DOCUMENTS DE COURS – GÉOGRAPHIE – L’Afrique, les défis du développement (3/3), « L’Afrique face à l’émergence. »

COMPOSITION GÉOGRAPHIE

Dynamiques géographiques des grandes aires continentales. 

L’Afrique, les défis du développement. Le continent africain face au développement et à la mondialisation. (3/3)

Le continent africain face aux défis de l’émergence. 

Vous montrerez dans quelles mesures on peut affirmer que l’insertion croissante de l’Afrique dans la mondialisation a entraîné un développement accru et significatif ?

                Les investissements massifs réalisés par les puissances du Sud comme le Brésil et la Chine en Afrique ces dernières années, les fortes croissances des Produits Intérieurs Bruts (PIB) de certains États du Nord (Maroc) ou du Sud (Afrique du Sud) du continent contrastent avec les images chocs des colonnes de réfugiés (Soudan du Sud, Centrafrique) et l’insécurité chronique (Région des Grands Lacs, Sahel). L’Afrique est-elle enfin partie ?  Le sujet invite à lier la mondialisation (Interconnexion et interdépendance croissantes des territoires via les échanges commerciaux et culturels) et développement (Augmentation de la capacité d’agir des individus par l’amélioration de leurs conditions de vie, pour reprendre la définition d’Amartya SEN, 1970) : la mondialisation créé-t-elle du développement en Afrique ? En privilégiant une approche géohistorique (Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du monde, GRATALOUP, 2012), il faudra montrer, au contraire de nombreuses idées reçues, que l’Afrique est fortement insérée dans la mondialisation culturelle et même celle de l’économie libérale en dépit d’un poids en valeur minime (I.) mais qu’elle reste, peut-être à cause de sa forte insertion dans la mondialisation, le continent d’un développement lent et très inégalement distribué (II.), et ce à toutes les échelles géographiques et sociologiques. Enfin (III.) il faudra analyser les tendances récentes, celles d’une montée en gamme des économies africaines au sein de la mondialisation et d’une diffusion plus rapide du développement économique et social.

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L’émergence de l’Afrique est à la fois politique et géopolitique (1.), sanitaire et sociale (2.) et économique (3.). Si les dynamiques sont encourageantes, l’équilibre du continent reste fragile et dépend largement de la ténacité des gouvernements à garder le cap mais aussi à la solidarité internationale qui doit accompagner les efforts nationaux et régionaux des organisations intergouvernementales et des peuples.

                La situation politique africaine ne peut se saisir sans prendre en compte l’histoire politique récente. La fin de la « Guerre froide » (1947-1991) a entraîné un dégel géostratégique de grande ampleur : l’alliance avec les dictatures africaines n’étant plus aussi vitale que pendant le demi-siècle précédent, les anciennes métropoles coloniales ont souvent annexé leur aide bilatérale à la libéralisation des régimes. Le cas le plus célèbre est celui de Nelson MANDELA, membre de l’African National Congress (ANC), libéré en 1990 et élu président en 1994. Le président François MIETTERRAND (1981-1995) avait lors du « discours de la Baule » (1990) lié la question de l’aide à celle de la disparition progressive des régimes d’exception. Il en a été de même sur l’ensemble du continent où les transitions se sont généralisées : aujourd’hui les deux tiers des pays africains vivent au rythme d’élections et des alternances. L’Angola, le Zimbabwe, le Rwanda, la RDC, l’Ouganda, l’Éthiopie, le Soudan, le Cameroun, le Tchad, le Gabon, le Togo, la Guinée Équatoriale et la Gambie font figures d’anomalies. Si les nations se sont démocratisées, le continent s’est apaisé : certes 20% des Africains vivent dans des zones de guerres, et des foyers de fortes instabilité naissent rapidement (Centrafrique 2013), mais les années de crimes de la « décennie du chaos » (1979-1989) et de la Première Guerre mondiale africaine (1994-2002) sont terminées. L’Union Africaine (1963 OUA, 2002 UA) a accompagné la fin des guerres civiles en Sierra Leone et au Libéria, elle intervient au Mali et en Somalie dans le cadre de la lutte contre les terroristes d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) et les Shebabs, tandis que sur les rives du lac Tchad une force quadripartite (Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad) jugule la menace de Boko Haram avec l’aide de mercenaires sud-africains. Ses échecs au Rwanda (1994) pendant le génocide contre les Tutsis, au Soudan pendant le génocide contre les Zagawas du Darfour (2006), en Centrafrique (2013), sa complaisance avec les dictatures les plus clownesques (Zimbabwe, Cameroun, Guinée Équatoriale), sa complicité avec des chefs d’États poursuivis par la Cour Pénale Internationale (CPI) ne sont pas moins glorieux que ceux de l’ONU ou des grandes puissances, anciennes métropoles coloniales ou non, sur les mêmes dossiers. Les mobilisations de la jeunesse des grandes agglomérations contre les présidents élus qui souhaitaient prolonger leur mandat au-delà des limites constitutionnelles (Dakar, collectif « Y en a marre ! » 2012, Ouagadougou en 2015, Bénin en 2016) les interventions militaires pour remettre le pouvoir à des forces démocratiquement élues (Niger 2009, Guinée 2010, Côte d’Ivoire 2011) montre que le sentiment démocratique est relativement enraciné dans la culture politique urbaine en Afrique. L’Afrique pèse également sur la scène internationale : dans le domaine sportif, elle décide largement avec ses 54 fédérations de l’élection du président de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), et les dirigeants africains, par leur plus ou moins bonne volonté, décident du sort des conférences sur le climat (Échec de Copenhague, 2009, réussite de la COP21 de Paris, novembre 2015). Si les tendances récentes sont positives, les défis restent importants. Au premier chef l’extension de l’accès à la démocratie à toutes les couches de la population : les ruraux et les jeunes sont encore faiblement inscrits sur les listes électorales. Les élections coûtent chères et doivent continuer à être en partie financées par les institutions internationales : l’Union Européenne (UE), l’UA, l’ONU, le FMI et la Banque mondiale participent régulièrement au financement et à l’organisation des scrutins. La démocratie doit être plus inclusive et le personnel politique reste encore trop souvent affilié à un petit nombre de familles historiques issu des chefferies ou des groupes armés ayant concouru aux indépendances. Les classes moyennes forment une part mineure de la direction des appareils politiques. La stabilité régionale est évidemment le défis majeur pour tous les gouvernements : révolution en Libye, guerre civile au Sud-Soudan, reprise de la guerre civile au Mozambique, viols de guerre au Kiwu, effondrement de la Somalie, les chantiers de la stabilisation politique en Afrique restent des défis que l’Afrique ne doit pas avoir à régler seule.

                L’apaisement du cadre politique et sécuritaire, aux échelles nationale, macro-régionale et continentale, a permis une diffusion plus rapide du développement humain en Afrique. La croissance du PIB/hab./an de 5% à 6% en moyenne ces 15 dernières années, inégale selon les régions et la typologie des pays, a cependant permis l’essor en ville d’une classe moyenne africaine, même si les contours de cette dernière sont encore loin d’être définis clairement. Il existe désormais une Shining Africa comme il existe une Shining India. La Banque Africaine de Développement (BAD) propose de définir la classe moyenne par une fourchette de revenus journaliers compris en 2 dollars et 20 dollars, catégorie reprise par le PNUD qui établit que 33% de la population africaine est dans la classe moyenne. Les cabinets d’audit internationaux comme Deloitte préfèrent retenir un critère de revenus plus élevés et font commencer la classe moyenne à 30 dollars pour l’arrêter à 50 dollars. Selon ces critères, 13% de la population africaine font partie de la classe moyenne. Qu’est-ce qui distingue cette nouvelle classe sociale ? Des standards de consommation tout d’abord, dans les domaines de l’éducation (écoles privées), de la santé (Cliniques plutôt que les services des hôpitaux et des dispensaires), loisirs (Tourisme, vacances prise en dehors de la famille, visite des musées et des sites touristiques nationaux) mais aussi un certain nombre de trait sociaux et économiques communs : maîtrise de la langue nationale, diplôme du supérieur, travail salarié pour l’épouse, emploi dans les services, famille nucléaire, planning familial. Des caractéristiques d’une appartenance à une culture mondialisée qu’on retrouve dans les centres villes en Chine ou en Inde. Cette classe moyenne est aussi productrice de développement humain à destination des ruraux et des classes sociales plus fragiles. En témoigne par exemple, en Éthiopie, l’initiative de Bruktawit TIBAGU et de son mari Shane ETZENHOUSER, fondateurs de l’entreprise sociale Whiz Kids Workshop, créateurs de la marionnette girafe « Tsehai », la « Girafe qui adore apprendre » et qui donne des conseils de santé, d’éducation et de sécurité chaque semaine à 5 millions de téléspectateurs, essentiellement des enfants, et plus de 25 millions d’auditeurs. Un don d’US AID d’1,2 million de dollars va permettre de créer 25 nouveaux épisodes, mais aussi de former des instituteurs à l’utilisation des livres pédagogiques développés par l’entreprise autour du personnage de Tsehai. Le prix Rolex Awards for Entreprise 2010 a permis le lancement d’une application pédagogique mobile. Le cas de Tsehai n’est pas isolé et manifeste la conscience panafricaine et sociale d’une nouvelle classe moyenne africaine désireuse de construire un développement inclusif, préoccupé de faire sortir un maximum d’Africains de la pauvreté et des stigmates du mal développement. Au-delà de ces cas particuliers, l’implication des États pour accompagner ces initiatives privées et en démultiplier les effets s’observe de plus en plus sur le continent. C’est ce qu’on appelle le micro développement, qui ne prétend évidemment pas aux effets massifs des investissements des États ou des Firmes Transnationales (FTN) mais s’approche au plus près des publics visés. Ainsi en va-t-il également des entreprises de financement participatif, souvent situées au Nord pour assurer le financement de projets socio-économiques au Sud. C’est le cas de Suncities, une coopérative française de financement, spécialisée dans le financement participatif de projets électriques : elle a levé 49 000€ en France pour l’équipement électrique en Casamance (Sénégal) d’une boutique multiservices (Réfrigérateur, congélateurs, recharges de téléphones portables). Chaque donateur verse 200€ et devient propriétaire de quatre parts sociales de Suncities, pour un rendement annuel de 5% maximum. Lendosphère, également dans le financement participatif, a levé en moins de 26 jours par Internet plus de 260 000€ pour l’électrification de 1 500 foyers ruraux au Sénégal. Ces initiatives privées s’inscrivent dans la lignée de Mo IBRAHIM, fondateur de Celtel, revendu pour près de 4 milliards de dollars. Ce qui a permis de créer la Fondation IBRAHIM pour la bonne gouvernance en Afrique, dotée d’un prix de 5 millions de dollars et d’une rente viagère annuelle de 200 000 dollars, accordés à des chefs d’État ayant favorisé durant leur mandat la bonne gouvernance et la démocratie. La synergie exceptionnelle entre pouvoirs publics, institutions internationales et initiatives privées contraste violemment avec le comportement apatride d’une partie importante des très hautes élites politiques et administratives des pays d’Afrique, plus soucieuses de transférer patrimoine et liquidité dans les pays du Nord, que d’investir sur place. Excepté le clientélisme politique, les élites africaines investissent peu en Afrique : l’essentiel des initiatives de fonds vient de la diaspora ou des classes moyennes urbaines.

                Quelles sont les success stories africaines ? René DUMONT (L’Afrique noire est mal partie, 1962) pointait les faiblesses des économies africaines, et en particuliers la sous-industrialisation et la très faible productivité des services dans les entreprises, et des administrations. Jean-Joseph BOILOT et Stanislas DEMBINSKI dans Chindiafrique, la Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain (2013) parient sur une émergence de l’Afrique au tournant des années 2030-2050. Quels signes annoncent ce basculement de l’économie-monde vers l’Afrique au milieu du XXIe siècle ? Grâce à la métropolisation et à l’extension des réseaux de transports (Comme la « boucle ferroviaire » construite par le Groupe Bolloré et qui reliera Cotonou et Abidjan via Niamey, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso) l’Afrique se constitue lentement en marché. Un marché aujourd’hui de 450 millions d’urbains, guère moins grand que celui de l’Inde et ses 600 millions de citadins. Le marché africain reste cependant moins riche (Deux à quatre fois moins) que l’Inde et la Chine, mais les analystes escomptent que la fameuse « classe moyenne » prenne le relais bientôt. Il s’est vendu 300 millions de téléphones portables en Afrique (2014), et certains pays d’Afrique subsaharienne affichent des taux de couverture mobile impressionnants : c’est le cas de la Tanzanie (65%) par exemple. Les IDE ont dépassé (2013) l’APD, manifestant le dynamisme plus fort de l’initiative privée devant la coopération interétatique ou les aides bilatérales. L’APD recule d’ailleurs, l’objectif du 1% du PIB des pays riches consacré à l’aide n’étant atteint par aucun pays dans le monde, à l’exception notable de la Suède. La moyenne s’établit à 0,2% du PIB de la Triade consacrée à l’APD. De plus en plus l’aide publique passe par des agences nationales chargées de piloter des projets privés à destination productive immédiate : en France c’est le rôle de l’Agence Française de Développement (AFD) qui vient d’être adossée à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), la banque de l’État, et dont les investissements (2015) viennent de dépasser la barre des 12 milliards d’Euros. Cette « privatisation » de l’APD accompagne la privatisation des économies africaines : depuis les PAS des années 1980’ les entreprises d’État sont devenues des entités privées. C’est le cas, au Niger, de l’ancienne Société Nigérienne des Eaux (SNE) devenue Société d’Exploitation des Eaux du Niger (SEEN, Groupe Veolia). Cette privatisation d’un secteur sanitaire sensible s’est accompagnée d’un cahier des charges avec des objectifs sociaux (Prix d’entrée modeste pour les foyers qui consomment peu). Elle évite aussi aux États de se servir de ses sociétés comme de réserves de liquidités. Les BRIICS investissent en Afrique, essentiellement le Brésil, dans l’Afrique du Golfe de Guinée autour de la Guinée Bissau, en Angola et au Mozambique. Ces investissements sont centrés sur le secteur minier et les routes latéritiques en zones forestières. L’Inde investit également, d’abord en Afrique d l’Est et des Grands Lacs, deux macro-régions de présence ancienne de la diaspora indienne : des investissements concentrés d’abord dans les secteurs de la téléphonie (Airtel-Celtel) et des services aux entreprises. C’est la Chine qui réalise les investissements les plus diversifiés et les plus significatifs, s’adjugeant même des contrats de BTP pour des investissements payés par des pays du Golfe arabo-persique ou les institutions européennes, quand les FTN européennes ne sous-traitent pas elles-mêmes à des entreprises chinoises. Déjà n°1 du BTP en Afrique (45% du marché), la main d’œuvre chinoise s’installe également. On compte plus d’un million de Chinois installés en Afrique, dont les trois quarts en Afrique subsaharienne : une fois les chantiers des grandes compagnies de BTP terminés, ils restent et se lancent dans le petit commerce de proximité. L’Afrique n’est elle donc qu’un marché en croissance mais secondaire ? Les start-up subsahariennes investissent le marché de Web 2.0, souvent avec des financements marocains et sud-africains. Les jeunes entrepreneurs bénéficient de plus en plus de structures d’accompagnement, comme le FabLab de Dakar (Sénégal) par exemple. Mais la concurrence est rude avec les firmes du Nord, en témoigne l’échec de MXIT du Namibien Herman HEUNIS qui proposait des envois low cost de SMS en Afrique australe : après avoir culminé à 10 millions d’utilisateurs, l’irruption de Whatsapp (2011), l’entreprise à perdu 90% de ses clients et la firme a fait don de ses actifs à The Reach Fondation, une fondation spécialisée dans l’éducation. Mais les initiatives se multiplient : ainsi au Maroc, le groupe Saham, spécialisé dans la santé privée, lance « Sana éducation » et ouvre des lycées privés. Une manière pour les entreprises d’investir dans l’économie de la connaissance.

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Loin du misérabilisme des années quatre-vingt et quatre-vingt dix, mais loin aussi de l’enthousiasme un peu rapide des années 2000 où certains voyaient déjà l’Afrique comme le géant économique du 1er XXIe siècle, l’émergence de l’Afrique à l’heure de la contraction du marché des matières premières apparaît dans sa complexité. Indéniablement les signes de l’émergence économique sont forts, le développement se diffuse vite et plus loin dans les périphéries des villes et dans les campagnes, l’assise géopolitique de l’Afrique est plus solide. L’Afrique n’est plus « continent détourné » dont parlaient HIRSH et POTIN (BOUCHERON, Histoire du monde au XVe siècle, 2012, Paris). Mais les défis restent énormes et les succès fragiles : les tensions entre modernités et traditions sont récurrentes. La décision de la maire de la ville d’Uthukela en Afrique du Sud de conditionner les bourses scolaires aux seules jeunes filles capables de fournir chaque année un certificat de virginité montre que les populismes s’invitent dans la démocratie africaine aussi…

© Erwan BERTHO (Février 2016, Mars 2016, juin 2018)

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