Première – Histoire (17), Les métis dans les sociétés coloniales au XIXe siècle et au début du XXe siècle.

Première – Histoire (17), Les métis dans les sociétés coloniales au XIXe siècle et au début du XXe siècle.

Partant du postulat de l’existence d’une « question métisse » qui agita la quasi-totalité des colonies, protectorats et autres zones sous influence française et qui connaît un point culminant dans les années 1920 la France ou plutôt les administrateurs coloniaux tentèrent d’y répondre à différentes échelles, localement comme à celle de l’Empire.

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Dans une société française juridiquement dominée par la patrilinéarité, l’abandon de ces enfants nés de la rencontre impériale, pose un vrai problème, tant au point de vue moral que politique. D’une part, les métis étaient la preuve vivante de la transgression possible de la frontière tacitement reconnue dans le monde colonial, c’est-à-dire le non-contact entre dominant/dominé, coloniaux/colonisés. D’autre part, l’abandon de ces enfants les condamnait, lorsqu’ils n’étaient pas reconnus par leur père à se « déciviliser », davantage d’ailleurs par le rang que par le sang. Ces êtres, à la fois hybrides culturellement et bâtards juridiquement, en font des étrangers ou des « indigènes » dans leur propre monde. Marqués par leur double exclusion du monde « indigène » comme du monde colonial européen, les métis de la colonie représentent une catégorie sociale potentiellement facteur de désordre, tant à la fois sur le plan social et politique que dans la nécessité de leur trouver une place dans l’ordonnancement des catégories juridiques aux colonies.

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Cette population, pensée à la frontière entre société coloniale et colonisée, menaçait par son existence même la cohérence de tout le maillage social impérial. Reléguée à la marge de la société coloniale, leur existence les place juridiquement au cœur de la question coloniale. En effet, les métis non reconnus par leur père ne peuvent accéder à la place de citoyen, restent à vie et ce malgré leur sang et leur éducation lorsqu’ils en reçurent avant le départ de leur père, des sujets d’empire, au même titre que leur mère. Dès lors, naissait une difficulté à les classer : si leur faciès en faisait des citoyens français, leur état civil en faisait des « indigènes ». Craignant que cette injustice ne transforme ces « déclassés » en ennemis irréductibles du système colonial, les autorités administratives ainsi que des édiles coloniaux s’attelèrent à ce problème. Le décret indochinois de novembre 1928 visant à reconnaître la pleine citoyenneté à ces enfants qui pouvaient prouver qu’ils étaient de père français allait servir de modèle impérial, puisqu’il se diffuse peu à peu dans l’ensemble des possessions ultramarines françaises. Dans ce cas comme dans de nombreux autres d’ailleurs, l’Indochine servit de laboratoire à l’ensemble de l’Empire, partout où la question métisse se posait avec plus ou moins d’acuité. Tous ces éléments ont été connus et débattus dans d’autres territoires ; les solutions indochinoises y ont été reprises et adaptées aux contingences locales en AOF (1930), à Madagascar (1931), en Nouvelle-Calédonie (1933), en AEF (1936), au Togo (1937) et au Cameroun (1944)[1]

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Enfin, si les autorités françaises craignirent pendant un temps que ces déclassés de la race, de la culture et du droit pouvaient devenir de terribles adversaires du système colonial, il faut rappeler que, globalement, les métis devinrent au contraire les meilleurs auxiliaires de la colonisation. En revanche, les « métis culturels », c’est-à-dire les Vietnamiens qui étaient passés par le moule colonial scolaire en particulier, mais aussi religieux ou militaire allaient eux, en revanche, être les adversaires irréductibles de la présence française en Indochine, point de départ de la contestation coloniale.

© Souleymane ALI YÉRO, Erwan BERTHO & Ronan KOSSOU (2020).

[1] Emmanuelle Saada, Les Enfants de la colonie. Les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris : la Découverte, coll. « L’espace de l’Histoire », 2007, 335 p.

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