Thème II – Gérer les ressources terrestres.
Question 2 : « Nourrir les hommes. »
Étude critique d’un document de Géographie – Corrigé
Sujet – Nourrir les hommes.
Document. « Achats de terre, nouveaux investissements ou accaparement ? »
L’extrait du rapport annuel (2008) de l’Organisation Non Gouvernementales (ONG) « Grain », intitulé « Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière » pointe l’apparent paradoxe qu’il y a dans les pays pauvres en situation d’insécurité alimentaire à louer ou vendre des terres et ainsi voir exporter des denrées alimentaires vers l’étranger alors que leur population, parfois, est victime de famine. En effet, en dépit d’un enrichissement régulier du monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une partie importante de la population mondiale souffre de malnutrition et de sous-nutrition. La part des humains sous alimentés ne cesse de croître : aujourd’hui, près de 900 millions de personnes dans le monde sont sous-alimentées. Et pourtant, profitant de l’interconnexion croissante des économies et des territoires due à la mondialisation, les achats de terres dans les pays pauvres par des pays émergents ou riches, pratique appelée land grabbing, se généralise.
Dans quelles mesures on peut affirmer à l’aide de cet extrait du rapport annuel 2008 de l’ONG Grain que l’insertion des agricultures traditionnelles dans la mondialisation est un frein au développement durable ?
On peut affirmer dans un premier temps que les logiques de marché qui caractérisent la mondialisation menacent l’équilibre des sociétés traditionnelles, et constituent de ce fait un frein au développement durable. Cependant, l’exemple du Brésil montre que certains pays du Sud, au prix d’une augmentation des inégalités sociales, sont devenus grâce à l’insertion dans la mondialisation, de vrais géants agricoles.
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Le « développement durable » défini dans le rapport BRUNDTLAND (Notre avenir à tous, ONU, 1987) comme la capacité des générations actuelles à répondre à leurs propres besoins sans hypothéquer celle des générations futures à répondre aux leurs, fait du développement la résultante de trois dynamiques : une dynamique économique, une dynamique sociale et une composante environnementale. L’insertion des agricultures dans la mondialisation permet-elle de répondre au défi alimentaire dans le cadre du développement durable ?
Le land grabbing est une des manifestations les plus spectaculaires de l’insertion des agricultures des pays du Sud dans la mondialisation des économies. Le land grabbing est le nom donné à l’acquisition de terres agricoles dans les pays pauvres par des pays émergents ou riches : il s’agit de prendre « […] le contrôle d’exploitations agricoles dans d’autres pays. […] » (Lignes 3 et 4). L’extrait du rapport de l’ONG Grain montre bien comment le land grabbing est d’abord envisagé comme un investissement comme un autre : l’ONG déclare « […] alors qu’ils ont des liquidités à placer, [certains pays] cherchent à externaliser leur production alimentaire nationale […] » (Lignes 2 et 3) et plus loin « […] offres d’investissements étrangers d’un nouveau type […] » (Ligne 19). L’achat des terres agricole connaît un dynamisme d’autant plus grand que la crise de 2008 (Crise des subprimes) a rendu les placements boursiers incertains. L’accaparement des terres est donc d’abord le produit un mouvement spéculatif. Mais c’est également le moyen de sécuriser les approvisionnements alimentaires des pays riches ou émergents (« […] L’Arabie saoudite, le Japon, le Chine, l’Inde, la Corée, la Libye et l’Égypte sont à placer dans cette catégorie […] », lignes 5 et 6) pauvres en terres (« […] une stratégie innovante à long terme pour assurer l’alimentation de leurs populations à bon marché […] », lignes 4 et 5). La « faim de terres » fertiles (« […] recherche de terres agricoles fertiles […] », ligne 8) est qualifiée de « […] sorte de chasse au trésor diplomatique […] » (Ligne 8). L’achat des terres apparaît comme une des manifestations de l’insertion des agricultures des pays pauvres dans la mondialisation dans la mesure où il est à la fois une stratégie de placement financier alternative aux placements boursiers devenus incertains, et comme l’externalisation de la production alimentaire dans des pays pauvres en terres fertiles.
Le land grabbing entraîne une profonde refonte de la propriété foncière, génératrice d’une augmentation des inégalités sociales et de la pauvreté en zone rurale. En effet, en Afrique par exemple aujourd’hui mais ce fut le cas en Asie et en Amérique latine auparavant, la propriété foncière rurale est collective. Chaque village distribue les parcelles en fonctions des besoins des familles de cultivateurs. Or, le land grabbing nécessite généralement un passage à la propriété privée et individuelle de la terre. Chaque famille hérite alors d’une parcelle, souvent pas assez grande pour être rentable, et, au bout de quelques années, finit par vendre, soit à des Firmes Transnationales (FTN) soit à des grands propriétaires terriens. On passe alors à un système sud-américain de latifundia où le monde rural est constitué d’ouvriers agricoles employés en fonction des besoins, sur des parcelles de cultures d’exportation (Comme les bananes, le café, le cacao en Côte d’Ivoire, l’huile de palme en Indonésie). Au Niger, où la terre reste la propriété de l’État, les communautés paysannes sont concessionnaires des terres : mais la réforme du Code foncier leur permet de louer leurs terres à des tiers, et il devient fréquent que les chefs de villages les louent pour des durées très longues (bail emphytéotique de 99 ans). Les paysans sont alors dépossédés de leur terre et deviennent salariés. En période de cherté alimentaire, comme en 2008, leur salaire ne leur suffit pas pour nourrir leur famille. Pourtant « […] les gouvernements courtisés pour qu’ils accordent l’utilisation des terres agricoles de leur pays accueillent généralement favorablement ces offres d’investissements étrangers […] » (Lignes 17 et 18) et les institutions de Bretton Woods (Fonds Monétaire International, FMI, et World Bank Group, WBG) appuient cette privatisation des terres, envisagée comme une modernisation de l’économie des pays concernés.
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Pourtant l’insertion des agricultures des pays du Sud ne conduit pas uniquement à fragiliser les sociétés rurales et les équilibres sociétaux : l’exemple du Brésil, hier simple fournisseur de matières premières (Café) est devenu aujourd’hui un géant de l’Industrie Agroalimentaire mondiale (IAA).
Le Brésil est aujourd’hui une des premières puissances agroalimentaires mondiale. Il est parmi les 1ers producteurs et exportateurs mondiaux de Café (Près d’un tiers de la production mondiale, 31% des exportations) ou de Colza (Dont on tire des tourteaux pour l’alimentation du bétail ou des huiles alimentaires, 2ème producteur mondial avec 30% de la production mais 1er exportateur mondial), de sucre de canne (16% de la production, 29% des exportations ce qui en fait le 1er exportateur mondial également, de fruits tropicaux dont les oranges pas exemple. Plus important, car générateur d’une plus forte Valeur Ajoutée (VA), le Brésil a donné naissance à des grandes FTN de l’agroalimentaire, comme Brazil Foods. Cette agriculture brésilienne très capitalistique et productive est cependant l’apanage de quelques régions seulement : celle du Sud-Este autour du triangle d’or Brasilia, Sao Paulo et Bello Horizonte, celle du Sud qui accueille l’élevage extensif (20% des exportations mondiales) de type ranching et celle du Centre-Ouest qui concentre les cultures commerciales. Sur les fronts pionniers amazoniens, dans le Nord-Este, les agriculteurs sont pauvres, cultivent essentiellement du manioc, base d’une partie de l’alimentation, et sont souvent frappés par les aléas climatiques (Sécheresse, inondation…) ou économique (Chute des cours) : les sols des parcelles déforestées sont lessivés par les pluies tropicales, stérilisés par l’évapotranspiration qui entraîne le cuirassement des parcelles par son recouvrement d’une mince couche de minerais (Cuivre, fer). Ce qui permet de comprendre que si le Brésil est « la ferme du monde », 10% de sa population sont sous-alimentés, soit 20 millions de personnes. Avec des variables significatives : dans le Nord-Este 28% des habitants sont en situation de sous-alimentation moyenne ou grave, contre seulement 12% dans le Sud-Este et 10% dans le Sud.
L’insertion du Brésil dans la mondialisation a conduit a une augmentation des inégalités sociales et a accru l’insécurité alimentaire des plus pauvres. Les stratégies publiques pour sortir de l’insécurité alimentaire sont souvent des grands projets de modernisations des infrastructures et sont très destructeurs pour l’environnement. Le Brésil est un des pays les plus inégalitaires du monde : l’écart des revenus entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres est de 1 pour 10 dans le monde, il est de 1 pour 30 au Brésil. L’agriculture, tournée vers les exportations, est un héritage colonial : de gigantesques propriétés foncières (Les latifundias ou fazeindas) aux mains de familles riches ou de FTN font travailler à façon des paysans pauvres sans terre, un mal endémique en Amérique du Sud. C’est pourquoi le Brésil peut facilement accueillir des investisseurs internationaux adeptes du land grabbing. (« […] la recherche de terres agricoles fertiles dans des pays comme l’Ouganda, le Brésil, le Cambodge […] », lignes 8 et 9). Même si la situation est moins dramatique qu’au Cambodge (« […] Cambodge où 100 000 familles, soit un demi-million de personnes, ont actuellement une alimentation insuffisante […] », lignes 13 et 14), le Brésil est l’archétype des pays qui sont des champions des exportations alimentaires dans un contexte de mondialisation économique alors qu’une partie significative de leur population (10% à 30% en moyenne au Brésil selon les régions) souffre de sous-alimentation. Il paraît donc évident que l’insertion des agricultures traditionnelles dans la mondialisation ne créé ni des richesses pour les populations rurales à l’échelle locale ni ne permet d’agir dans le domaine social. Au Brésil, les stratégies de lutte contre la pauvreté rurale sont d’abord des politiques gouvernementales (Émanant du Parti des Travailleurs, PT, aujourd’hui renversé) comme le programme « Faim zéro », des constructions de vastes infrastructures hydrauliques (Comme le barrage sur la São Francisco) avec un impact négatif sur l’environnement. Le développement des cultures d’Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) est également une des pistes pour rendre plus productive l’agriculture brésilienne : 20 millions d’hectares sont cultivés en OGM, dont 70% du soja, ce qui fait du Brésil le 2ème utilisateur d’OGM juste derrière les États-Unis. Mais ces mesures visent essentiellement à rendre l’agriculture brésilienne plus compétitive sur les marchés mondiaux, sans réduire la sous-alimentation.
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L’insertion des agricultures traditionnelles dans la mondialisation les fait rentrer trop brutalement dans l’économie de marché : cela conduit à une fragilisation des sociétés rurales et une aggravation de l’insécurité alimentaire. Cela revient en définitive à sacrifier le volet social du développement, en particulier rural, et la question du land grabbing est à cet égard très révélateur puisqu’elle concoure à déposséder les paysans de leur terre.
© Erwan BERTHO (2017, 2018)
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