COMPOSITION
Genèse et affirmation des régimes totalitaires (soviétique, fasciste, nazi).
Les régimes totalitaires dans l’entre-deux-guerres : genèse, points communs et spécificités.
Vous montrerez quelles sont les points communs et les spécificités des régimes totalitaires européens nés et s’étant affirmés dans l’entre-deux-guerres (1919-1939).
L’Entre-deux-guerres en Europe (1919-1939) se caractérise par la genèse et l’affirmation de régimes autoritaires (Balkans, péninsule ibérique) et totalitaires (Italie dès 1922, Union des Républiques Socialistes Soviétiques entre 1917 et 1922 et Allemagne en 1933). Même si ces trois derniers régimes ont des spécificités fortes et des idéologies parfois opposées ils sont porteurs d’une même pratique politique. Nous verrons ce qui constitue la pratique politique des régimes totalitaires soviétique, nazi et fasciste. Après avoir étudié la genèse de ces trois régimes (Ière partie) nous analyserons les deux composantes majeures du totalitarisme, le contrôle total exercé par l’État sur la société (IIe partie) et l’utilisation de la violence de masse (IIIe partie) comme pratique politique.
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La genèse des trois régimes totalitaires est la résultante de plusieurs facteurs dont une industrialisation tardive aux conséquences violentes et la Première Guerre mondiale (1914-1919) qui bouleverse les valeurs humanistes et laisse les peuples désorientés. Ces trois régimes sont avant tout porteurs d’une idéologie (Marxisme en Union soviétique, le racisme et l’hyper-nationalisme en Allemagne et le fascisme en Italie) qui propose de changer l’homme pour changer le monde. Dans ces trois pays l’industrialisation a été tardive et a eu des effets délétères sur la cohésion sociale. Les masses paysannes transplantées dans des centres industriels géants (Ruhr en Allemagne, Turin et Milan en Italie, régions de la Mer Caspienne et de la Mer Noire en Russie) ont été très vite politisées (Révolution de 1905 en Russie) et ont ressenti durement leur mise à l’écart par des élites sociales restreintes (Aristocratie de cours en Russie, bourgeoisie d’industrie et noblesse en Allemagne, grands propriétaires terriens et industriels en Italie comme la famille AGNELLI, propriétaire de FIAT, 1899). À ce long et ancien ressentiment s’ajoute une faible cohésion nationale (L’Italie n’est unifiée qu’en 1866, l’Allemagne en 1871 et la Russie tsariste reste un Empire multiethnique) et des expériences démocratiques très restreintes et décevantes : ces sociétés sont donc particulièrement atomisées. En Russie la libéralisation du régime échoue (1908) et la vie politique est factice voire clownesque comme l’épopée de RASPOUTINE le montre. En Italie l’interdit jeté par les Papes depuis la perte des États pontificaux (1870) laisse le jeu démocratique aux mains d’une ultra-minorité. En Allemagne le complexe militaro-industriel bien en cours auprès de GUILLAUME II a plus de pouvoirs que le Reichstag. La prise du pouvoir par des mouvements autoritaires apparaît plus comme un retour à une normale politique et sociétale que comme une aberration. La guerre laisse la Russie, l’Allemagne et l’Italie dans une situation juridique différente mais avec des rancœurs semblables. L’Allemagne vaincue est contrainte de signer des traités humiliants (Traité de Versailles, 1919) et est dépecée par les vainqueurs (Perte de l’Alsace-Lorraine et des territoires de Prusse orientale). La Russie bolchévique qui signe (Brest-Litovsk, 1918) une paix séparée avec l’Allemagne est exclue des négociations en 1919. L’Italie estime avoir trop peu reçu en compensation des sacrifices consentis. Peuples et élites dirigeantes sont déçus et s’estiment trahis par les démocraties libérales (France, Royaume Uni et États-Unis d’Amérique). Mais les modes de prise du pouvoir restent différentes. En Russie c’est le coup d’État bolchévique (Révolution d’Octobre, 1917) puis la guerre civile (1918-1921) qui permet au Parti Bolchévique de Lénine, grâce au « communisme de guerre », de prendre le pouvoir et de le garder. Lors de la création officielle de l’URSS (1922) l’État est déjà doté des instruments de répression : un parti unique (PCUS), une armée puissante (L’Armée rouge) et d’une police politique violente (La GPU). En Italie c’est l’agitation sociale (Chômage provoqué par le passage d’une économie de guerre à une économie de paix) qui permet aux squadristes fascistes de s’imposer comme les seuls garants du maintien de l’ordre (Marche sur Rome, 1922). En Allemagne le constant mélange de violence de rue et d’onction électorale permet aux Nazis de prendre le pouvoir (30 janvier 1933) avant d’utiliser les appareils de répression (GESTAPO, SS et système concentrationnaire) pour le garder.
Ces trois régimes partagent une première pratique du pouvoir : le contrôle total exercé par un homme sur un parti (Benito MUSSOLINI en Italie, Joseph STALINE en URSS et Adolf HITLER en Allemagne), d’un parti sur l’État (Parti fasciste en Italie, NSDAP en Allemagne et Parti Communiste d’Union Soviétique en URSS) et du contrôle total de l’État sur la société. C’est le totalitarisme : le contrôle total de l’État sur la totalité des citoyens et la totalité de leur vie. Ces trois États totalitaires proposent chacun l’application d’une idéologie (Fascisme, Nazisme et Communisme) afin de changer l’homme et par la suite changer le monde. Les trois régimes partagent le projet de forger un homme nouveau. Le contrôle de la population est en partie acquis par son envie de croire qu’un homme providentiel (« Culte du chef ») peut envers et contre toute probabilité faire son bonheur et réussir là où tous les autres ont échoué. Mais pour ancrer cette envie de croire dans la durée un fort contrôle des esprits par la propagande est nécessaire. Affiches, meetings géants où la conscience de l’individu est noyée dans la fierté d’appartenir à un groupe fort (Manifestations du 1er mai à Moscou, défilés nazis à Nuremberg orchestrés par l’architecte Albert SPEER), émissions radiodiffusées (En Allemagne nazie c’est Joseph GOEBBELS le Ministre de la Propagande), films et actualités au cinéma (Alexandre Nevski d’EISENSTEIN), réunions sportives (Coupe du monde de football en Italie en 1934, Jeux Olympiques de Berlin, 1936 scénographiés par la photographe Léni RIEFENSTAHL), encadrement de la jeunesse dans des groupes de scoutisme d’État (Balillas en Italie, Pionniers et Komsomols en URSS, Hitlerjugend en Allemagne) qui accueillent des millions d’adhérents (4,5 millions en Italie soit 10,5% de la population, 8 millions en Allemagne soit 11,5% de la population). Les adultes sont embrigadés par les syndicats uniques et par le parti unique (En Allemagne dès Mai 1933, en Italie 12% de la population adhèrent aux organismes de loisirs du Dopolavoro). L’idéologie propose une action collective tournée vers la naissance d’un homme nouveau. D’où l’attention particulière apportée par ces régimes à la jeunesse et à l’école : les corps enseignants sont épurés des éléments suspectés peu fiables envers le régime. En Allemagne les Juifs sont exclus des professions libérales et intellectuelles (Avocats, médecins, journalistes) et enseignantes (HEIDEGGER, philosophe allemand majeur du XXe siècle se compromet en acceptant la présidence de l’Université de Fribourg tandis que ses élèves juifs comme Hannah ARENDT en sont exclus). Les programmes scolaires sont réformés pour devenir des courroies de transmission de l’idéologie totalitaire du régime. Les étapes de la mise en place du régime sont cependant très différentes. En Allemagne l’État nazi devient très vite un État totalitaire : nommé Chancelier en janvier 1933 Adolf HITLER fait interdire le Parti Communiste allemand en février (Après l’incendie du Reichstag, qui leur est, à tort, imputé), reçoit les pleins pouvoirs en mars et fait ouvrir le 1er camp de concentration (Le camps de Dachau) en 1934. Après la « Nuit des longs couteaux » (juin 1934) où les chefs de la SA (Dont Ernst RÖHM son fondateur) sont exécutés par la SS (Dirigée par Heinrich HIMMLER) le pouvoir d’Adolf HITLER est absolu. En URSS les purges au sein du PCUS sont fréquentes (1929, 1935, 1936-1937 et 1938) et montrent la permanence d’une sourde opposition interne au sommet du pouvoir, même si le pouvoir personnel de Joseph STALINE n’est jamais vraiment remis en question. En Italie Benito MUSSOLINI doit composer avec le Roi d’Italie VICTOR-EMMANUEL II, représentant les élites traditionnelles, et avec le Grand Conseil National Fasciste, qui finira par le déposer en 1943. On parle ici de « dictature faible » car MUSSOLINI doit composer avec des forces aussi puissantes que lui.
On le voit, la violence est consubstantielle à l’établissement et au maintient des États totalitaires. Mais c’est le cas de toutes les dictatures. Or un État totalitaire n’est pas une dictature démultipliée. C’est un régime d’une autre nature même s’il emprunte à la dictature de nombreux traits de comportement. Ce qui caractérise les régimes totalitaires c’est la violence de masse : la destruction régulière et programmée de groupes sociaux entiers. En URSS la guerre civile (1918-1921) a déjà vidé les villes de la haute bourgeoisie et de la noblesse, qui émigrent. La collectivisation des campagnes (1929, le « Grand Tournant ») entraîne la déportation de 2 millions de paysans propriétaires (Les koulaks), la famine qui suit (1931-1932) fait 6 millions de victimes dans le monde paysan. La « Grande Terreur » qui s’abat sur le parti pour justifier les souffrances du peuple fait 750,000 morts parmi les cadres mais elle touche aussi des pans entiers du monde soviétique : Tatars, Cosaques, Allemands de la Volga, Ukrainiens, des minorités non-russes sont déportées. Des camps de concentration administrés par le GOULAG concentrent les ennemis du régime au-delà du cercle polaire arctique (Région de la Kolyma en Sibérie) où ils sont tués par le travail et les mauvaises conditions de vie (Construction du canal Belomor de la Mer Blanche à la Mer Baltique entre 1931 et 1933 par 300,000 détenus, les zeks) ou les exécutions sommaires. En Allemagne la destruction des Juifs est programmée (Mein kampf, 1922-1925) mais le régime commence, avant la guerre (1939), par les stigmatiser (Assassinats ciblés, boycott, destruction des biens comme lors de la « Nuit de Cristal » en 1938, exclusion de la vie sociale avec les « lois de Nuremberg », 1935). La violence s’abat sur tous les ennemis désignés du régime : communistes (Parti interdit dès février 1933), chrétiens, homosexuels, malades mentaux et handicapés (90,000 sont exécutés entre 1933 et 1939) sont déportés dans les camps de concentration d’où ils ne ressortiront pas (Ceux qui survivent à la brutalité des gardiens, au surtravail et à la sous-alimentation sont assassinés en 1945). Ces trois régimes se sont dotés d’instruments de répression ad hoc : c’est le nouveau NKVD en URSS (1935), la GESTAPO et l’empire de la SS en Allemagne ou l’OVRA en Italie. Enlèvement, disparitions, exécutions extrajudiciaires ou lors de parodies de justice (« Grands procès de Moscou » en 1938) sont le quotidien de ces régimes. Si l’Italie ne se caractérise pas par des exécutions de masse sur son sol, la guerre menée en Éthiopie (1935) montre le peu de cas de la vie humaine qu’ont les fascistes (Bombardements de villages, gaz de combat, exécutions de prisonniers).
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Les trois régimes partagent des points communs forts (Coup d’État, contrôle total par l’embrigadement, violence de masse, culte du chef). Une divergence majeure les sépare cependant : en URSS la guerre n’est pas l’horizon ultime de la fabrique de l’homme nouveau, alors que les fascistes italiens et allemands la postulent comme l’étape essentielle de leur projet idéologique. Mais les conséquences pour les populations sont les mêmes : peur, paranoïa érigée en genre de vie, schizophrénie collective, déresponsabilisation sont profondément ancrés dans les âmes… Sortir du totalitarisme ne se résume pas à abattre les régimes totalitaires.
© Erwan BERTHO (2013)
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COMPOSITION HISTOIRE corrigée 7 Genèse et affirmation des régimes totalitaires
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