Première partie : question problématisée.
Pourquoi la période 1789-1793 constitue-t-elle une rupture ?
Vous mettrez en évidence les transformations politiques et sociales en vous appuyant sur quelques événements clés.
La contestation sociale des « gilets jaunes » en France a pu faire dire, comme souvent, à de nombreux commentateurs de la vie politique, que la France était en situation « prérévolutionnaire ». C’est dire si, deux siècles et demi après les événements, la Révolution française (1789-1799) fondait encore l’imaginaire politique des Français. Véritable événement fondateur de la vie politique moderne, jusqu’au très français « clivage gauche-droite », la Révolution française apparaît comme le prisme principal auprès duquel les événements politiques s’analysent en France.
Commencée en 1789 avec le Serment du Jeu de Paume (20 juin 1789), la Révolution française s’achève avec le coup d’État du 18 Brumaire AN VIII (1799) par Napoléon BONAPARTE qui devient Consul. « La Révolution est terminée, elle est fixée aux principes qui l’ont commencés » déclare-t-il alors pour garantir les acquis politiques en délaissant les questions sociales soulevées lors de la période jacobine montagnarde (1793-1795). L’exécution du roi LOUIS XVI le 21 janvier 1793 marque le virage radical de la « Terreur », voulue d’abord par les Girondins, mais qui traduit le profond malaise social du monde de la boutique et des artisans des villes, qui se sent laissé pour compte d’un processus révolutionnaire qui a surtout émancipé les campagnes. La fin des Girondins (2 juin 1793) marque une nouvelle séquence politique de la Révolution française.
Trop souvent réduite à des « journées », la Révolution française est aussi un lent processus de fond qui entraîne une transformation politique et sociale de la France, constitutive d’une rupture radicale avec le passé.
La période voit l’affirmation de l’idée de Nation, idée incarnée dans les transformations politiques (I) par le double phénomène, collectif de souveraineté nationale et individuelle de sécurisation des libertés individuelles. Les transformations sociales (II) marquent l’avènement d’une société sans privilège de naissance mais où la question sociale continue de se poser avec insistance.
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Les transformations politiques sont très nombreuses entre juin 1789, lorsque le Tiers-État se constitue en « Assemblée nationale », et juin 1793, lorsque les Girondins sont arrêtés ou exécutés : la France devient une monarchie constitutionnelle puis (1792) une République (1), fondée sur le principe de la souveraineté populaire. Pourtant les débats autour de la nature du régime sont nombreux et la Convention accapare de plus en plus de pouvoirs (2), au risque de la dictature d’assemblée.
Le « Serment du Jeu de Paume » (20 juin 1789), immortalisé par Jacques-Louis DAVID (1792), lors duquel les députés du Tiers-État des États généraux se constituent en « Assemblée nationale » et s’engagent à donner à la France une « Constitution » représente la principale rupture politique qui amorce la transformation politique de la France. Pour la 1ière fois, la France se dote d’un code écrit, fondé sur la raison et la technique juridique et les relations entre les pouvoirs ne sont plus fondées seulement par la coutume. De fait, l’idée de nation, qui transparaît dans le terme d’assemblée nationale, devient le concept clé de la pensée politique en France. D’un agrégat de peuples liés ensemble par leur serment de fidélité au roi ou intégrés au royaume comme patrimoine, les Français deviennent un peuple uni. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (août 1789) sanctionne la souveraineté de cette Nation dont la légitimité paraît même supérieure à celle du roi (Article 3, « […] Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. […] »). La constitution de 1791 qui établit la monarchie constitutionnelle intègre la DDHC dans son préambule et proclame que « […] tous les pouvoirs émanent de la Nation, et ne peuvent émaner que d’elle […] », et s’inspirant de De l’esprit des lois (1748) de MONTESQUIEU affirme que « […] le pouvoir législatif réside dans l’Assemblée nationale, composée des représentants de la Nation, librement et légitimement élus […] ».
Pour autant, la question politique est loin d’être réglée. Les représentants élus successivement (Députés des États généraux de 1789, Assemblée nationale législative de 1791, Convention de 1792) se fragmentent souvent en deux tendances que l’exercice du pouvoir, plus que les idéaux, tend à séparer : d’une part des radicaux qui veulent un régime sans roi, et des modérés qui souhaitent garder la forme monarchique du pouvoir. L’attitude des monarchistes et du roi va entraîner le délitement de la monarchie constitutionnelle : la fuite du roi à Varennes, les fusillades du Champs de mars, les tractations secrètes avec les puissances monarchiques décrédibilisent les soutiens à la royauté. Un accord de fond existe cependant sur les droits politiques individuels : la nuit du 4 août 1789 entraîne la fin de la société féodale (Abolition des droits féodaux, ouverture à tous des emplois civils et militaires, gratuité de la justice), la constitution de 1791 fonde le droit de vote (Pour une minorité cependant), la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclame « […] Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. […] » (Article 1er, 1789). Les élections de 1792 (Celle de la Ière République), qui ne rassemblent que 10% du corps électoral, portent au pouvoir des hommes aux 2/3 jeunes et nouveaux favorables à un régime d’assemblée unique : les Jacobins montagnards sont les hérauts de ce type de régime. De 1793 à 1795, c’est la « dictature d’assemblée » : le Comité de Salut Public et le Tribunal révolutionnaire (Avril 1793) fonctionnant ensuite sous le régime juridique de la « Terreur » (Octobre 1793) permettent la concentration entre les mains de l’assemblée des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaire. Les droits élémentaires de la défense sont suspendus, les appels impossibles. Des massacres de prisonniers royalistes (Massacres de septembre 1792) sont couverts par les autorités.
La dérive autoritaire de 1793 initiée par les Girondins, et amplifiée par les Jacobins (DANTON, ROBESPIERRE, SAINT-JUST), s’explique par les menaces militaires aux frontières, mais aussi par un fort mécontentement populaire, et en particulier à la lancinante question sociale qui n’a pas encore trouvé de solution.
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Les transformations sociales sont indéniables (1) : l’Ancien régime disparaît entre le 26 août 1789 (Proclamation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen) et le 2 novembre 1789 alors que les biens ecclésiastiques sont convertis en biens nationaux. Mais la question sociale, qui trouve son origine dans les derniers feux de la « Philosophie des Lumières », traverse l’ensemble du processus révolutionnaire (2).
L’abolition des privilèges seigneuriaux et ecclésiastiques lors de la nuit du 4 août 1789 constitue l’un des actes majeurs des transformations sociales initiées par le processus révolutionnaire. C’est le moment au cours duquel les sujets deviennent des citoyens égaux : les seigneurs laïcs ou ecclésiastiques abandonnent leurs privilèges financiers (Dîmes, corvées, mainmises sur les fours et moulins…) et honorifiques (Comme la justice seigneuriale). L’égalité devant l’impôt est proclamée, le privilège de chasse est aboli. Les provinces, les villes, les corporations sont elles aussi concernées. La société d’ordre devient « l’Ancien régime ». Dans les faits, les propriétaires sont les grands bénéficiaires de cette abolition car les droits sont rachetables : les plus riches des paysans et des « coqs de village » sont les premiers servis. Sur le moyen terme, les communautés paysannes refusent de payer et les droits sont progressivement abolis sans rachat. La vente des biens nationaux, et ceux du clergé d’abord (Novembre 1789), achève l’unité nationale, l’Église n’est plus un État dans l’État. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1789) accorde de nouveaux droits sociaux mais également de nouveaux devoirs : « […] Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talens […] » (Article 6) mais elle pose aussi le principe d’un impôt universel (« […] une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés […] », article 13). L’abolition de l’esclavage (1793) venait parachever ce grand œuvre de transformation sociale.
Les transformations laissent deux catégories de la population largement à l’écart de toute forme de « révolution » : les femmes et les pauvres. Les femmes ne manquent pourtant pas, dans le processus révolutionnaire, de visibilité : elles sont d’abord les héroïnes de bon nombre de « journées » révolutionnaire comme le 5 octobre où leur « marche sur Versailles » entraîne le retour du roi dans Paris. Elles sont ensuite représentées dans le monde intellectuel et politique par des femmes d’exception : c’est le cas d’Olympe de GOUGES, femme de lettre, défenseur de la cause abolitionniste dans sa pièce de théâtre Zamore et Mirza, ou l’heureux naufrage (1785), et dans son essai Réflexion sur les hommes nègres (1788). Elle rédige une Déclaration des droits et de la femme et de la citoyenne (1791). Elle qui écrivait « […] « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune. » […] » (Article 10) fut arrêtée et exécutée en 1793. On lui reprochait surtout d’avoir été une « Virago, femme-homme » mélangeant les genres et sortant de son rôle de femme. On reprocha la même chose à Manon ROLAND, épouse du ministre girondin, exécutée (1793) pour s’être mêlée de politique. Les pauvres furent également les oubliés de la Révolution. ROUSSEAU dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) avait pourtant déclaré « […] Celui qui ayant enclos un champs et dit ceci est à moi fut le vrai fondateur de la société civile […] » dénonçant la propriété comme un abus. Les Girondins comme les Jacobins se méfièrent des pauvres : les premiers appuyant le suffrage censitaire, les seconds excluant les domestiques et les travailleurs journaliers des suffrages. ROBESPIERRE fit exécuter les Hébertistes, favorables aux Sans-culottes, dont il condamnait le radicalisme politique.
En 1793, la révolution accentue son virage politique et social : la République « une et indivisible » devient le seul régime possible : les Français sont devenus des citoyens partageant également droits et devoirs quels que soient leurs talents, ou leur naissance. Les femmes et les pauvres restent des marginaux en politique comme dans la société où leur voix doit être inaudible.
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En 4 ans, de 1789 à 1793, la rupture avec l’Ancien régime est complète : d’une monarchie absolue, la France est devenue une République (1792) et les privilèges de naissance et de corporations sont abolis. La France se veut « une et indivisible », la Nation devenant le seul siège de la souveraineté. Mais les écarts avec le modèle imaginé pendant la « Philosophie des Lumières » sont nombreux : la Convention exerce une dictature d’assemblée, les femmes et les pauvres sont marginalisés. Un nouvel ordre social et politique patriarcal et capitaliste se met en place : il faudra attendre 1848 pour que le suffrage masculin soit véritablement universel, et un siècle de plus pour que les femmes soient reconnues comme des citoyennes de plein droit. La rupture est loin d’être achevée.
© Souleymane ALI YÉRO, Erwan BERTHO & Ronan KOSSOU (2020)
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