Thème 2 – L’invention de la citoyenneté dans le monde antique.
Question 2 – « Citoyenneté et démocratie à Athènes (Ve – IVe siècles avant l’ère commune)
Étude critique d’un document d’Histoire – Corrigé
Document. « Discours du stratège Périclès au début de la Guerre du Péloponnèse (-431). »
Le document intitulé « Discours du stratège Périclès au début de la Guerre du Péloponnèse (-431). » est un extrait de l’oraison funèbre prononcée par le principal leader de la vie politique athénienne lors de l’enterrement des premiers morts de la « Guerre du Péloponnèse » : cet extrait du discours est rapporté par THUCYDIDE (-460, -395), stratège athénien lui aussi, dont l’ouvrage La Guerre contre les Péloponnésiens (début du IVe siècle avant l’ère commune, Livre II, paragraphe 37) est considéré comme le premier livre d’Histoire critique et savante. Périclès, dans cet extrait, fait l’éloge de la démocratie athénienne, dont le meilleur mérite, selon lui, est l’égalité devant la loi et dans l’accession aux magistratures principales.
Le Ve siècle avant l’ère commune est l’âge d’or d’Athènes. Les réformes de Solon (–594) et de Clisthène (-50) au VIe siècle, les victoires contre les Perses lors des « Guerres médiques » à Marathon (-490) et Salamine (-480), l’élargissement de la démocratie aux plus pauvres avec les réformes de Périclès (-451) font d’Athènes une démocratie, un régime où le peuple (demos), c’est-à-dire les citoyens, exerce le pouvoir (cratein). La Cité des Athéniens rayonne sur le monde grec. Périclès engage avec la grande rivale qu’est Sparte, une oligarchie militaire qui contrôle le Péloponnèse, une guerre qui vient de ramener ses premiers morts (-431), dont Périclès, stratège de la Cité c’est-à-dire un des dix plus puissants magistrats de l’exécutif, doit justifier l’héroïsme.
Dans quelles mesures peut-on affirmer que l’extrait de l’oraison funèbre prononcée par Périclès permet de comprendre le fonctionnement et les valeurs de la démocratie athénienne ?
L’extrait du discours de Périclès montre le fonctionnement et les valeurs théoriques de la constitution d’Athènes (I). Cependant, Périclès donne une image exagérément flatteuse des institutions et de la vie politique à Athènes (II), même si le contexte tragique de production de ce discours permet de le comprendre.
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Périclès donne une image flatteuse de la démocratie athénienne (« […] Loin d’imiter les autres peuples, nous leur offrons plutôt un exemple […] », lignes 1 & 2). Il met l’accent sur deux de ses vertus cardinales, l’égalité des citoyens devant la loi et la possibilité pour chacun d’accéder à des magistratures (1), cependant la constitution des Athéniens reste marquée par les valeurs de son temps (2) et les exclus sont nombreux.
La Cité des Athéniens s’est progressivement caractérisée par l’égalité des citoyens (« […] le pouvoir est entre les mains du plus grand nombre et non d’une minorité […] », lignes 3 & 4). La fête des « Grandes Panathénées » qui voit la cité célébrer sa déesse éponyme (Athéna) dans une procession rituelle qui réunit aussi bien les aristocrates que les métèques (étrangers protégés), s’achève sur un sacrifice de 100 génisses blanches dont les morceaux sont partagées symboliquement en parts égales entre les familles de citoyens. Les citoyens sont égaux devant la loi (Isonomia), (« […] nous sommes tous égaux devant la loi […] », ligne 5). Ils sont égaux en temps de parole lors des réunions de l’Ecclésia (Assemblée des citoyens) sur la colline de la Pnyka (Isègoria), où la clepsydre mesure scrupuleusement le temps de parole des orateurs. Ils bénéficient d’un accès égal aux magistratures (Isokrateia), même s’il ne s’agit pas, en fonction de la classe sociale, de magistratures égales (« […] les citoyens étant désignés selon leur mérite plutôt qu’à tour de rôle […] », lignes 7 & 8). L’institution du tirage au sort pour la désignation des 500 Prytanes de la Voulè (Le secrétariat permanent de l’Ecclésia), ou bien des 6 000 juges de l’Héliée (Le tribunal pénal et civil d’Athènes) permet cet accès de tous au pouvoir. Sur les 40 000 citoyens que compte la cité, on constate ainsi que les citoyens athéniens ont un accès fréquents à des magistratures importantes.
Les exclus sont cependant nombreux. La Cité des Athéniens reste, comme l’ensemble du monde antique, une cité esclavagiste : 200 000 esclaves vivent au sien de la cité, parfois dans des conditions privilégiées comme les pédagogues, ces esclaves qui servent de professeurs aux jeunes Athéniens, parfois dans des conditions très dures comme celle des esclaves des mines d’argent du Laurion au Sud-Est de la ville d’Athènes. Les étrangers, même ceux qui bénéficient d’un statut de résident protégé (les « métèques »), sont assujettis à une lourde fiscalité mais privés de droits politiques. Si, comme l’affirme Périclès, « […] quand un homme sans fortune peut rendre quelques services à l’État, l’obscurité de sa condition ne constitue pas pour lui un obstacle […] » (Lignes & 9), grâce au versement d’un salaire pour les magistrats pauvres (le « mysthos »), les étrangers sont de plus en plus écartés de l’accès à la citoyenneté athénienne, Périclès la réservant aux seuls descendants d’Athéniens. Les femmes sont également exclues de la pratique civique, quand bien même elles sont citoyennes athéniennes. Cantonnées au gynécée (les pièces de la maison dévolues aux femmes) elles sortent peu. Certaines, cependant, jouent un rôle important : Aspasie, par exemple, qui fut concubine de Périclès, utilisa ses réseaux d’influence pour le mettre en relation avec des intellectuels brillants et influents, dont le philosophe Socrate.
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L’extrait proposé de l’oraison funèbre des premiers morts de la « Guerre du Péloponnèse » décrit plus une démocratie idéale que la démocratie athénienne (1). Périclès se gardant d’ailleurs de préciser que, si Athènes bénéficie d’un régime d’une exceptionnelle modernité pour le monde antique, elle se comporte comme un véritable tyran à l’égard de ses voisines (2). Il est vrai que, bien souvent, Périclès parle à mots couverts.
La démocratie athénienne reste le produit d’une lente extraction de ce qui était auparavant une oligarchie ; il en reste d’importantes scories. Les magistratures de la puissance restent réservées à l’élite culturelle et économique d’Athènes. Les aristocrates (les « meilleurs ») sont seuls éligibles aux fonctions de stratèges. C’est ce à quoi Périclès fait allusion quand il affirme que « […] c’est en fonction du rang […] dans l’estime publique que nous choisissons les magistrats […] » (Lignes 5 && 6). Seuls les plus riches peuvent prétendre devenir archontes, les juges sacrés, dont Périclès parle incidemment à la fin de l’extrait (« […] nous obéissons aux lois […] non écrites qui attirent sur ceux qui les transgressent le mépris général […] », lignes 13 à 16). Bien sûr, en échange de ces privilèges politiques, les plus riches acceptent des servitudes civiques (les liturgies) : équiper des galères de combat, offrir à la cité des fêtes et des représentations théâtrales. Chacun comprend bien tout de même que ces servitudes sont amplement compensées par l’accès préférentiel aux pouvoirs que la constitution athénienne (« […] qui […] n’a rien à envier à celle de nos voisins […] », ligne 1) leur octroie. Pour Périclès, les plus riches sont simplement ceux qui sont les plus « méritants » (« […] les citoyens étant désignés selon leur mérite […] », ligne 7). Il est vrai que Périclès, aristocrate et stratège, voit la démocratie athénienne du meilleur point de vue : celui des puissants et des riches !
Si Périclès décrit une cité de « liberté » (Ligne 10), de tolérance (Ligne 11), de respect des traditions (« […] nous évitons très scrupuleusement d’enfreindre les règles établies. […] », lignes 12 à 14), il évite de décrire l’empire maritime (Thalassocratie) qu’Athènes s’est constituée. Le trésor de la Ligue de Délos a progressivement servit à d’autres fins que de protéger les cités alliées d’Athènes : l’Acropole (Et notamment l’entrée monumentale, les Propylées, et le temple d’Athéna Parthénos, le Parthénon) a été embellie avec l’argent du trésor rapatrié à Athènes. La triobole versée aux citoyens qui assistent aux séances de l’Ecclésia est également puisé dans ce trésor : dès lors, quitter la Ligue de Délos alors que le danger perse est devenu plus lointain est impossible pour les alliées d’Athènes dont la cotisation sert à financer sa démocratie. Les cités deviennent tributaires et soumises : le sac de la cité de Mélos sert d’exemple pour toutes celles qui souhaiteraient quitter la protection mafieuse d’Athènes. Un mécontentement que la rivale Sparte, aidée de l’or perse, sait capitaliser pour rogner la puissance de l’orgueilleuse Athènes qui prétend leur « […] offrir un exemple {…] » (Ligne 2). La critique contre Athènes vient aussi de l’intérieur : les philosophes (Socrate, Platon son élève, dans ses écrits dont la Politique, Aristote au IVe siècle), des auteurs comme Aristophane (Dans L’Assemblée des femmes par exemple), des savants comme Hérodote (Dans son Historia) critiquent un régime qui met dans les mains de la multitude et des ignorants le pouvoir de faire les lois.
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Le contexte éminemment tragique de production de ce discours de Périclès permet de comprendre que le leader politique d’Athènes se soit attaché à défendre son système politique, afin de rendre supportable pour les pères et les mères le sacrifice de leurs enfants. Il n’en reste pas moins d’une grande partialité qui reflète la classe sociale privilégiée à laquelle appartient le stratège. Périclès a cependant le mérite d’avoir défendu une conception inclusive de la démocratie, en veillant à son ouverture aux classes sociales populaires, et qu’en ce sens, il représente aussi, au sein de l’aristocratie athénienne, une notable exception.
© Erwan BERTHO (2017, revu et corrigé juillet 2019). Retrouvez ce corrigé sur hglycee.fr / Devoirs corrections / Devoirs & corrections d’Histoire.
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