Tale – Géographie (5), FICHES DE LECTURE – Coopérations, tensions et régulation à toutes les échelles
Fiche de lecture 2 : TAILLARD Ch. (dir.), 2004, Intégrations régionales en Asie orientale, Paris, Les Indes savantes, 495 pages.
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Introduction
Quels phénomènes unissent spatialement l’Asie orientale ? C’est une question récurrente qui alimente de nombreux clichés. L’Asie orientale est composée d’espaces qui ont connu de grandes et rapides mutations (voir l’essor du Japon). Cependant, ces prouesses économiques ne masquent pas les inégalités socio-spatiales. Quelles est cette Asie orientale ? Le point de vue occidental oscille généralement entre deux extrêmes : un orient global et indifférencié/ un espace fragmenté en nations rivales. Il faut s’efforcer de chercher des dynamiques spatiales communes (des structures héritées toujours d’actualité, des acteurs, des activités structurantes…).
La régionalisation désigne un processus d’organisation politique et économique sur une portion de l’espace. On peut d’ores et déjà opposer le régionalisme ouvert et souple de l’Asie orientale au régionalisme rigide de l’Europe.
Quelle est la place des Etats-nations asiatiques dans la structuration d’espaces d’envergures régionales ?
Le concept de régionalisation appelle celui d’intégration : des espaces et des économies sont imbriqués et participent à la réalisation d’une région spécifique.
Voir citation de B. Badie in Le retournement du monde (1999) « la dialectique de l’intégration/ exclusion n’exprime plus seulement une rupture Nord/Sud, elle traduit une fracture traversant toutes les sociétés, y compris celle des pays industrialisés ». Soit exprimée ici l’idée d’un différentiel d’intégration en Asie orientale.
La régionalisation définit la remodélisation des économies et des relations internationales à l’échelle continentale mais sur la base des Etats qui conservent une souveraineté. L’intégration économique est une mise en réseau de la production selon une division internationale du travail (enjeu du libre-échange/ du contrôle des flux migratoires). Confrontation d’une régionalisation voulue par le haut face à une recomposition pratique des territoires par le bas (irrédentismes régionaux, métropolisation, réseaux marchands transfrontaliers ou transnationaux…).
Tout développement économique s’accompagne de la diffusion d’un système de valeurs qui le légitime. Idée des « valeurs asiatiques » : un certain particularisme asiatique permettrait le succès économique. Ces valeurs expriment un écart par rapport au modèle occidental (quelle place pour la démocratie et les droits de l’homme ?). Il s’agit d’un asiatisme qui se base sur une double unicité : unité culturelle de l’Asie et unité géopolitique de l’Asie. Cette idéologie a muri pendant l’ère Meiji au Japon (en réaction à l’impérialisme occidental).
Cette idée trouve un second souffle avec les élites des NPIA (Singapour et Malaisie). Est-ce un outil de paix sociale interne ou une affirmation idéologique forte lancée à la face du monde ? Quelle est la force de cette idéologie face à l’hégémonie américaine? Quelle est la véritable place pour les cultures traditionnelles ?
Cependant, concrètement l’Asie :
- Est le dernier bastion de la guerre froide (ruptures territoriales, socialisme, présence américaine…)
- Connaît des concurrences multiples (mais pour le moment aucun mouvement sécessionniste n’a abouti).
- Fait face à des problèmes dans la délimitation des espaces maritimes (enjeu du statut archipélagique de l’Indonésie face aux multiples velléités).
Conclusion
Cet ouvrage se veut une approche complémentaire à la Géographie Universelle, il s’agit ici d’étudier les dynamiques supranationales : la mondialisation et la régionalisation. La région est ici prise dans son sens anglo-saxon. L’intégration régionale en Asie orientale est moins politique qu’économique et spatiale. L’ASEAN est la seule organisation supranationale mais elle ne rassemble que les pays d’Asie du sud-est. Il y a quelques coopérations ponctuelles initiées à la suite de la crise asiatique de 1997 ; la construction est en devenir et ne constitue pas encore l’élément moteur du processus d’intégration régionale en cours.
Au niveau économique : dépendance commerciale, division du travail, places boursières en lien… logiques de réseaux qui se combinent aux coopérations transfrontalières et transnationales.
L’intégration régionale se fait par le biais des réseaux de communication. Les axes sont anciens (en particulier les routes maritimes) mais les conditions modernes de navigation et les nouvelles contraintes politiques modifient leur usage. Les éléments structurants sont :
- Deux extrémités, deux portes d’entrée : le détroit du Japon et le détroit de Malacca.
- Des nœuds : anciens comptoirs coloniaux, entrepôts industriels (ports), et actuellement plateforme logistique dans la dynamique de tertiarisation de l’économie. Hong Kong est un centre stratégique (mais aussi Singapour).
- Complexification et développement des trois pôles principaux : formation de la mégalopole japonaise, de couloirs urbains, de doublets urbains (Séoul et Pusan en Corée du Sud : un centre administratif et un port).
- Eclatement et concurrence au sud : l’axe méridien prend de l’épaisseur (deux quadrilatères articulés par le détroit de Taïwan : au nord formé par Séoul – Tokyo – Hong Kong – Kaohsiung et au sud formé par Hong Kong – Kaohsiung – Bangkok – Singapour).
L’intégration résulte de l’entrecroisement de réseaux économiques qui valorisent différemment l’axe méridien. Se forme un certain maillage territorial et une interdépendance des lieux et des acteurs mais aussi des flux migratoires. Les auteurs de l’ouvrage se focalisent sur les touristes et les travailleurs. Leurs mobilités s’effectuent autour de l’axe méridien qui articule Asie du Nord et Asie du Sud : il s’agit de jouer d’un différentiel de développement. Il s’agit de flux de proximité, l’intégration se basant sur une logique de flux inversés :
- Les touristes : autour de la mer de Chine orientale (le long d’un axe Bangkok-Jakarta)
- Les travailleurs : vers le Japon, la Malaisie et Singapour.
Les flux de travailleurs sont directs et mal contrôlés par l’Etat (enjeu entre travailleurs légaux et travailleurs clandestins dans la nécessité d’avoir une main d’œuvre bon marché après la crise de 1997). Les flux de touristes sont très élaborés et passent par des pôles relais (les aéroports).
Les flux économiques intra-régionaux croissants intègrent et hiérarchisent les espaces. Le Japon n’est plus seul du fait de l’émergence de nouveaux acteurs situés à des niveaux de développement différents (et donc différents niveaux d’intégration). On assiste à une forte urbanisation et à la mise en place de nouvelles formes de coopération.
Au début des années 1980, Hong Kong et Singapour ont inauguré une stratégie de division internationale du travail à l’échelle micro régionale notamment vers les pays limitrophes pour profiter du coût de la main d’œuvre et du foncier. Cependant, ceci a été fait dans deux contextes différents :
- Singapour : vision à court terme pour soutenir la mondialisation de son économie. Singapour a un comportement hégémonique vis-à-vis de ces partenaires dans le triangle de croissance SIJORI (Singapour-Johore-Riau) ce qui explique les réserves des gouvernements malaisiens et indonésiens. La coopération n’est donc qu’économique : Malaisie et Indonésie refuse toute potentielle hégémonie politique de Singapour mais ont besoins des capitaux singapouriens.
- Hong Kong: le processus s’inscrit dans la perspective de rétrocession de l’île à la Chine. Les investissements chinois ont été importants en amont (voir les Zones Économiques Spéciales dans les espaces limitrophes autour de Canton). Le gouvernement chinois (qui délègue aux autorités locales) se lance dans une politique d’ouverture (Canton, delta de la rivière des perles, Guangdong, Hainan, Fujian). Importance des capitaux chinois d’outre-mer qui ont permis d’unifier la zone littorale.
Il s’agit donc de deux triangles de croissance qui évoluent vers des coopérations transnationales après avoir été des phénomènes de croissance transfrontaliers.
Reste l’enjeu des détroits :
- Coopération entre Singapour, Indonésie et Malaisie pour la gestion du détroit de Malacca.
- Pas encore réglé pour le détroit de Taïwan: poids symbolique qui pèse sur Taïwan et qui freine l’intégration régionale. La Chine joue sur Pékin et Shanghai au nord pour freiner la croissance du doublet Canton / Hong Kong.
Vers des arbitrages qui peuvent préparer des intégrations spatiales transnationales plus élaborées ?
- Exemple de la gestion des incendies en Indonésie : contexte : investissements malaisiens en Indonésie pour exploiter la forêt et pour mettre en place des plantations industrielles. Ceci fut fait sans aucune régulation ce qui provoqua de nombreux incendies (dont celui de 1997) qui ont ralentis le trafic maritime et aérien, qui ont pesé sur l’économie de la région et qui ont donné une mauvaise image des investissements réalisés à l’intérieur de l’ASEAN. Des mesures ont été prises en 1998 pour réglementer les activités (vers une coopération transnationale).
- Exemple du conflit au sujet de l’archipel des Spratly : l’ASEAN propose une gestion transnationale des ressources mais pour l’instant, seuls des accords bilatéraux ont été signés. La Chine n’est pas prête à faire des concessions.
- Exemple des mers qui entourent le Japon : enjeu car proximité, densité, ressources. Le Japon a du poids dans les négociations mais ne va pas au-delà d’accords qui figent les conflits (exemple des îles Kouriles).
La Chine est actuellement hégémonique mais il ne faut pas oublier que le pays se repli à l’intérieur à chaque période de difficulté. Ce tropisme intérieur de la Chine se double d’une volonté de siniser et d’intégrer ses périphéries et de projeter son influence au-delà des frontières (exemple de la réactivation des routes de la soie). Si la Chine s’ouvre, c’est selon des accords bilatéraux (ouverture ponctuelle et sélective). La Chine ouvre des villes littorales, des zones économiques transfrontalières (il s’agit strictement de phénomènes transfrontaliers encouragés ponctuellement par le gouvernement chinois et non la mise en place d’organisations transnationales car la Chine s’en méfie).
Deux coopérations régionales font exception :
- Au nord : la zone de développement économique du fleuve Tumen (Russie, Corée du Nord, République populaire de Chine)
- Au sud : la région du Grand Mékong (Vietnam, Thaïlande, Cambodge, Laos, Myanmar et République populaire de Chine)
Elles se sont construites selon une même logique, la reconstruction de flux anciens coupés par la période coloniale (ici des bassins fluviaux carrefours). Dans un premier temps, ces projets ont stagné car aucun acteur ne consent à abandonner sa souveraineté. Actuellement, on constate les difficultés croissantes rencontrées par le programme Tumen et au contraire la dynamique ascendante de la région du Grand Mékong. Importance de la Banque Asiatique de Développement qui soutient les travaux pour les infrastructures de transport de la région du grand Mékong.
Parfois, les tensions sont trop grandes, et les fonds trop minces pour qu’un programme de coopération soit possible. Les États asiatiques sont à la recherche du transnational car c’est un moyen de récupérer les attributs amputés par la mondialisation sans perdre tout contrôle au sein d’organisme supranationaux : le transnational/transfrontalier est le seul type d’organisation capable d’intégrer des puissances aux ambitions hégémoniques comme la Chine et le Japon.
© Ronan KOSSOU (2020)
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Articles complémentaires :
Les cours liés aux fiches de lectures :
Tale– GÉOGRAPHIE (4), Des territoires inégalement intégrés à la mondialisation
Tale – GÉOGRAPHIE (5), Coopérations, tensions et régulation à toutes les échelles
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