HISTOIRE DES ARTS – Notices d’Histoire-Géographie
Emmanuel VYNNE, Jolly Roger, 1700, Santiago de Cuba, Caraïbes.
FICHE TECHNIQUE
VYNNE (Emmanuel), Jolly Roger, 1700, Santiago du Cuba, Mer des Caraïbes, signalé par le commandant du HMS Poole, cité par Olivier CORRE dans le Dictionnaire des Corsaires et des Pirates, page 618, de Gilbert BUTI et Philippe HRODEJ, 2013, Paris, aux éditions CNRS éditions, collection « Dictionnaire », 989 pages, ISBN 978-2-271-06808-8.
DESCRIPTION
Si le symbole de la « tête de mort » est ancien en Occident pour servir d’emblème à des unités militaires, ce n’est qu’en 1700 que le drapeau noir frappé de la tête de mort aux tibias entrecroisés est signalé comme pavillon de guerre des Pirates, en l’occurrence celui d’Emmanuel WYNNE, pirate français, dans un combat naval contre le HMS Poole au large de Cuba. Décrit comme « […] une enseigne de sable [id est un drapeau noir] avec des os croisés, une tête de mort et un sablier […] » (1700). Le crâne (vu de face avec la mâchoire inférieure) et les tibias, entrecroisés derrière la partie supérieure du crâne, sont placés au centre du pavillon, traditionnellement de forme rectangulaire, même s’il n’existe aucune règlementation pour ce type de drapeau de hors-la-loi. Le sablier, blanc (« argent » en héraldique) également, est situé au dessous du crâne et des tibias entrecroisés. Les significations de ce pavillon sont complexes : si les os du corps humains font aujourd’hui partie de l’imaginaire lié au meurtre, le XVIIe et le XVIIIe sont encore héritiers d’un imaginaire visuel médiéval qui fait du squelette humain une référence à la vanité de la vie (Danses macabres, XIVe siècle), à la finitude des êtres humains et la présence du sablier vient renforcer cette interprétation. Tempus fugit, « le temps fuit » (VIRGILE, les Géorgiques, Livre III, le vers n°284, écrit en -29) et nous sommes tous mortels. Cette proclamation de « S’en fout la mort » est destinée à effrayer les navires marchands, confrontés à un équipage pirate qui proclame son mépris pour la vie, et pour la mort.
ANALYSE
L’imaginaire occidental lié à la piraterie est largement issu des œuvres romanesques du XVIIIe siècle qui brossent le portrait de pirates plus ou moins imaginaires, fixés dans des attitudes, des comportements et des croyances qui sont encore celles des héros pirates des films contemporains. Ainsi Charles JOHNSON (1724) romance la vie d’Edward TEACH, « Barbe Noire », pour en faire un personnage sensationnel dans Histoire générale des plus fameux pyrates (Londres), illustrée déjà (Benjamin COLE) pour faire du sensationnel. Daniel DEFOE, Robinson Crusoé (1719) dépeignait les pirates sous des airs de rudes gaillards aux lois dures mais justes. C’est Robert Louis STEVENSON (1883) dans L’île au trésor qui donne au monde des pirates sa coloration la plus romanesque et fixe les codes de représentation du monde pirate : équipage attiré par la recherche d’un trésor fabuleux, perroquet, vêtements disparates mais hauts en couleurs comme ceux de Calicot Jack RACKHAM (Pendu en 1724), rhum, aventures et îles perdues à la position notée seulement sur des cartes mystérieuses. La peinture de l’Entre-deux-guerres s’empare du sujet avec la vogue des régates et des loisirs marins de la fin de la « Belle époque » (1896-1914) et des « Années folles » (1919-1929) : la figure du pirate, homme sombre et âgé au visage buriné s’opposant à des héros jeunes et pâles défendant l’honneur des jeunes filles nobles (Jean-Léon Gérôme FERRIS, Pennsylvanie, 1920), s’impose. Les couvertures des illustrés prennent rapidement le relais auprès des lecteurs adolescents : c’est le cas de la couverture de Blackbeard, Buccaneer (1922, Ralph DELAHAYE) illustré par Franck E. SCHOONOVER. La bande dessinée s’empare évidemment d’un sujet aussi romanesque : Le secret de la Licorne (1943) et Le Trésor de Rackham le Rouge (1944) d’HERGÉ, puis Barbe rouge, de Jean-Michel CHARLIER et Victor HUBINON, (Depuis 1959). Photogénique par construction, le pirate s’impose au cinéma et la couleur en renforce la présence magnétique : Barbe-Noire le pirate (1952) de Raoul WALSH, puis Pirates de Roman POLANSKI (1986) avant la série à succès Pirates des Caraïbes (2002), elle-même inspirée d’une attraction des parcs Disney (Californie, 1967, Pirates of the Caribbean). La boucle est bouclée quad Steven SPIELBERG réalise un film d’animation, Le Secret de la Licorne (2011), reprenant essentiellement les deux histoires d’HERGÉ. Les pirates asiatiques, et chinois en particuliers, ont inspiré des nombreuses œuvres romanesques en Asie même et en Europe (Histoire universelle de l’infamie, Jorge Luis BORGES, 1935), des mangas (Black Lagoon, REI Hiroe, 2002) et de nombreux films (Dont Le marin des Mers de Chine, de Jackie CHAN, 1983). En revanche les pirates asiatiques n’utilisèrent pas le drapeau pirate noir au crâne blanc.
Loin de cet imaginaire héroïque, les vies des « pirates illustres » semblent faites de rapines médiocres et d’errances sur des navires modestes (Sloop, brick, dhow ou petits sampans) terminées brusquement, soit par un pardon royal ou impérial soit par une mort rapide. Les exploits des grands pirates européens du XVIIe et du XVIIIe siècle durent entre deux et quatre ans, avant que les équipages ne soient sommairement jugés et pendus. Attaquant des navires marchands mal armés, aux équipages peu motivés et peu entraînés au combat, les pirates pillent la cargaison, plus rarement gardent des otages, le plus souvent rançonnent les navires. Opérant près des côtes, utilisant les périodes de fin de guerre pour se camoufler sous l’étiquette de corsaires ou de contrebandiers, ils sont contraints de revendre leurs marchandises sur le marché légal et doivent bénéficier de la complicité des guildes marchandes locales, qui prélèvent leur part sur la revente des biens mal acquis (Nouvelle-Angleterre, Floride au XVIIe et XVIIIe siècles, delta de la Rivière des Perles près de Guangzhou en Chine du Sud). Le phénomène est toléré sur les côtes méridionales de Chine (XVI et XVIIe siècle) où il participe à l’ouverture officieuse de l’Empire aux côtés d’une politique drastique de contrôle des frontières.
Des sociétés interlopes métissées s’élaborent dans les repaires pirates : à Macao et Ningbo en Mer de Chine méridionale par exemple où Coréens, Japonais, renégats chinois et aventuriers indonésiens ou cambodgiens côtoient des conquistadors espagnols et portugais, Île de la Tortue dans les Caraïbes, République de Salé sur les côtes marocaines. Des États naissent parfois de raids pirates (Barberousse à Alger et Tunis au XVIe siècle) et des liens se créent entre confréries pirates et monarchies établies (François Ier utilisant les services des « barbaresques » ottomans, l’Empire des Qing et Ching Shih au XIXe siècle).
Rapidement cependant le quadrillage des mers par les marines de guerre met fin à la piraterie endémique : au milieu du XVIIIe siècle l’aventure des pirates est close. Elle renaît à la fin du XXe siècle, au mitan des années quatre-vingt dix, avec la généralisation des actes de pirateries aux embouchures des fleuves et dans les deltas (Nigéria), et près des détroits (Malacca, Bab-El-Mandeb, Somalie). Les actes de piraterie ont doublé entre 2005 et 2011 avec 500 attaques recensées dans le monde, dont plus de 50% au large de la Somalie et 15% au large de l’Indonésie. Comme au XVIIe et XVIIIe siècle les actes de piraterie restent peu violents (8 morts sur 1000 otages, 2011) et se limitent à la rançon des navires et des cargaisons, assurés auprès de compagnies internationales qui préfèrent payer les pirates – qui n’utilisent plus le pavillon noir – qu’affronter les dommages et réparations en cas de morts de l’équipage.
La Convention des Nations Unies sur le droit de la Mer (1982, articles 100 à 108) définit la piraterie comme la tentative de détournement d’un navire en haute mer. Celle-ci, échappant par définition aux juridictions nationales, était restée une zone de non-droit où le respect des accords et des conventions internationales était difficile. Mais depuis l’Antiquité (CICÉRON, De officiis, -44) la lutte contre la piraterie est une préoccupation internationale, le premier exemple historique d’une législation transnationale : les pirates sont considérés comme hostis humani generis (« Ennemi du genre humain »).
Une coalition internationale, comprenant également la Russie et la Chine, assure la lutte contre la piraterie en Mer d’Oman et dans l’Océan indien. Les pirates sont aujourd’hui les maillons taillables et corvéables à merci de mafias transnationales spécialisées dans la revente des cargaisons et des équipages aux compagnies d’armateurs, encaissant des dizaines de millions de dollars de profits (3 millions de dollars pour le Sirius Star, 2008), quand les pirates, souvent de pauvres hères équipés de manière dérisoire (Dhow, vedettes rapides, pirogues parfois), se contentent des risques (500 attaques mais seulement 50 détournements réussis, dont la moitié en Asie du Sud-Est) pour une miette des profits. Le droit international permet maintenant de les capturer et de les faire juger par les juridictions des pays des navires attaqués.
© ALI YÉRO Souleymane, Erwan BERTHO & Ronan KOSSOU (Février 2016)
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5.2 HISTOIRE DES ARTS Notice Drapeau des pirates des Caraïbes, Jolly Roger, 1700
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5.1 HISTOIRE DES ARTS Histoire-Géographie 2015-2016 Drapeau pirate
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