’Africains vivent maintenant avec un revenu compris entre 2 et 4 dollars par jour, un revenu qui permet de se loger, de se nourrir et de sortir de la survie. En 2010, 300 millions d’Africains (Soit 33%) vivent avec un revenu compris entre 2$ et 20$ par jour, dont 45 millions de personnes qui vivent avec un revenu compris entre 10 et 20 dollars par jour (contre 22 millions en 1980) : c’est la classe moyenne urbaine africaine. Celle-ci consomme et pas seulement des produits importés : les productions agricoles locales sont stimulées par la demande intérieure. Plus important, la classe moyenne africaine instruite et productive a des exigences en matières d’efficacité de l’État, qu’elle finance largement, de lutte contre la corruption et bonne gouvernance. La lutte contre la grande pauvreté reste d’actualité : ce sont les taux des années quatre vingt que l’on retrouve. La forte croissance de l’Afrique n’a fait pour l’instant qu’éponger les effets désastreux des politiques ultralibérales des années quatre-vingt-dix.
… Tandis que la question sécuritaire et celle de la gouvernance sont toujours d’une brûlante actualité…
La faiblesse des États, en partie la conséquence de leur démantèlement orchestré par les institutions libérales de Brettons Wood (Fond Monétaire International, FMI, Banque Mondiale, WBG, Organisation Mondiale du Commerce, OMC), entraîne aussi la prolifération des mafias, des organisations terroristes et des trafiquants. La crise du Mali (2012) a montré comment en quelques mois un État jadis montré en exemple de libéralisation économique et politique réussies pouvait sombrer. Sans l’intervention des forces armées étrangères le pays devenait la proie des terroristes. Les bandes armées du Congo (Mouvement M23), d’Ouganda (RLA de Kony), de Centrafrique (Séléka et anti balaka) sont le témoignage de ces faiblesses. Les armées africaines, taillées pour le maintien de l’ordre et la répression politique, sont encore peu capables de faire face à des agressions armées ou de mettre en place des missions de maintien de la paix : l’armée Sud-africaine n’a pas réussi à maintenir le président BOZIZÉ en République Centrafricaine (RCA), la MISMA au Mali a tardé à atteindre ses effectifs pleins. Les armées africaines sont peu mobiles et peu transportables. La sécurité collective en Afrique reste encore conditionnée par l’intervention des armées occidentales. Mais l’enjeu même de la sécurité collective en Afrique risque d’être parasité par les ambitions impériales des grands États d’Afrique : l’Afrique du Sud de Jacob ZUMA a clairement signifié ses vues en s’emparant de la présidence de la Commission de l’Union Africaine (UA) que l’ancien président, Thabo M’Beki, avait remodelé. Le spectre du nationalisme et du choc des géants africains (Kenya, Angola, Nigeria, Afrique du Sud) se précise.
Par ailleurs les chefs d’États peinent à se mettre à l’heure de la bonne gouvernance : les crises constitutionnelles en Côte d’Ivoire, au Niger, celle qui couve au Bénin, les élections dans un climat pré – génocidaire au Kenya montrent le faible enracinement, chez les élites politiques, de la culture démocratique. Sans parler des dictateurs en place depuis des décennies et qui ne semblent pas avoir préparé leur succession : Blaise COMPAORÉ au Burkina Faso, Paul BIYA au Cameroun, Robert MUGABE au Zimbabwe ou Yoweri MUSEWENI en Ouganda… Des cas presque classiques de dictateurs au pouvoir depuis plus de 30 voire 40 ans. En République Démocratique du Congo (RDC), au Togo ou au Gabon les dictateurs se succèdent de père en fils, comme cela était prévu en Libye ou au Sénégal. Mais si les chefs d’États, arrivés au pouvoir par la force ou par les urnes, restent imperméables aux principes démocratiques, il n’en est pas de même pour les peuples. Les « printemps arabes » ont montré la force des masses de plus en plus civiques et mêmes citoyennes. Le mouvement « Y-en-a marre » au Sénégal en est un exemple. Bon an mal an les élections se multiplient en Afrique à toutes les échelles territoriales : communes, provinces ou régions, nations… Se constitue lentement une pratique démocratique qui force les élites à faire campagne et à prendre des engagements. Ce qu’on appelle « la société civile », qui peut aussi engendrer de la violence comme on le voit au Kivu, agite les sociétés africaines en permanence.
… Et que le continent africain tarde à s’industrialiser.
La Chine est devenue un partenaire majeur de l’Afrique : les échanges se montent à 166 milliards de dollars (Multipliés par douze entre 2000-2012) juste derrière les échanges avec les 28 de l’Union Européenne (UE). Mais ces échanges restent encore déséquilibrés : l’Afrique n’absorbe que 4% des exportations chinoises mais y dirige 11% de ses propres exportations. La Chine importe des matières premières (Bois, pétrole) mais exporte des produits manufacturés (Textile, Hi-Fi). Ces produits manufacturés ne concurrencent pas les productions locales, inexistantes, (Sauf dans le domaine des textiles, de l’habillement et du cuir qui emploient une foule de petits artisans et apprentis) mais prennent la place de produits européens ou japonais. La Chine est devenue leader dans les biens intermédiaires (Acier, produits pétrochimiques) et les équipements (Voitures, téléphonies, équipement médical et informatique…). Ainsi 40% des contrats de BTP et de Génie civil en Afrique sont signés avec des sociétés chinoises. Pour l’instant la Chine commerce mais n’investit pas en Afrique : 9% des IDE en Afrique proviennent de Chine. Mais les migrants chinois sont de plus en plus nombreux à investir sur le continent. Vont-ils créer des emplois ? La Chine se prépare à délocaliser 8 millions d’emplois industriels, ce qui représenterait un quadruplement de l’emploi industriel en Afrique ! Mais le continent n’est pas le seul à guigner les emplois chinois et les pays asiatiques le long du « collier de perles » sont plus attractifs dans l’immédiat. En attendant, depuis 2000, la part des emplois industriels africains dans le PIB du continent à diminué.
Le déséquilibre majeur de la croissance africain reste son incapacité à créer des emplois industriels. Si les Investissements Directs Étrangers (IDE) n’ont cessé de progresser (83 milliards de dollars en 2013, quadruplement depuis 2001) la part des produits manufacturés dans le PIB est passé de 17% à 12% entre 1990 et 2010. Les élites africaines ont du mal à investir dans la création de grands groupes bancaires ou dans des entreprises industrielles. Les facteurs explicatifs sont nombreux et les situations régionales très diverses. En Afrique australe (Mozambique, Tanzanie, Afrique du Sud, Botswana) se sont constitués depuis deux décennies des groupes industriels (Armes, pharmaco-chimie, automobile…) puissants et dynamiques et des groupes agroalimentaires (Vins, laitages…) qui exportent des biens de consommations. Mais les capitaux restent durs à trouver pour les jeunes entrepreneurs. Les taux d’intérêt sont élevés (20% d’intérêt sur les prêts dans la zone Franc CFA) et l’évasion financière importante. Près de 1 400 milliards de dollars quittent illégalement le continent tous les trente ans, soit 46 milliards par an, plus que l’excédent commercial de l’Afrique avec la Chine ! Cet argent qui s’évade manque à la croissance de l’ensemble de l’Afrique. Pourtant des solutions existent : les banques des pays du Maghreb (Algérie, Maroc) s’engagent de plus en plus dans les pays africains francophones, même si le mouvement ne fait que s’amorcer, et pourraient à terme amener les liquidités qui manquent au développement industriel.
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SOURCES : Données compilées par BERTHO Erwan « Fiche Afrique 2013 / Pack Histoire Géographie » de [1] BANÉGAS (Richard), « Les Africains sont de plus en plus citoyens. », 2013, Paris, in, mai 2013, Alternatives Internationales, Hors série n°13 L’Afrique qui bouge. , de Mai 2013, pages 76 et 77, [2] CHAPONNIÈRE (Jean-Raphaël), et GABAS (Jean-Jacques), « La Chine, un partenaire presque comme les autres. », ibid, et [3] DOMERGUE (Manuel), « Développement. L’Afrique s’enrichit mais à toujours faim. », 2012, Paris, in, 4e trimestre 2012, Alternatives Économiques, Hors série n°94, Les chiffres 2013. L’économie et la société en 30 thèmes et 290 graphiques. , IVe partie « Société », pages 66 et 67, [4] RAVIGNAN (Antoine, de), « L’Afrique retrouve la forme. », 2013, Paris, in, 4e trimestre 2013, Alternatives économiques. , Hors série n°98, Les chiffres 2014. L’économie et la société en 30 thèmes et 200 graphiques. , IVe partie Économie mondiale, pages 68 et 69, Chiffres : [5] Conférence des Nations Unies pour la Coopération et le Développement (CNUCED), [6] Perspectives économiques en Afrique 2012, Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE).
POUR EN SAVOIR PLUS GRÂCE À INTERNET : [1] Africa Intelligence, www.africaintelligence.fr, [2] Africa.no Conseil Norvégien pour l’Afrique, www.afrika.no, [3] All Africa, allafrica.com, [4] La lettre d’Afrik, www.afrik.com, [5] Inter Press Service (IPS), www.ipsnews.net, [6] Syfia Grands Lacs, www.syfia-grands-lacs.info, [7] Africutures, site d’information sur les cultures africaines, sur la culture en Afrique, www.africultures.com, [8] Ifri, Institut Français des Relations Internationales, www.ifri.org, [9] Céri, Centre d’Étude et de Recherches Internationales, www.ceri-sciences-po.org, [10] LAM, Les Afriques dans le Monde, centre de recherche de Sciences Po – Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), http://lam.sciencespobordeaux.fr/, [11] Crépao, Centre de Recherche et d’Étude sur les Pays d’Afrique Orientale (CRÉPAO), http://tinyurl.com/univ-pau-crepao, [12] Cémaf, Centre d’Étude des Mondes Africains (CÉMAF), www.cemaf.cnrs.fr, [13] Codesria, Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique, www.codesria.org, [14] Centre d’Étude des Grands Lacs, centre de recherche de Belgique, http://tinyurl.com/IOB-antwerpen, [15] Institute for Security Studies, South Africa, www.issafrica.com, [16] Institut Français d’Afrique du Sud, (IFAS), www.ifas.org.za, [17] Institute of African Studies, (IAS), États-Unis d’Amérique, Université de Columbia, www.ias.columbia.edu et notamment « African Studies Ressources », [18] Institut Français de Recherche en Afrique, (IFRA), www.ifra-nairobi.net, [19] Lasdel, Laboratoire d’Étude et de recherche sur les dynamiques Sociales et le Développement Local, (LASDEL), République du Niger, Niamey, www.lasdel.net, [20] Centre Français des Études Éthiopiennes, (CFEE), www.cfee.cnrs.fr, [21] Ifra-Nigeria, Institut Français de Recherche en Afrique (IFRA) au Nigeria, www.ifra-nigeria.org, [22] Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique, fr.africacenter.org, [23] African Arguments, africanarguments.org, [24] The Nordic Africa Institute (Suède), (NAI), www.nai.uu.se, [25] Banque mondiale, World Bank Group, (WBG), www.worldbank.org, [26] Pnud, Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), www.undp.org, [27] Cnuced, Conférence des Nations Unies pour la Coopération et le Développement (CNUCED), www.unctad.org, [28] Perspectives Économiques en Afrique, www.africaneconomicoutlock.org, [30] Uneca, United Nations Economic Commission for Africa (UNECA), Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique, www.uneca.org, [31] FAO, Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture, www.fao.org, [32] IRD, Institut de Recherche pour le Développement (IRD), France, www.ird.fr, [33] AFD, Agence Française pour le Développement (AFD), www.afd.fr, [34] Ceped, Centre Populations Et Développement (CEPED), www.ceped.org, [35] Cirad, Centre de coopération Internationale en Recherche en Agronomie pour le Développement (CIRAD), www.cirad.fr, [36] Department For International Development, (DFID), Royaume Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, http://r4d.dfid.gov.uk, [37] Center for Global Development (CGDEV), www.cgdev.org, [38] CCFD-Terre solidaire, Comité Catholique contre la Faim dans le Monde (CCFD), ccfd-terresolidaire.org, [39] SIDI, Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement, www.sidi.fr, [40] GRET, www.gret.org, [41] Oxfam-France, www.oxfamfrance.org, [42] Inter-Réseaux Développement Rural, www.inter-reseaux.org, [43] Cade, Coordination pour l’Afrique de Demain, (CADE), www.afrique-demain.org, [44] Human Rights Watch, www.hrw.org, [45] International Crisis Group, www.crisisgroup.org [46] Les perspectives économiques en Afrique, rapport annuel de la Banque Africaine de Développement (BAD) et de l’Organisation du Coopération et de Développement Économique (OCDE), consultable sur www.africaneconomicoutlook.org/fr/, [47] World Economic Database du Fonds Monétaire International (FMI), disponible sur www.imf.org, [48] World Development Indicators, http://databank.worldbank.org, [49] Center for Global Devlopment, « Where Will the World’s Poor life ? », article de SUMNER (Andy), disponible sur www.cgdev.org, [50] Ifad, Fonds International pour le Développement Agricole, http://ifad.org/rpr2011 et [51] OCDE, Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE), Toujours plus d’inégalités. Pourquoi les écarts de revenus se creusent ? , rapport sur les inégalités par FÖRSTER (Michael), 2012.
→ À voir également sur le même sujet:
Zoom sur … – L’Afrique (2011) Croissance & mondialisation
Schéma – La famine au Niger, du texte au schéma fléché.
Conférences – Marc Dufumier « les agricultures familiales » par Aurélien SUMKA.
Conférences – Julien BRACHET, « Les migrations sahariennes. », restitution par Erwan BERTHO