Lycée La Fontaine, Niamey, 2009 – 2010
PREPARATION ENSEIGNEMENT SUPERIEUR (PES)
Campagne internationale de promotion de l’Annuaire Français des Relation Internationales – AFRI
Conférence inaugurale à l’Université Abdou Moumouni – Niamey – NIGER
Mercredi 17 mars 2010 10h30 – 12h30 « Amphithéâtre 500 places »
« L’Afrique dans les relations internationales : état des lieux. »
Sous la présidence du Professeur des Universités Serge SUR
Professeur agrégé de droit – Université de Paris II / PANTHEON – ASSAS
Intervention liminaire du Professeur SUR, directeur du Centre Thucydide.
« Une pensée des relations internationales élaborée dans un cadre international. »
Le Centre Thucydide et l’AFRI sont peu présents en Afrique alors qu’ a contrario il y a un nombre conséquent de chercheurs africains qui travaillent et publient au sein de l’AFRI. Et alors que les articles sur les questions africaines sont assez nombreux dans les volumes de l’AFRI. De cette situation découle le fait que l’Afrique est perçue comme le continent des menaces et des problèmes plutôt que comme celui des enjeux, des défis et des réussites qui sont pourtant l’autre réalité de l’Afrique. Comment réagir ?
Un dialogue et une coopération Nord/Sud sont les seules issues pour élaborer une pensée fiable de l’Afrique dans les relations internationales. L’enjeu est même de permettre l’émergence et l’affirmation d’une doctrine africaine des relations internationales.
A ce titre le Centre Thucydide (Paris, France), l’Université de Paris II Panthéon / Assas (Paris, France) et l’Université Abdou Moumouni (Niamey, Niger) viennent de signer un accord de coopération et de partenariat afin de mettre en place pour le premier cycle des études supérieures une formation diplomante de Paris II « hors les murs ».
L’absence d’une pensée africaine ou métisse des relations internationales impose aussi la promotion des éudes de relations internationales comme cursus d’étude autonome dans les universités du Sud, ce qui n’est pas encore le cas mais ce qui n’est pas encore la cas au Nord non plus… Plus que jamais la recherche fondamentale en sciences sociales et donc dans le domaine des relations internationales apparaît à la fois comme un préalable et comme un défis. Les Etats du Nord comme du Sud ont du mal à financer la recherche en sciences sociales, qui apparaît trop souvent comme une usine à élucubrations alors qu’elle traduit et façonne en même temps nos représentations du monde et détermine notre cadre de pensée.
Intervention de Madame Alexandra Novosseloff, Chercheur associé au Centre Thucydide – Université de Paris II / Panthéon – Assas.
« L’Afrique et l’Organisation des Nations Unies (ONU). »
Le sujet invite à analyser à la fois le poids et la place de l’ONU en Afrique comme l’inverse c’est-à-dire le poids et la place de l’Afrique au sein de l’ONU.
- Le poids et la place de l’ONU en Afrique. Dans un cadre d’étude restreint aux relations internationales on s’interessera surtout au poids de l’ONU dans les missions de maintien de la paix et de la sécurité en Afrique. Les relations entre l’ONU et l’Afrique sont anciennes et l’ONU est intervenue très tôt dans les missions de maintien de la paix. C’est au Congo – Léopoldville (Zaïre – RDC) que l’ONU intervient en premier (1960) et le secrétaire général des Nations Unis Dag Hammarskjöld (Suède) est assassiné par les mercenaires belges en Zambie en 1961. L’Afrique représente 7 des 15 missions de maintien de la paix et de la sécurité en Afrique, soit 50%. Mais cela représente 66% du budget (soit 5 milliards de dollars) et 73% des effectifs des hommes enagés. Les forces de missions de maintien de la paix et de la sécurité en Afrique sont souvent constituées de soldats originaires des Etats africains eux-mêmes : par exemple 82% des soldats engagés au Darfour sont originaires d’armées d’Etats africains. A l’inverse 92% des soldats africains engagés dans des missions de maintien de la paix et de la sécurité sont engagés en Afrique.
- Le poids de l’Afrique à l’ONU. L’Afrique représente 48 Etats continentaux et 53 en comptant les archipels, soit 36% des 192 Etats membres. Avec 1,000,000 d’habitants elle représente 17% de la population mondiale. Depuis 1963 (Résolution 1991) l’Afrique dispose de 3 sièges parmis les 10 membres non permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU élus pour deux ans. Les trois membres actuels sont l’Ouganda, le Gabon et le Nigeria. La présidence du Conseil de Sécurité est actuellement exercée par M. REWAKA, représentant du Gabon. Cependant l’Afrique se présente en ordre dispersé à l’Assemblée générale des Nations Unies : divisée en organisations régionales d’Etats (SADEC, UEMOA, CEDEAO, UA…) et par des poids économiques trop disparates (Domination de l’Egypte, de l’Afrique du Sud, du Nigéria…) elle parle rarement d’une voix forte. L’impossibilité à l’heure actuelle pour les Etats africains de choisir en leur sein l’Etat qui les représenterait si l’Afrique disposait d’un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU est un bon exemple de cette fragmentation politique et idéologique.
Dans un certaine mesure l’Afrique illustre la paralysie Sud-Sud qui frappe les pays émergents et en voie de développement.
Intervention de M. SPINOZA, Maître de Conférence à l’IEP de PARIS (Sciences Po)
« Les « Nouvelles menaces » et l’Afrique. »
L’Afrique dans les relations internationales se trouve dans une situation paradoxale : elle est divisée politiquement et économiquement mais ces organisations régionales (SADEC, UEMOA, UA…) sont de plus en plus dynamiques. Par ailleurs les discours tenus par les dirigeants sur la « Nouvelle indépendance » laissent penser qu’un monde post occidental est peut-être en train d’émerger, pour partie par l’émergence en Afrique d’un nouveau tiers-mondisme et d’un nouveau pan africanisme. Mais comme l’ensemble de l’espace mondial l’Afrique est aussi la proie de ce qu’on nomme les « Nouvelles menaces ». De quoi s’agit-il ?
- L’Afrique et les « Nouvelles menaces » : quelles menaces ? Quels acteurs ? Les nouvelles menaces sont les menaces transversales qui se sont renforcées dès l’immédiat après guerre froide. Elles sont transnationales mais si elles traverses les frontières elles ne recouvrent pas forcément la totalité des superficies des Etats concernés. Elles sont tranversales en ce sens qu’elles prennent en écharpe plusieurs types de menaces : terrorisme, banditisme, rébellions, grande délinquence internationale et économie criminelle mondiale (pédophilie, commerce d’arme illicite, commerce de drogues, contrebande de tabac et nucléaire), briganderie maritime et piraterie, idéologie mondiale (jihadisme…). On n’oubliera pas au rang des « nouvelles menaces » ou plutôt des menaces percçues comme des nouvelles menaces d’inscrire la menace écologique. L’Etat reste juridiquement l’acteur clé de la gestion et de la réponse. Mais il faut constater que la spécificité de l’Afrique sur la question est celle d’une faillite des Etats, au moins une faillite apparente. L’Afrique est le théâtre de la perte d’effectivité du contrat social, de la difficulté d’imposer la perpétuation de l’action de l’Etat et de la dilution du monopole légal de la violence détenu historiquement par les Etats. Les nouvelles menaces sont donc des questions sécuritaires auxquelles les Etats doivent répondre.
- L’Afrique et les « Nouvelles menaces » : quelles réponses ? Les réponses aux questions sécuritaires sont politiques (et non seulement militaires ou policières) et régionales (et non locales ou nationales). Les questions posées par les « nouvelles menaces » se posent aussi aux pays riches : la France en Guyane et en Corse abdique volontairement une partie de sa souverainté pour continuer à assurer une fome de continuité de ce qui reste d’Etat, les Etats-Unis gèrent très difficilement les questions écologiques en Alaska pris entre les impératifs environnementaux et les impératifs économiques. Les cadres existants au Nord comme au Sud ainsi que les conceptions ne sont pas adaptés. Il ne s’agit cependant pas d’un problème de développement mais d’appréhension des problématiques. On peut aussi noter que les défis posés aujourd’hui aux Etats du Sud et donc à l’Afrique, s’ils ne sont pas mieux résolus au Nord, se posaient déjà à l’époque coloniale et ne trouvaient alors pas plus de réponses satisfaisantes. L’Etat colonial ne répondait pas mieux que l’Etat post colonial lorsqu’il se trouvait face à des enjux transversaux sur les immensités, voire des immensités arides et forestières. On constate cependant que là aussi l’Afrique arrive en ordre dispersé : le Maroc qui forme dans ses écoles militaires les penseurs et les acteurs de la guerre africaine est exclu de l’Union Africaine qui ne reconnaît que le Sahara occidental, l’Egypte reconnu par l’ONU comme une Etat africain est encore fortement marqué par le tropisme moyen oriental…
La coopérations régionale en Afrique et internationale Nord/Sud est le seul cadre encore inexploré permettant de penser que les Etats puissent lutter contre les menaces transversales.
Intervention du général de division (2e section, cadre de réserve) POUGIN de la MAISONEUVE, Directeur de la revue AGIR.
« L’Afrique dans l’ère post Guerre Froide. »
L’Afrique a été durant la guerre froide le théâtre des conflits périphériques. Au sortir de la guerre froide deux phénomènes simultanés se sont produits : en Afrique l’effondrement de l’URSS et le désengagement des Etats du Nord (d’un bloc et de l’autre) ont sonné l’heure des réglements de compte et donc d’un regain de violence. Au Nord la fin de la guerre froide a entrainé « la disparition de l’Afrique comme objet stratégique ». Or l’Afrique est plus que jamais au cœur de la géopolitique mondiale : parce que le tiers-mondisme et le panafricanisme y renaissent (NEPAD, « Objectifs du Millénaire »…) sous l’impulsion de Secrétaires généraux des Nations Unies acquis à la cause de l’Afrique (Bouthros Bouthros – Ghali, Koffi Annan) et sous l’impulsion de chefs d’Etat africains porteurs d’une véritable pensée panafricaine (Thabo Mbeki, Abdoulaye Wade…). Les BRIC consommateurs boulimiques de matières premières (que l’Afrique vend aisément) et exportateurs frénétiques de produits manufacturés (que l’Afrique achète faute d’un tissu industriel sur son sol) sont devenus les premiers partenaires de l’Afrique. N’est-il pas temps d’inventer un modèle de développement qui soit propre à l’Afrique ?
Intervention de M. MICHALON, Maître de conférence à l’Université de Guyane – Antilles.
« L’Etat et les citoyens en Afrique : quelles formes d’organisations institutionnelles ? »
Etat et Nation(s) en Afrique. La nation n’est pas un concept de droit. La nation est en effet un imaginaire partagé et le droit ne reconnaît pas l’imaginaire. N’étant pas un concept de droit la nation n’est donc pas un concept de droit international. Plutôt que de parler de relations internationales on doit donc parler de relations interétatiques. L’Etat reste donc l’unité élémentaire de la politique nationale, régionale et mondiale. Quelle est sa place en Afrique aujourd’hui ?
- Y-a-t il des Etats en Afrique ? On constate un échec de la greffe en Afrique de l’Etat centralisé de type jacobin ; ce qu’on nomme l’Etat moderne tel qu’il est apparu progressivement en Europe puis en Amérique à l’époque moderne (1492 – 1789). Les solidarités claniques et ethniques (Afrique subsaharienne) ou tribales (Afrique du Nord) sont plus puissantes que les solidarités civiques (droits et devoirs égaux garantis et appliqués par des textes et un appareil d’Etat légitimes). Essentiellement rurales les sociétés africaines sont donc naturellement régies encore par les règles d’assujettissement de l’individu à la collectivité villageoise ou familiale et à ses règles. Parfois les deux dans les villages les plus petits, qui sont les plus nombreux. Les Etats africains sont donc des agrégations instables de micro nations. L’Etat moderne reste donc une réalité citadine et très abstraite du fait que les villes africaines (et mêmes les très grandes villes) sont encore des agrégats de villages ou de populations villageoises. Devant cette réalité sociale et politique quel Etat imaginer et construire en Afrique ?
- Imaginer un Etat en Afrique ? Paradoxalement c’est parce qu’il a échoué que la nécessité d’un Etat centralisé s’impose. Promouvoir le citoyen et donc l’individu passe nécessairement par la mise en place d’un Etat lointain, qui ne voit pas dans les individus les représentants d’un groupe ou d’un autre mais bien des citoyens uniformes et donc égaux. Les hommes ne font pas encore assez la différence entre les insitutions et les leaders politiques qui les représentent : la personnalisation du pouvoir et particulièrement du pouvoir présidentiel le montre assez clairement en Afrique. Il faut donc œuvrer aussi à la dépersonnalisation du pouvoir pour promouvoir les institutions c’est-à-dire promouvoir le texte et le droit plutôt que la personne. Pour ce faire on peut penser à une réhabilitation des régimes parlementaires (plutôt que présidentiels comme actuellement) et donc promouvoir des élections des chefs d’Etat au suffrage universel indirect plutôt que direct (qui accentue la personification du pouvoir comme on le voit aussi dans les Etats du Nord).
Il n’y a pour l’instant en Afrique (mais comme ailleurs parfois) que des apparences d’Etat plutôt qu’une réalité d’Etat. Mais la situation n’est ni figée ni une fatalité. On doit penser à des formes d’organisations politiques originales. Là encore l’invention d’un modèle est attendue. Les populations africaines qui comme toutes les populations du monde aspirent par-dessus tout à la justice et sont donc en demande très forte d’un Etat juste et efficace.
Synthèse générale.
Il ressort de la conférence inaugurale une série de constats et de questions. L’Afrique n’est pas hors de la mondialisation : les défis qui s’imposent à elle sont ceux d’un espace globalisé et s’imposent donc à tous les autres espaces. Fragilisation et délégitimisation de l’Etat, insécurité sociale, violence contre les personnes et les groupes communautaires, internationalisation des criminalités, déséquilibres écologiques mondiaux.
La fragilité économique et le caractère aigue de la violence rendent ces défis particulièrement difficiles à relever mais ils ne sont pas différents en nature de ceux que le Nord doit relever.
Les réponses globales à ces défis sont aussi celles qu’apportent les Etats riches : régionalisation, harmonisation des législations et intégration économique. L’Afrique plus que jamais est dans la mondialisation.
La nécessité de l’émergence et de l’affirmation d’une pensée africaine de l’Afrique, qu’elle soit absolument originale ou métisse, se fait chaque fois sentir. Nécessité de l’élaboration d’une doctrine, d’un modèle de développement, d’institutions et de mécanismes politiques spécifiques.
L’intelligentsia africaine comme avant-garde de la société civile est mise au défi de s’imposer et d’imposer le financement de la recherche y compris en sciences sociales. C’est la seule voie vers l’élaboration d’un discours audible et de représentations du monde où l’Afrique ne sera plus le continent des échecs mais des réussites, ne sera plus le continent qui reçoit l’aide mais celui qui y participe.
Résumé et numérisation © Erwan BERTHO (2010, dernière révision 2018)
→ Cliquez ci-dessous pour télécharger le document principal au format Microsoft Office Word :
Les relations internationales IFRI 2010
Articles complémentaires :
→ Cliquez ICI pour accéder à l’index classé par années de la catégorie « Conférences ».