Cycles de conférences
Institut de France, Centre Culturel Franco-Nigérien (CCFN), Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC), Ambassade de France, Niamey, Niger, Lycée Français La Fontaine, Niger
Niamey, le mercredi 6 décembre 2017, 15 heures – 16h30, en salle Polyvalente du Lycée Français La Fontaine – NIGER
Le développement durable est-il compatible avec l’économie de marché ? , par le professeur émérite de Géographie Christian BOUQUET, Université Montaigne de Bordeaux, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Laboratoire « Les Afriques dans le monde » (LAM).
Lors des différentes COP (COP XXI à Paris en 2015, COP XXII à Marrakech en 2016 et COP XXIII de 2017 à Bonn sous le patronage des îles Fidji), plus 55 pays du monde représentants plus de 55% des émissions de CO2 ont signé les « accords de Paris » qui peuvent donc désormais être adoptés. Le retrait des États-Unis (1er juin 2016) a cependant porté un coup sévère à la coordination mondiale de la transition énergétique et de mobilisation face au changement climatique.
Le développement durable serait-il incompatible avec l’économie de marché comme semblent le penser les responsables américains ?
Qu’entend-on par « économie de marché » ? Depuis le Discours sur les causes de la richesse des nations (1776) d’Adam SMITH, l’idéologie libérale s’est progressivement structurée : le profit apparaît comme la légitime récompense du risque, l’État doit rester cantonné aux fonctions régaliennes et ne pas fausser le jeu de la libre concurrence, enfin les agents économiques sont libres. Francis FUKUYAMA dans son ouvrage Le dernier Homme ou la fin de l’Histoire (1992) exprime le relatif optimisme des penseurs au sortir de la Guerre froide (1947-1991) : le système de liberté politique (Démocratie) et de liberté économique (Libéralisme) va devenir progressivement le seul système d’organisation sociale sur la Terre.
Depuis le retour au pouvoir des conservateurs libéraux en Grande-Bretagne (1979) et aux États-Unis (1980), les économies occidentales sont engagées dans un vaste mouvement de dérégulation (Suppression de la régulation des professions et des secteurs économiques et des prix) et de déréglementation (Suppression des réglementations administratives et techniques). Ces politiques sont relayées par le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque mondiale (Les deux institutions sœurs de Washington), plus tard par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Il y a bien sûr quelque ironie à voir trois institutions héritées des accords de Bretton Woods détricoter les accords de 1944 et la philosophie plutôt keynésienne qui les sous-tendait.
Le primat est accordé à la croissance, à la compétitivité et au libre-marché. Les agences de notations (Fitch, Standard and Poor’s, Moody’s) témoignent de cette suprématie de la vision court-termiste. Pourtant des voix se sont fait entendre pour dénoncer les conséquences très négatives de ces politiques libérales. Joseph STIGLITZ (La grande désillusion en 2002, Le triomphe de la cupidité en 2010, Le prix de l’inégalité en 2012) ou en France Pierre RABHI (Manifeste pour la Terre et l’Humanité. Pour une insurrection des consciences, 2008, chez Actes Sud), un agriculteur et essayiste contesté sur ses prises de positions scientifiques mais pionnier d’une agriculture insérée dans une dynamique sociale de régénération de soi et de la communauté.
Les grandes conférences internationales commencent à alerter opinions publiques et dirigeants sur les dommages graves causés à l’environnement par la course à la croissance. Le « Sommet de la Terre » de Rio (Brésil, 1992), officialise les « trois piliers du développement » et se demande si l’économie de marché n’est pas autant attentatoire aux hommes qu’à l’environnement ?
L’économie de marché est-elle la cause du désordre mondial ?
Le changement climatique.
Depuis 1975, la température moyenne mondiale augmente : elle aura pris +6% au pôle Nord en 2100. Et +2,5% au Pôle Sud entre 1950 et 2000. Les zones terrestres se réchauffent plus que les zones océaniques. Ce réchauffement graduel entraîne des conséquences fortes : aggravation des phénomènes cycloniques, des sécheresses, des épisodes de très forte pluviométrie, de montée des eaux consécutive au réchauffement et à la libération des eaux des inlandsis.
L’origine de ce réchauffement climatique est par ailleurs l’objet de contestations très fortes de la part des climato-sceptiques comme Claude ALLÈGRE dans L’imposture climatique (2010). Les climato-sceptiques nient le rôle des activités humaines dans le réchauffement climatique, expliquant par exemple que l’histoire du climat sur Terre montre déjà des périodes de réchauffement et de refroidissement avant la révolution néolithique. Ce n’est pas l’opinion des quelques 800 chercheurs du GIEC (2014) qui affirment que 95% du réchauffement climatique sont dus aux activités humaines.
L’engagement des États dans la lutte contre le réchauffement climatique est encore dans une phase plus médiatique que pratique : les engagements financiers ne couvrent encore que 33% des promesses. Il faudrait limiter les émissions à 42 Gigatonnes de CO2 pour rester sous la barre des +2°c de réchauffement, ce sera en 2030 supérieur à 50 Gigatonnes.
Les épisodes climatiques violents sont pourtant de plus en plus fréquents : le cyclone Haiyan (2013) a fait 10 000 morts avec des records de violence des vents culminant à plus de 315 km/heure, tandis que le cyclone Irma (2017) détient le record de longévité des vents violents avec plus de 33 heures de vents de vitesse supérieure à 200 km/heure.
Des risques naturels aux catastrophes industrielles.
Mais les catastrophes ne sont pas que « naturelles » : elles sont aussi industrielles. Le naufrage du pétrolier Amoco Cadix (1978) et son déversement de 230 000 tonnes de brut a été le point de départ d’une prise de conscience mondiale des risques industriels. La catastrophe de Bhopal (Inde, 1984) a fait 30 000 morts intoxiqués aux agents chimiques, dont 8 000 morts la première nuit. La catastrophe nucléaire de Tchernobyl (1986) en Ukraine a fait plus de 200 000 morts (De 1986 jusqu’à aujourd’hui).
L’effondrement du Rana Plazza (Bangladesh) a fait 2 000 morts chez les ouvrières de cet immeuble qui accueillait des entreprises textiles sous-traitant pour des grands groupes européens et américains. L’incendie d’un quai de stockage industriel à Tianjin (République Populaire de Chine, RPC, 2015) a fait près de 200 morts, témoignant au passage des conditions de stockage précaires et de l’incapacité des secours à faire face au sinistre faute d’informations sur les produits stockés. Dans les pays en développement, les déchets industriels, hospitaliers, ménagers s’entassent à proximité des quartiers d’habitation, voire dans les quartiers d’habitation.
Le « jour du dépassement » (Earth Overshoot Day), notion dérivée de « l’empreinte écologique » élaborée par l’ONG Global Footprint Ntework de Mathis WACKERNAGEL, notion qui fait polémique dans les milieux scientifiques, et qui détermine le jour de l’année à partir duquel l’humanité exploite plus de ressources que la Terre ne peut en renouveler, fixé au 6 août en 2016 était passée au 2 août en 2017. L’humanité est donc de plus en plus gourmande et la réaction n’est pas assez rapide.
La marchandisation croissante de l’eau, de la terre et des denrées vivrières.
Pourtant, le président BUSH déclarait « le mode de vie des Américains n’est pas négociable » : ce qui explique que les États-Unis n’aient pas ratifié le « Protocole de Kyoto » (1997).
Un protocole cependant largement en contradiction avec la « Déclaration de Dublin » (1992) qui affirmait « L’eau a une valeur économique et doit être considérée comme une valeur économique », entraînant de fait la marchandisation de l’eau. Aujourd’hui, 1,5 milliards d’êtres humains n’ont pas accès aux toilettes, presqu’autant et souvent les mêmes, vivent à plus d’1 kilomètre d’un point d’eau potable. La marchandisation de l’eau a été dénoncée par Iciar BOLLAIN (2010) dans Même la pluie, qui étudie les pratiques de la firme BECHTEL en Bolivie et dénonce les pratiques néocoloniales des FTN.
Les atteintes à l’environnement liées à la marchandisation croissante des différents aspects de la vie sociale sont également illustrées par les accaparements de terres. Le régime de propriété privée individuelle de la terre, issu du monde européen, est en passe de supprimer le système de la propriété collective. En Afrique par exemple la privatisation des terres est en marche, soutenue par les agences internationales. Et notamment la Banque mondiale (World Bank group, Washington) qui voit dans la généralisation du système de propriété privée individuelle de la terre le fondement d’un accroissement des rendements agricoles, une manière aussi de sécuriser la propriété foncière et d’inciter les paysans à investir dans leur exploitation.
Le passage à la propriété privée individuelle de la terre entraîne bien souvent la ruine des petits paysans, surtout en zone tropicale où les sols s’épuisent vite. Propriétaires de parcelles stérilisées par l’agriculture intensive, les paysans vendent pour payer leur dette et se retrouvent « paysans sans terre », un phénomène fréquent en Amérique latine mais encore rare en Afrique. Les grandes firmes agroalimentaires rachètent alors à bas prix les parcelles, les rentabilisent par l’utilisation d’intrants agricoles massifs : en Argentine, cultiver du soja nécessite le travail de seulement 4 hommes pour 1 000 hectares.
Les paysans sont donc nombreux à se retrouver sans terre, et sans travail, et sans terres cultivées pour les employer.
Les productions agricoles sont elles-mêmes devenues des marchandises intégrées au grand marché mondial. La crise alimentaire qui touche les pays en développement courant 2008 trouve son origine d’abord dans la raréfaction des cultures vivrières au profit des cultures destinées aux agro-carburants, mais aussi à des phénomènes de spéculation boursière.
Que faire ?
Que doit-on faire ?
Respecter les accords de Paris qui rassemblent 145 États et 83% des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), même si le « Fonds vert » promis n’est pas garanti. Privilégier les circuits courts, peu consommateurs de CO2, aborder enfin la question de la décroissance sans diabolisation, lutter contre l’obsolescence programmée qui entraîne un consumérisme destructeur, favoriser selon les théories de William Mac DONOUGHT le « Cradle to cradle », (C2C), qui veut dire « du berceau au berceau », c’est-à-dire l’économie circulaire qui veut « recycler à l’infini ».
La bataille se jouera dans les pays du Sud, en développement. Ils doivent être les premiers bénéficiaires du « Fonds vert ». Si paraît difficile dans un premier temps de sortir de l’économie de marché, peut-on la réguler ?
Que fait-on déjà ?
Des communautés, des États parfois, mettent en œuvre des politiques innovantes pour réguler le marché. Au Mexique il est interdit d’exporter du maïs tant que les besoins nationaux ne sont pas satisfaits. Ces mesures toutefois, dérogatoires aux dispositions de l’OMC, ne peuvent être que temporaires (Mauvaises récoltes).
Dans le domaine médical, la lutte contre le VIH/SIDA a montré que la juridiction des brevets pouvait être contournée pour permettre à des pays pauvres mais industrialisés de produire des génériques.
Les labels certifiant la bonne qualité environnementale des produits (De la pâte à tartiner aux vêtements de coton) vont peut-être permettre le boycott des produits qui concourent à la dégradation de la biodiversité et de l’équilibre environnemental.
L’économie de marché suscite les inégalités et dans le contexte actuel les aggrave. Pourtant, à l’échelle globale, ma mutualisation des coûts de la protection et de la gestion raisonnée de l’environnement permettra de garantir un accès aux ressources même pour les plus démunis.
Résumé © Erwan BERTHO (2018)
→ Cliquez ci-dessous pour télécharger le document principal au format Microsoft Office Word :
Conférences BOUQUET Le developpement durable et l’economie de marche (2017)
Articles complémentaires :
→ Cliquez ICI pour accéder à la conférence de Christian BOUQUET intitulée « Les zones grises sont-elles responsables des crises africaines? »
→ Cliquez ICI pour accéder à l’index par année des conférences.