DOCUMENTS DE COURS – GEOGRAPHIE: « Le 52e salon de l’agriculture de Paris, février 2015 »

Agriculture et développement durable : le monde agricole en première ligne face au changement climatique

52e SALON DE L’AGRICULTURE DE PARIS, FÉVRIER 2015 ET LES ENJEUX AGROALIMENTAIRES DU IIIe MILLÉNAIRE

Le président de la République française, François HOLLANDE, a visité, le samedi 21 février 2015, le 52e Salon de l’agriculture de Paris, installé Porte de Versailles. Passage obligé dans l’année politique, la visite du chef de l’État sert de baromètre dans les relations entre le pouvoir exécutif et le monde agricole. Si le parcours du chef de l’État a été tranquille et plus long que prévu, c’est parce qu’il avait aussi auparavant donné de sérieux gages aux Industries Agroalimentaires (IAA) qui dominent le secteur. Le quotidien français Le Monde raconte…

Le 52e Salon de l’Agriculture de Paris, installé Porte de Versailles au Parc des Expositions, est un moment quasi rituel dans la vie des Franciliens qui viennent y voir les animaux de la Ferme. La scénographie fermière rappelle que la France, pays urbain à 96% en comptant les zones périurbaines, reste un pays qui se rêve rural. Mais c’est surtout un moment obligé de l’année politique, rythmé par les visites des personnalités partisanes et des ministres du gouvernement. Ce rituel quasi liturgique entre la France et la Ferme peut surprendre dans un pays où le monde rural s’est rétréci et où les paysans ont quasiment disparu, représentants maintenant moins de 1% de la population française.

Accueillant, sur les 7 halls du Parcs des Expositions de la Porte de Versailles, les 4 663 participants du Concours général agricole, le Salon de l’Agriculture de Paris n’est pas seulement une exposition des produits de la ferme (Dont plus de 4 000 animaux) particulièrement attractive et démocratique (700 000 visiteurs en 2014) c’est aussi un défis logistique (Il faudra 230 tonnes de pailles et plus de 1 000 tonnes de tourbe pour satisfaire les besoins divers des animaux des 1 000 exposants) et un rendez-vous économique.

Cette année c’est devenu aussi un enjeu géopolitique : l’Organisation des Nations Unies (ONU) ayant consacré l’année 2015 année international du « sol et de la lumière », après une année 2014 consacrée aux « agricultures familiales », l’agriculture est devenue un des rouages de la lutte contre le changement climatique et ses effets.

L’enjeu revêt en France une actualité particulière dans la mesure où Paris accueillera en décembre 2015 la Conférence mondiale sur le climat organisée par les Nations Unies. L’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2°Celsius (°C) a mobilisé jusqu’à présent les acteurs de la transition énergétique. Aujourd’hui les experts mettent les paysans en première ligne, non pas tant pour l’impact économique de l’agriculture (Responsable en France de 18% des émissions de gaz à effet de serre, source Institut National de la Recherche en Agronomie, INRA) que parce que les paysans sont les premières victimes des changements climatiques.

La lutte contre la faim dans le monde télescope les efforts environnementaux. La sécurité alimentaire de centaines de millions d’habitants est en jeu. Aujourd’hui 850 millions de personnes sont malnutries ou sousnutries (Source Food and Agricultural Organization, FAO). En 2080, 600 millions de personnes supplémentaires pourraient se trouver en situation d’insécurité alimentaire (Source Programme des Nations Unies pour le Développement, PNUD).

La population va continuer de croître (On comptera 9 milliards d’êtres humains en 2050) et il faudra alors augmenter de 70% la production alimentaire mondiale pour nourrir convenablement tous les hommes. Mais le prix des denrées alimentaires augmente régulièrement, celui des denrées de base (Comme les céréales) mais aussi celui des produits intermédiaires comme les huiles alimentaires : en conséquence les exclus d’une alimentation suffisante en quantité, et complète en qualité, sont de plus en plus nombreux. Le prix des produits de base de l’alimentation va doubler entre 2010 et 2030 (Source OXFAM).

Depuis 2008 et les émeutes de la faim (Dakar, SÉNÉGAL), les tensions sur les prix des produits de base ont systématiquement dégénérées en révoltes populaires, voire en révolution (TUNISIE, 2010-2011). Le « Printemps arabe » cache aussi un accès de plus en plus difficile dans certains pays du Sud à une alimentation correcte.

Les populations du Sahel font figure de premières victimes potentielles d’un dérèglement climatique : 80% des habitants sont des ruraux, faiblement monétisés et incapables de supporter l’augmentation du nombre de période de sécheresse ou un renchérissement brutal du prix des céréales.

Selon le Groupement Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC, ONU), les rendements agricoles vont baisser en moyenne de 2% par décennie à cause des changements climatiques : la quantité de produits agricoles produite va donc baisser, surtout dans les zones tropicales qui seront les plus affectées par le changement climatique. Au NIGER, les pluies sont plus espacées et plus intenses, irriguant mal les champs, elles provoquent des inondations meurtrières, dégradent les sols fertiles et aggravent l’érosion des pentes des vallées (Source Ali Abdou BONGUÉRÉ, coordinateur du réseau national Climat et développement au NIGER).

Les cultures seront moins productives mais elles seront aussi moins importantes : le changement climatique érode la productivité mais par le biais des accidents météorologiques il espacera de plus en plus les années de bonnes récoltes. Le prix des produits agricoles sera donc plus élevé et surtout plus volatile car les productions seront de plus en plus inégales selon les années. En France les cultures arrivent à maturité de plus en plus tôt dans l’année, le degré d’alcool des vins augmente du fait de températures plus clémentes : le changement climatique a donc déjà des effets visibles sur les cultures.

Les populations rurales des Pays en Voie de Développement (PVD) et dans les Pays les Moins Avancés (PMA), surtout dans les zones de cultures de rente et d’exportation, seront les premières touchées : il leur sera de plus en plus difficile d’avoir accès à des prix acceptables aux produits alimentaires. Car la faim dans le monde n’est seulement une question d’adéquation entre une quantité de mangeurs et une quantité de produits : la répartition des quantités produites reste la clé de la lutte contre la faim dans le monde. Ainsi que la financiarisation et la bancarisation des ruraux. Un pays peut produire assez pour nourrir sa population sans que celle-ci ait les moyens d’acheter de la nourriture. Par ailleurs l’augmentation des rendements agricoles passe souvent par des investissements que les paysans, coupés du secteur bancaire, sont incapables d’engager.

La lutte contre la faim et celle contre le changement climatique sont donc toujours des questions sociales.

En France, la priorité est donnée d’abord à la vieille antienne de la lutte contre le gaspillage : celui de l’eau au premier chef, mais aussi celui des denrées agricoles, dont près de 30% sont perdues (Pourrissement lors du stockage ou du transport, puis jetées sans avoir été consommées…).

C’est la question de l’agriculture intensive qui est aussi posée : en France, l’agriculture ne produit que 3% des émissions de Carbone mais 87% du protoxyde d’azote (N²O) lié aux fertilisants chimiques et 70% du méthane (Lié aux ruminants), deux gaz dont le potentiel de réchauffement climatique est respectivement 300 et 25 supérieurs à celui du CO2). Si les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 12% ces vingt dernières années (Source Fédération National des Syndicats d’Exploitants Agricole, FNSEA), l’élevage s’intensifie et avec lui les importations de soja, ce qui augmente le bilan carbone de l’agriculture française et réduit d’autant les terres arables consacrées à des cultures vivrières.

Pour les professionnels du secteur agricole, l’agriculture doit s’engager dans la recherche et l’innovation pour augmenter les rendements, c’est-à-dire plus brutalement : accepter plus largement les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM). Le Groupement National Interprofessionnel des Semences (GNIS) qui regroupe les semenciers français (Comme l’entreprise Limagrain) ou internationaux (Comme Monsanto) milite pour une déréglementation de la production des OGM. Stéphane LE FOLL, Ministre de l’Agriculture, dans son projet « Agriculture-Innovation 2015 » propose d’ores et déjà un assouplissement des protections environnementales sur les biotechnologies.

Pourtant, les relations entre le monde agricole et l’agrobusiness ne sont pas simples. En particuliers avec la grande distribution, accusée de tirer exagérément les prix vers le bas et contribuant, de fait, à la paupérisation accrue des paysans, par ailleurs de plus en plus soumis, depuis la réduction de voilure de la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union Européenne (UE), à la concurrence internationale.

Cependant, le réseau de la grande distribution représente aussi pour nombre de petits exploitants une possibilité de diversifier leur clientèle : ainsi 9 producteurs de miel de Corse ont signé (2014) avec Carrefour un accord portant sur 3 tonnes de miel, leur permettant d’avoir un débouché commercial hors de l’île, débouché qu’il leur aurait été plus difficile d’avoir sans une grande marque à leurs côtés. En 2015 le groupe Carrefour souhaite se porter acquéreur de près de 30 tonnes de ce miel : une aubaine pour des agriculteurs un peu captifs de leur insularité.

Mais dans la plupart des cas, les agriculteurs sont dépendants des grandes marques de distribution. Celles-ci négocient en position de force, via leurs centrales d’achats qui déterminent les prix de la filière avec les quantités énormes qu’elles achètent. Or, cette année, les centrales d’achats d’Auchan, « Super U », Intermarché, Casino, Carrefour et Cora se sont alliées pour négocier les prix, faisant passer le nombre de centrales d’achats de 6 à trois, et renforçant d’autant leur poids quasi monopolistique. Les revenus des producteurs de lait et de viande sont directement liés aux prix des produits proposés en grandes surfaces et donc aux prix négociés par les centrales d’achats. Le rapport de force dans les négociations est donc évidemment asymétrique et très largement en défaveur des producteurs.

C’est l’une des raisons de la forte présence cette année au Salon de l’Agriculture de Paris 2015 des marques de la grande distribution, dont la plus remarquée est la marque allemande de hard discount Lidl. La marque tente de redorer son image en faisant la promotion des produits français, allant dans le sens de la volonté présidentielle de vendre des produits de saison, et de privilégier les filières les plus courtes (Du producteur au distributeur). La marque allemande soutient ainsi vendre 70% de produits issus de Petites et Moyennes Entreprises (PME) hexagonales (Source Lidl).

La qualité des produits agricoles et leur traçabilité sont devenues les enjeux commerciaux majeurs pour les grandes marques de distribution, surtout depuis la multiplication des scandales sanitaires et alimentaires de ces dernières années. Les grandes marques veulent aussi développer les produits dits « du terroir » afin de répondre à la demande des consommateurs qui recherchent des produits authentiques. Quitte à développer des labels concurrents à ceux de l’État. La marque Carrefour avait ainsi tenté de développer son label d’entreprise « Origine&Qualité ». Mais la filière agricole y a vu une tentative pour détourner les labels qualité établis par l’État. L’Institut National des Appellations d’Origine, INAO) a contraint en 2014 la marque à n’apposer son label que sur les produits estampillés Indication Géographique Protégée (IGP) et Appellation d’Origine Protégée (AOP), appellations pourtant moins contraignantes que l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC).

Les grandes surfaces tentent de contourner les contraintes de la réglementation en apposant des étiquettes tricolores sur les produits fabriqués en France, alors même que la réglementation sur le made in France est très souple, (Il suffit que plus de 50% de la Valeur Ajoutée, VA, ait été réalisée en France pour avoir le label), sans préciser sur les produits agroalimentaires le mode de production (artisanal ou industriel). Parfois le drapeau de l’UE est apposé sur les emballages des produits, ce qui ne veut rien dire sinon que le processus de fabrication a pu se faire dans un des 27 États de l’Union. Entre qualité et marketing, la grande surface a encore du mal à choisir l’engagement de qualité et donc de traçabilité.

Mais les relations ne sont pas que conflictuelles. Certaines enseignes de la grande distribution possèdent leur propre filière agroalimentaire : le « Groupement des mousquetaires » (Intermarché) possède ses propres marques (Ce qu’on appelle dans la grande distribution les « marques distributeurs ») et sa filiale agroalimentaire (64 usines, 23 bateaux de pêche, ce qui en fait la première flottille de pêche de France et d’Intermarché le premier armateur de France) fournit 45% des marques Intermarché. Le « Groupement des Mousquetaires » se fournit exclusivement en France pour le lait, le beurre et le porc et compte bien faire de même rapidement pour la volaille.

Il s’agit là d’un cas limite car les paysans et les pêcheurs sont dans une situation ambigüe entre salariat et artisanat. On reste loin de l’idéal du petit producteur fermier livrant chaque matin ses produits frais à l’épicerie du village. Mais ce modèle fantasmé de vie quotidienne des Français tient plus à une réinvention nostalgique de leur passé qu’à une envie de changement de modes de consommation : les Français continuent par ailleurs de faire leurs courses domestiques dans les rayons des grande surfaces. Et même si l’image de ces distributeurs est dégradée, ils restent le point de vente majeur des produits consommés par les Français.

Autre vœux pieu, les produits « bio ». Le secteur du bio progresse en volume (+10% par an, représentant, en 2014, cinq milliards d’Euros de CA, Source Agence bio) mais stagne en terme de cible, ayant du mal à dépasser la niche socio-économique des « Bo-Bo », Bourgeois-Bohêmes des grandes agglomérations, population diplômée, avec de hauts revenus, et peu ou pas d’enfant.

Le réseau BioCoop (580 millions de Chiffre d’Affaire, CA), groupement coopératif militant, est lui aussi présent au 52e salon de l’agriculture. Car, si la demande en produits bio reste soutenue, l’agriculture française a encore du mal à s’y engager : représentant 4% des exploitations agricoles (mais 7% de la main d’œuvre agricole, soit 64 000 salariés, preuve qu’elle est créatrice d’emplois) l’agriculture bio reste marginale. Les parcelles converties au bio ont régressé cette année passant de 130 000 hectares (2013) à 100 000 hectares (2014). Une tendance visible depuis deux années consécutives. Les secteurs les moins convertis restent celui des produits laitiers et des céréales, très liées aux IAA.

Lorsque les exploitants sortent gagnants financièrement d’une alliance avec la grande distribution c’est souvent en compensant les prix bas demandés, par une augmentation spectaculaire des volumes, entraînant par ailleurs un changement dans la nature de leur activité. Ainsi l’article du Monde (GIRARD&TONNELIER, 21 février 2015) présente le cas de Christian JOUFFRET, producteur de pommes à Cavaillon (Département du Vaucluse) et fournisseur de pommes « galas », « pink », « ladys » et « grannys » pour les enseignes Lidl, Dia et Intermarché : il cultive 400 hectares soit 10 fois plus qu’avant son contrat avec la grande distribution, conditionne 50 000 tonnes de pommes sur 1 000 hectares, dont 35 000 tonnes sont fournies à la grande distribution. Son CA est maintenant de 50 millions d’Euros (€). Cette réussite s’est faite cependant en passant de l’agriculture familiale à l’agriculture industrielle, dont on connaît les dangers et la séduction pour la bio mutagénèse (OGM) et les intrants chimiques.

Si les producteurs de pommes sont aujourd’hui montrés du doigt, c’est aussi parce que le conditionnement des pommes, qui leur permet d’être belles et brillantes pendant 12 mois après leur récolte, utilise des produits chimiques (Dont ceux de Dow Chemical) qui en masquent l’altération des qualités nutritionnelles.

On le voit, le 52e Salon de l’Agriculture de Paris reflète toutes les complexités d’une agriculture de plus en plus liée aux IAA et aux circuits de distribution en grandes surfaces, qui revendique une participation plus grande aux marges des enseignes de la grande distribution, mais qui cède aussi facilement aux sollicitations des Firmes Transnationales (FTN). Celles-ci utilisent de plus en plus l’image d’Épinal d’une agriculture fermière aux produits dits authentiques, alors que les contraintes commerciales accentuent l’industrialisation de l’agriculture. Or cette agriculture industrielle, responsable par ses dérives de la pollution des eaux et des sols, n’a pas permis de trouver un remède à la faim dans le monde.

© Erwan BERTHO (2015)

SOURCES :

EECKHOUT (Laetitia, van), « Le changement climatique menace la sécurité alimentaire mondiale. », in, 2015, Le Monde, daté du dimanche 22 février-Lundi 23 février 2015, n°218014, Cahier « Éco&Entreprises », page 4.

GIRARD (Laurence) et TONNELIER (Audrey), « Agriculteurs-distributeurs : l’amour vache. », in, 2015, Le Monde, daté du samedi 21 février 2015, n°218013, Cahier « Éco&Entreprises », page 2.

GIRARD (Laurence) « Biocoop veut convaincre les agriculteurs. », in, 2015, Le Monde, daté du samedi 21 février 2015, n°218013, Cahier « Éco&Entreprises », page 2.

GIRARD (Laurence) « Le climat s’invite au salon de l’agriculture », in, 2015, Le Monde, daté du dimanche 22 février-Lundi 23 février 2015, n°218014, Cahier « Éco&Entreprises », page 4.

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