COMPOSITION
Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde entre 1918 et 1945.
Vous montrerez comment les États-Unis se sont progressivement adaptés à leur statut grandissant de superpuissance mondiale ?
Entre la proclamation des « 14 points du président WILSON » (1918) et la fin de la Seconde Guerre mondiale (Capitulation sans condition du Japon, 2 septembre 1945), l’hypothèque de l’isolationnisme relatif de la première puissance économique et militaire de la planète est levée : les États-Unis assument les responsabilités qui incombent à leur statut de « supergrand ». Pour autant, l’entrée dans la Seconde Guerre mondiale, en elle-même graduelle, formalisée le 8 décembre 1941 n’est que l’aboutissement d’un chemin diplomatique et idéologique entamé bien avant le Wilsonisme et marqué par plus d’interventionnisme géopolitique que la mémoire collective n’a bien voulu s’en souvenir.
Dans quelles mesures peut-on affirmer que la politique étrangère américaine dans l’entre-deux-guerres (1919-1939) peut être qualifiée d’isolationniste ?
Dans un premier moment, on peut affirmer que (1.) la tradition isolationniste américaine, qui plonge ses racines dans l’idéologie puritaine des « Pères pèlerins » et des « Pères fondateurs », fut largement battue en brèche bien avant la Première Guerre mondiale, on peut donc affirmer ensuite (2.) que le Wilsonisme rompt plus avec les modalités de l’interventionnisme américain qu’avec ses principes et que (3.) l’isolationnisme américain qui connaît une résurgence idéologique dans les années trente reste cantonné, dans les milieux dirigeants, à une élite conservatrice WASP de plus en plus contestée au fur et à mesure que la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) s’avance.
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Les États-Unis ont une tradition diplomatique et militaire dite volontiers isolationniste, un terme en Europe que l’on confond souvent avec une tentation autarcique voire autistique, ce qui n’a jamais été le cas. Au cours du XIXe siècle et lors de la « Belle époque » (1896-1914) les États-Unis font même preuve d’une agitation impériale qui les conduit jusqu’aux Philippines, avant port de la Chine.
Les colonies américaines anglo-saxonnes sont le produit de deux types distincts de peuplement : au Sud, les colonies sont concédées par les monarques, et accueillent une population blanche, aristocratique, protestante, vivant sur des grands domaines de cultures d’exportation (Tabac, coton) où la main d’œuvre servile joue un rôle économique vital. Chaque colon est maître de sa famille et de son domaine dans lesquels il est un petit monarque. Les colonies portent alors des noms de roi (Géorgie) ou de reine (Maryland, Caroline, Virginie). Les colonies du Nord sont peuplées d’une immigration européenne puritaine ou mennonite, fuyant les persécutions religieuses, désirant fonder un « Nouveau Monde » comme en témoigne les noms des États (New Jersey, New Hampshire…) ou des villes (New York). Créées par la volonté de pèlerins convaincus (Pennsylvanie, la forêt de William PENN), ces colonies vivent dans un idéal de pureté et de régénération, persuadées d’incarner un nouveau peuple élu, au dessus des autres (John WINTHROP, 1690, « City upon the Hill »). Cet idéal de retranchement s’incarne à l’indépendance (1782) par un isolationnisme que George WASHINGTON (1789-1796) dans son discours d’adieu au Congrès (et publié largement sous forme de lettre ouverte) justifie en déclarant « […] L’Europe a un ensemble d’intérêts primordiaux, qui avec nous n’ont aucun rapport […] » rappelant à son tour « […] notre situation si particulière […] ». C’est ce qu’on appellera le « testament de WASHINGTON » et qui pose les principes du non-entanglement, la « non-implication ». Un autre « Père fondateur », Thomas JEFFERSON, également président des États-Unis, va même jusqu’à prétendre que les pays européens « […] sont des nations condamnées à la guerre éternelle. […] ». Cet isolationnisme cependant ne s’applique pas au continent américain : James MONROE formalise la doctrine diplomatique sous la formule « L’Amérique aux Américains ». Une formule qui peut soit s’entendre comme la volonté d’exclure les Européens d’Amérique, mais aussi comme le rappel que le continent dans son entier est la chasse gardée (Backyard, le jardin) des États-Unis. De fait, la théorie de la « Destinée manifeste » (O’SULLIVAN, 1848) fait bien de l’Amérique du Nord le prolongement naturel du territoire des États-Unis. Et, de fait, la « doctrine MONROE » (1823), si elle veille bien à exclure les Européens d’Amérique, n’empêche par un interventionnisme américain très actif : après avoir dépossédé le Mexique de la moitié de sa superficie au Nord du Rio Bravo (1848), ils s’étendent dans le Pacifique (Annexion de l’archipel des îles Hawaï, 1893) puis en Asie (Ouverture forcée du Japon, 1853) qu’ils colonisent en partie (Philippines, 1898). Cette politique de sécurisation de leur frontière et de leurs intérêts les conduits aussi à intervenir en Amérique centrale (Panama, 1903), puis en Haïti (1915) et enfin en République dominicaine (1916). Théodore ROOSEVELT (1901-1908) va même jusqu’à déclarer devant le Congrès que les États-Unis peuvent être forcés : « […] à exercer un pouvoir de police internationale […] » (1904). C’est le temps des « Républiques bananières » ou le Big Stick sert à de nombreuses reprises.
Le Wilsonisme est-il une rupture dans la tradition diplomatique américaine. Oui et non. Non dans la mesure où l’isolationnisme américain avant 1917 est très relatif. De plus en plus impériale, la diplomatie américaine n’a reculé devant aucune guerre pour protéger les intérêts géostratégiques ou économiques des États-Unis. Cependant le projet de WILSON d’une Société Des Nations (SDN, Congrès de Versailles, 1919) proposé dans les « 14 points du président WILSON » (1918, discours sur l’État de l’Union) engagerait automatiquement les États-Unis dans le règlement de querelles diplomatiques graves, voire dans des conflits. Et plus que l’interventionnisme, c’est le systématisme de ces interventions en germe dans la SDN qui effraie un Congrès américain (1920) qui désire garder sa liberté diplomatique. Si le Congrès républicain qui domine sans discontinuer (1918-1932) se fait l’écho des franges les plus conservatrices de la société américaine (Prohibition de l’alcool inscrite dans le 18e amendement de la Constitution, 1919-1933, loi sur les quotas d’immigrés renforcée), l’économie américaine, elle, se rue sur l’Europe. En investissant davantage en Allemagne et en Autriche, les États-Unis font pression sur la Grande-Bretagne et la France, via les dettes que ces deux États ont contractées pendant la Première Guerre mondiale (1914-1919) pour que les réparations allemandes exorbitantes (270 millions de Marks-Or) soient réduites, afin de ne pas asphyxier le pays qui est devenu leur principal marché européen. C’est le sens du plan du « Plan DAWES » (1924) puis des « Accords YOUNG » (1929). IBM, qui fabrique alors des machines à cartes perforées, The Coca Cola Company, qui produit et vend son Coca Cola (C’est sa filiale allemande qui développera le Fanta après épuisement des stocks de Cola pendant la Seconde Guerre mondiale), les grandes banques d’affaires, dont Goldman Sachs, investissent au-delà du raisonnable. Alors que les investissements américains dans le monde ont doublé depuis 1919 pour culminer à 15 milliards de dollars (1929), les investissements américains en Europe représentent un tiers des investissements américains à l’étranger. Le krach de Vienne contamine New York (1929) entraînant la « Grande dépression » qui à son tour se diffuse au Reste Du Monde (RDM) : la Grande-Bretagne dès 1930, la France à partir de 1932. C’est dire si les économies mondiales étaient déjà imbriquées et dépendantes de l’économie américaine. L’isolationnisme relatif des États-Unis est surtout frappant rétrospectivement quand on analyse la proximité idéologique et la sympathie de la classe dirigeante américaine et d’une partie du Congrès avec les régimes autoritaires d’Europe (Italie de MUSSOLINI, Portugal de SALAZAR, Espagne de FRANCO, France de PÉTAIN). La classe dirigeante américaine, constituée de White Anglo-Saxons Protestants (WASP), riche et quasi aristocratique (Les descendants du Mayflower, 1620) est confrontée à des grèves massives (Massacre de Ludlow, Colorado, 1914) et ne cache pas sa fascination pour les régimes qui répriment les mouvements syndicaux et politiques socialistes révolutionnaires. D’où la politique d’apeasement promue par cette caste dirigeante, y compris démocrate comme l’est l’ambassadeur des États-Unis en Grande-Bretagne, Joseph KENNEDY. Dans une certaine mesure, c’est l’isolationnisme politique forcené de la diplomatie américaine de l’Entre-deux-guerres (1919-1939) qui constitue une exception par son radicalisme. L’anticommunisme – dont J. Edgard HOOVER, fondateur du FBI, 1924, ou Howard HUGHES dans l’aéronautique sont des chantres célèbres – sert de ligne directrice à la politique étrangère américaine.
L’intelligentsia américaine n’est cependant ni unanime ni aveugle aux soubresauts du monde. D’une part les intérêts économiques américains sont gravement menacés en Asie de l’Est et du Sud-Est au fur et à mesure que les armées impériales japonaises prennent pied en Chine, où la guerre a repris dès 1932. L’incident de Moukden (1931), la prise de Nankin (1937, 200 000 morts civils), le projet japonais de sphère de coprospérité des nations asiatiques visent clairement à l’expulsion des Occidentaux et donc des Américains d’Asie orientale. D’autre part des artistes et des écrivains, des journalistes, souvent clairement marqués à gauche, partent en Europe : Ernest HEMINGWAY par exemple (Pour qui sonne le glas ?, 1940), Gertrude STEIN qui soude la fameuse « Génération perdue », William MARCH (Graine de potence, Compagnie K) et bien sûr John Scott FITZGERALD (Gatsby le Magnifique, 1925)… Installés en France, ces intellectuels témoignent pour leurs compatriotes du caractère universel des combats menés contre le fascisme par les Européens. Minoritaires, ils sont cependant des leaders d’opinion efficaces et permettent de créer un contre courant idéologique au sein de la classe dirigeante. Le silence des États-Unis après l’invasion italienne de l’Éthiopie (1935), la guerre civile en Espagne (1936-1939) ou les annexions nazies (1938) renforce la détermination et l’agressivité des régimes totalitaires. La réélection de ROOSEVELT (1940) permet cependant à son administration de porter une politique plus ambitieuse : loi Prêt-bail (mars 1941) qui permet un approvisionnement des Alliés à des conditions avantageuses, la Charte de l’Atlantique (août 1941) qui propose « […] d’assurer à toutes [les nations] la sécurité en matière sociale […] » (Article 5) et veut « […] rétablir une paix qui fournira à toutes les nations les moyens de vivre en sécurité […] » (Article 6). L’attaque japonaise sur la base navale de Pearl Harbour à Honolulu dans les îles Hawaï (7 décembre 1941) permet alors un effort de guerre total des États-Unis. La Déclaration des Nations Unies (1942) pose les bases de la reconstruction du monde selon un projet global économique et diplomatique dont les États-Unis se portent garant. La conférence de Brettons Wood (1944) qui voie la création de la Banque Internationale de Reconstruction et de Développement (BIRD) et du Fonds Monétaire International (FMI), la Conférence de San Francisco (1945) qui marque la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) manifestent la volonté interventionniste américaine autant que des moyens de superpuissance dont disposent les États-Unis, seule puissance capable de garantir la paix et la croissance mondiale. Le projet wilsonien est donc repris, mais dans une dimension globale (Sociale et politique) et mondiale (Incluant de facto la question coloniale) qui transforme la nature même de la présence américaine vis-à-vis du monde. La Victoire (1945) consacre définitivement la « Destinée manifeste » et accorde un blanc-seing moral aux États-Unis. La guerre avait considérablement dopé l’industrie américaine en la diffusant dans des régions marginales et agricoles (Californie), elle avait stoppé les effets délétères de la « Grande dépression » et donné à l’armée américaine (Bombe atomique, flottes de Porte-avions, bombardiers stratégiques…) une capacité de déploiement opérationnel sans commune mesure avec celle des autres puissances. Les États-Unis n’étaient plus seulement à même d’exercer un leadership mais une véritable hégémonie sur le monde.
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La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) est la matrice technique de la superpuissance américaine du second XXe siècle. Mais le corpus idéologique qui donne à la « Destinée manifeste » une dimension mondiale se met en place avec l’affirmation de l’impérialisme américain, qui mute durant le long XIXe siècle pour passer d’une défense étriquée des intérêts financiers immédiat des États-Unis à un projet de paix et de sécurité économique globale. Placée sous la garantie monétaire et militaire de l’Amérique, dont le modèle d’organisation sociale, l’American Way of Life, devient le paradigme universel de la prospérité et des chemins pour y accéder, la paix dans le monde fait des États-Unis une « superpuissance » avec laquelle seule l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) peut rivaliser.
© Erwan BERTHO (2015, révision janvier 2016, révision juin 2017)
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COMPOSITION HISTOIRE 3.1.1 corrigée Les Etats-Unis et le monde depuis 1918
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