COMPOSITION PROGRAMME D’HISTOIRE « SÉRIES ES & L »
Les échelles de gouvernement dans le monde : l’échelle continentale. (2/3)
L’échelle continentale. Une gouvernance européenne depuis le Congrès de La Haye en 1948 (1/2).
Vous montrerez dans quelles mesures ont peut affirmer que les Européens, depuis le Congrès de La Haye en 1948, ont réussi à mettre en place une forme de gouvernance originale à l’échelle continentale ?
La sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne (UE), votée par les Britanniques lors d’un référendum (Brexit, 2016), engagée par Theresa MAY dès mars 2017, a semblé stupéfier les institutions européennes.
La construction d’une Europe politique a offert aux Européens soixante-quinze ans de paix, une période sans guerre internationale jamais vue depuis des siècles, et qui a été récompensée par l’octroi à l’UE du Prix Nobel de la Paix (2012). La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) et son effroyable bilan humain (60 millions de morts) et moral (Destruction des Juifs d’Europe et des Tziganes) a donné corps à l’idée européenne. Avant 1945, les projets européens (Projet de paix perpétuelle d’Emmanuel KANT, 1795, les « États-Unis d’Europe » de Victor HUGO, 1848) restaient des utopies. Le Congrès de La Haye (Pays-Bas, 194) rassemble les partisans de l’unité européenne mais montre aussi leurs divergences. Autour de Winston CHURCHILL, se regroupent les unionistes, partisans d’une union des États, autour de Denis de ROUGEMONT se regroupent les fédéralistes, partisans d’une construction politique supranationale. À cette opposition idéologique s’ajoute une fracture territoriale et géopolitique : à l’Est, sous la houlette de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), le « bloc de l’Est » propose lui aussi une Europe politique (1947-1991) crédible.
Comment comprendre qu’au terme de près d’un demi-siècle de tergiversations et de mutations, la construction politique en Europe qui s’est imposée soit celle de l’Europe social-libérale imaginée à La Haye en 1948 et poursuivie par l’Europe communautaire ?
Le projet communiste (1.1.) a construit pendant un demi-siècle (1947-1991) une forme de construction politique européenne, tandis qu’à l’Ouest, sous l’égide des États-Unis (1.2.) s’élaborait un assemblage composite et hétéroclite d’Organisations Intergouvernementales (OIG), à ambition variable, progressivement, absorbées par la mise en place de l’Europe communautaire (2.) que les fédéralistes appelaient de leurs vœux en 1948.
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Si la construction de l’Europe communautaire incarnée aujourd’hui par l’Union Européenne (UE) est la forme la plus spectaculaire de la construction d’une Europe politique (2) pendant la « Guerre froide » (1947-1991) de nombreuses autres formes de constructions politiques ont coexisté : à l’Est de la ligne Oder-Neiße le « Bloc soviétique » sous la tutelle soviétique (1.1.), à l’Ouest du « Rideau de fer » une constellation d’OIG généralement proaméricaines (1.2.).
L’Europe politique est d’abord un produit de la « Guerre froide » (1947-1991). De la proclamation des doctrines TRUMAN (mars 1947) et JDANOV (octobre 1947) à la disparition de l’URSS (décembre 1991), l’Europe est le théâtre de deux constructions politiques opposées. L’URSS constitue progressivement un « bloc soviétique » en Europe de l’Est. Elle rassemble autour d’elle les Pacifistes européens, souvent proches des partis communistes et donc de Moscou via le Kominform. Le Congrès Mondial de la Paix (1949, Athènes) est la première tentative soviétique de constituer un mouvement paneuropéen qui lui soit proche. Le « Pacte de Varsovie » (1955) qui organise et unifie les armées des États satellites de l’URSS permet la création d’une puissante force militaire. Le Russe est la langue officielle de cette alliance, les protocoles et les tactiques sont ceux de l’Armée rouge, le matériel lourd (Chars de combat, avions de guerre) ou léger (Fusils d’assaut) sont soviétiques. Il en résulte une remarquable interopérabilité des armées prosoviétiques. De ce fait, le « Pacte de Varsovie » représente la forme la plus aboutie jusqu’à aujourd’hui d’une Europe de la défense. L’URSS organise aussi progressivement la coopération économique en Europe de l’Est. Le Conseil d’Assistante Économique Mutuelle (CAEM) fonctionne essentiellement comme une Division Internationale du Travail (DIT) à l’échelle du « Bloc soviétique ». Les paiements sont effectués en rouble (la monnaie soviétique), parfois sous forme de troc, comme pour les échanges du sucre de Cuba contre le pétrole soviétique (1959). Association de régimes totalitaires, en faillite économique (1983, course aux armements), l’Europe politique constituée autour de l’URSS ne survit pas à la libéralisation politique (Glasnost) et économique (Perestroïka) voulue par GORBATCHEV (1985-1991). Les révolutions de velours (1989 en République Démocratique Allemande, RDA) balaient en deux ans les régimes prosoviétiques. À l’Ouest, les États-Unis favorisent la création d’OIG social-libérales qui renforcent la solidarité politique et économique entre leurs alliés européens et éloignent ainsi la perspective de voir les démocraties européennes séduites par le modèle soviétique. À l’échelle continentale, le Conseil de l’Europe (qui intègre aussi les pays prosoviétiques et reste à ce jour la seule OIG continentale en Europe) fait la promotion des droits de l’Homme : on lui doit l’adoption de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH, 1950), la mise en place d’une Cour Européenne des Droits de l’Homme, et de la première assemblée parlementaire continentale en Europe. À l’échelle macro-régionale l’Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE, 1948-1961) crée pour redistribuer le « Plan Marshall » (1947) est la première forme de construction politique supranationale en Europe de l’Ouest. L’Union de l’Europe de l’Ouest (1949, UEO), une des principales émanations du Congrès de La Haye (1948), est la première tentative de créer une Europe de la Défense. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN, 1949), à l’échelle macro-régionale, instaure une Europe élargie (Turquie, Canada) de la défense, mais sous commandement américain. À l’échelle régionale, le BENELUX (Belgique, Nederland et Luxembourg, 1948) est une ambitieuse association qui expérimente la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux en abaissant drastiquement contrôles aux frontières et taxes.
C’est pourtant l’Europe communautaire qui va incarner le mieux la construction d’une Europe politique. L’échec du Congrès de La Haye (1948) donne aux fédéralistes une méthodologie : construire l’Europe « à petit pas », par des « réalisations concrètes ». La « Guerre froide » (1947-1991) facilite l’arrivée au pouvoir à l’Ouest de démocrates-chrétiens, porteurs d’un programme de démocratie politique et sociale, favorables à la mise en place de « l’État-providence ». Libéralisme en économie, libéralisme en politique, les deux marqueurs forts de la construction de l’Europe communautaire sont posés dans le « Message aux Européens » (Denis de ROUGEMONT, 1948) et dans la « Déclaration SCHUMAN » (1950), qui inspire la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA, 1950). La CECA permet la mise en commun des ressources stratégiques entre les grands ennemis d’hier (France et Allemagne dans un premier temps) et instaure une « Haute autorité » présidée par Jean MONNET, organisme supranational qui satisfait les vœux des fédéralistes. Le refus par la France (1954) de la Communauté Européenne de Défense (CED) montre que les résistances à l’idée européenne sont encore fortes. Paul-Henri SPAAK (Belgique), Konrad ADENAUER (République Fédérale d’Allemagne, RFA), Joseph BECH (Luxembourg), Johan BEYEN (Pays-Bas), Alcide DE GASPERI (Italie) et Robert SCHUMAN (France) sont les artisans de la signature des « Traités de Rome » (1957) qui mettent en place l’Euratom et la Communauté Économique Européenne (CEE, France, Allemagne, Italie et BENELUX). La CEE a pour objectif de renforcer la coopération et l’intégration économiques entre les États membres et de mettre en place un « Marché commun ». La Commission européenne (Bruxelles) est l’organe supranational même si les commissaires sont nommés par les chefs d’États et de gouvernement et préservent les volontés des unionistes. La Commission accompagne « l’approfondissement » (Les délégations de compétences des États vers la commission) et « l’élargissement » (L’agrandissement géographique de l’Europe communautaire). Aux 6 États fondateurs s’ajoutent les pays riverains de la Mer du Nord (3 en 1973) puis de l’arc méditerranéen (Grèce en 1981, péninsule ibérique en 1986). L’Europe politique s’incarne dans des politiques concrètes (Politique Agricole Commune, PAC en 1962, Fonds Européen de Développement Économique et Régional, FEDER), et dans des symboles (Drapeau du Conseil de l’Europe, 9 mai déclaré jour de l’Europe, hymne européen l’Ode à la joie de SCHILLER sur une musique de BEETHOVEN). La fusion des communautés (Intégration de la CECA et d’Euratom dans la CEE, 1965) renforce la dynamique politique incarnée par la CEE, qui s’impose progressivement comme la forme la plus ambitieuse et la plus réussie de l’idée européenne. Sous l’impulsion d’un européeaniste convaincu, Jacques DELORS, président de la Commission européenne (1984-1995), les 12 signent l’Acte unique (1986) qui amorce le passage du marché commun (Disparition des barrières douanières) au marché unique (Libre circulation des capitaux, des biens, des personnes et des services), fait la promotion d’une Europe de plus en plus supranationale : c’est l’annonce du Traité de Maastricht (1992). Les dirigeants politiques européens ne sont pas touchés par la grâce européaniste : les « Chocs pétroliers » (1973-1974 et 1979), la stagflation (1975-1995), la désindustrialisation, la concurrence des pays asiatiques (et notamment du Japon) finissent par les convaincre que l’Europe unie sera plus forte face aux aléas économiques. En dépit de l’extension des pouvoirs du Parlement européen (1979, Strasbourg), l’Europe des démocraties reste très peu démocratique. Et les droits sociaux des peuples, qui restent de la compétence des États, ne sont guère une préoccupation des élites de Bruxelles.
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Passée de 6 à 12 membres, renforcée par son dynamisme économique et ses ambitions politiques, l’Europe communautaire à la veille de la signature du Traité de Maastricht (1992) semble plus puissante que jamais. La vision fédéraliste esquissée à La Haye (1948) paraît avoir triomphé des égoïsmes nationaux. Pourtant, les peuples européens frappés par les délocalisations, le chômage et rebutés par la présentation excessivement techniciste des avancées européennes sont de moins en moins séduits par la construction européenne.
© Erwan BERTHO (Mai 2015, 2017, révision août 2019)
Pour voir les sources, consultez hglycee.fr/Sources & Ressources/ les sources
© Bibliographie, veille médiatique et synthèse établies par Erwan BERTHO (Mai 2015, révision Mai & Juin 2017)
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COMPOSITION HISTOIRE 4.2.1 corrigée Une gouvernance européenne de 1948 à 1992
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