« L’Asie orientale dans la mondialisation. »
Corrigé
La tenue des Jeux Olympiques à Pékin en 2008, la foire internationale de Shanghai commencée la même année, le tsunami qui a ravagé le Japon en 2011 ou l’organisation d’une aire de libre échange dans le Pacifique proposée par le président des États-Unis, Barak Obama, en 2011, sont des manifestations claires d’un déplacement du centre de gravité économique et politique vers le Pacifique ces dernières années. L’Asie orientale (République Populaire de Chine RPC, Japon, Corée du Sud, Taïwan et Singapour dans sa définition restrictive mais aussi tous les pays riverains de la Mer de Chine dans sa définition élargie) semble en passe de devenir l’épicentre de la planète. Or dans un contexte de mondialisation des économies et des cultures, c’est-à-dire d’interconnexion des économies et de métissages culturels, les équilibres sont fragiles.
Si la place de l’Asie orientale comme « atelier du monde » ne fait aucun doute c’est sa capacité à en devenir le moteur essentiel, voire le pôle directeur, qui fait débat aujourd’hui : dans quelles mesures peut-on affirmer que l’Asie orientale est aujourd’hui le pôle dominant de la Triade (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest et Asie orientale), orchestrant dorénavant la mondialisation ?
Dans un premier moment il faudra mesurer la puissance mondiale de l’Asie orientale, et pas seulement en termes économiques mais aussi politiques et culturels (I.). Dans un deuxième moment l’étude des atouts humains et spatiaux de cette aire de puissance en expansion permettra de comprendre ce formidable dynamisme (II.). Enfin dans un dernier moment il faudra peser le poids des contraintes spécifiques à cette région agitée par des tensions géopolitiques majeures et marquée par des inégalités socio-spatiales fortes (III.).
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L’Asie orientale est une aire de puissance mondiale incontestable. On analysera en dernière partie sa capacité à être autre chose qu’une expression géographique. Dans ce premier moment il faut tâcher de mesurer cette puissance, économique (1) d’abord, politique ensuite (2), culturelle (3) enfin. L’Asie orientale n’est plus seulement « l’atelier du monde ».
Le dynamisme économique de l’Asie orientale ne fait aucun doute. Elle doit cette vitalité économique à son rôle d’atelier du monde mais elle a aussi largement dépassé cette position subalterne. Si la vitalité des pays riches comme le Japon mais aussi comme tous les Nouveaux Pays Industrialisés de 1ère génération (NPIA-1) est moindre (3% de croissance du Produit Intérieur Brut en Corée, récession passagère au Japon) ceux-ci sont de vraies puissances : par exemple, la bourse de Tokyo, le Kabuto-Cho, avec ses 4,000 milliards de dollars de capitalisation financière par jour est la deuxième place boursière de la planète. Mais c’est bien sûr la Chine qui connaît les taux de croissance du PIB les plus spectaculaires : plus de 11% de croissance annuelle en moyenne ces vingt dernières années. Le PIB chinois a été multiplié par dix entre 1979 et 1989 et a été multiplié encore par dix les vingt années suivantes (1989-2009) atteignant les 9,000 milliards de dollars (Ce qui en fait, derrière le PIB américain de 12,000 milliards de dollars, le 2e PIB mondial). A l’aube de 2020 le PIB chinois égalera le PIB américain et les prévisions de la Banque mondiale (Washington) le donne en 2050 au double du PIB des Etats-Unis… Bien sûr les Investissements Directs Étrangers (IDE) sont pour la région un des moteurs de la croissance, et derrière eux la consommation occidentale, débouché premier des industries asiatiques. Mais une large partie de cette croissance est maintenant endogène. 50% des IDE en Chine proviennent de la diaspora chinoise, c’est-à-dire venant des pays comme Taïwan ou Singapour mais aussi des populations chinoises d’Asie (Indonésie, Vietnam, Cambodge, Malaisie) et d’Amérique du Nord. 40% du trafic du port de Shanghai vient de la République Populaire de Chine et y repart. La Chine a d’ailleurs reporté sur son marché intérieur le défaut de consommation du Nord depuis 2008. Ce qui explique le soutien inattendu du gouvernement communiste aux revendications salariales des employés chinois des Firmes Transnationales (FTN) installées dans les Zones Economiques Spéciales (ZES) du littoral. Foxconn, opérateur d’Apple en RPC, vient (2012) de doubler les salaires des ouvriers qui reçoivent ainsi 250€ par mois. Ce qui leur permet maintenant de devenir des consommateurs de produits chinois ! C’est la fameuse « croissance inclusive » prônée par Pékin.
La formidable croissance asiatique a depuis longtemps eu des répercussions sur le comportement politique des pays de la région. Inféodés au Japon dont ils accueillaient les délocalisations (et donc les investissements) les États de l’Association des Nations du Sud Est Asiatique (ASEAN) sont aujourd’hui plus autonomes : le projet de constituer une vaste zone commerciale et monétaire ne paraît plus utopique. S’ébauchent donc en Asie orientale des projets pour transformer la puissance économique en puissance politique. Les atouts sont là. L’Asie orientale est devenue un pôle d’innovations autant que de fabrication. Les élites coréennes ou chinoises sont parfaitement à mêmes de piloter les grandes institutions mondiales. Sur les quatre grandes institutions qui régulent, autant que faire se peut, la mondialisation (Organisation des Nations Unies ONU à New York, Organisation Mondiale du Commerce OMC à Genève, Fond Monétaire International FMI et Banque Mondiale WBG à Washington) deux (ONU et WBG) sont dirigées par des Coréens. La constitution du G20 (Les 19 États les plus industrialisés ou les plus riches de la planète et l’Union Européenne UE) marque l’entrée sur scène des pays émergents mais parmi eux les plus puissants sont asiatiques. La réunion du G2 (Etats-Unis Chine) marque le poids de la RPC dans les relations internationales. Ce rôle politique de l’Asie orientale dans les affaires du monde n’est pas nouveau : en 1990-1991 lors de la 1ère Guerre du Golfe le Japon avait été sollicité pour prêter son concours financier, indispensable à la constitution d’une gigantesque armée de près d’un million d’hommes. Depuis 2001 des troupes japonaises interviennent épisodiquement pour soutenir les forces de la FIAS en Afghanistan, mettant à bas le tabou hérité de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) de non-intervention hors des frontières de Forces d’Autodéfense Japonaises (FAJ). Ce poids politique peut aussi s’exercer de manière moins positive : le soutien accordé à la Syrie, à l’Iran, à la junte birmane ou à l’armée Sri Lankaise par la Chine bloque les initiatives de l’ONU sur ces questions. Mais désormais il est clair que les États asiatiques jouent un rôle politique et pas seulement en Asie, et pas seulement à l’échelle régionale. L’Asie orientale est devenue un acteur politique majeur de l’espace monde.
La puissance culturelle (faudrait-il plutôt parler de l’influence de la culture ?) est plus difficile à mesurer mais reste incontestable. Au contraire de l’Inde, grande productrice de films et soap opera, les États de l’Asie orientale ont mis plus de temps à émerger sur la scène culturelle mondiale, en partie parce l’Asie orientale a été longtemps elle-même une grande consommatrice de produits culturels occidentaux. Mais les cinémas japonais, taïwanais et coréens s’exportent aujourd’hui très bien. Pour preuve les prix distribués par les grands festivals européens (Festival International du film de Cannes, de Berlin, de Venise, de Lugano…). Les palmes, ours d’or et lions d’or couronnent depuis une vingtaine d’années les réalisateurs asiatiques : Takeshi Kitano par exemple voit ses films régulièrement primés. John Woo est devenu aujourd’hui un réalisateur incontournable d’Hollywood et ses films repris régulièrement (A toute épreuve par exemple). Si la culture coréenne reste encore mal connue la culture japonaise se diffuse dans la jeunesse mondiale par le biais des mangas (Bandes dessinées) ou des « animés », film d’animation reprenant les héros et les thématiques des Mangas. Ce qui entraîne une diffusion de la langue et du système d’écriture japonais, pourtant peu accessibles. Cet engouement n’est pas un phénomène passager : depuis quinze ans la France est le deuxième producteur de mangas au monde. Le choc des cultures entre l’Occident allant à la rencontre de l’Orient extrême est même devenu une culture en soi : Lost in Translation (De Sophia Ford Coppola) en offre un bon exemple. La culture chinoise (et dans une moindre mesure indonésienne pour le cas des Pays Bas) connaît une forte diffusion par le biais de ses diasporas : quelle ville mondiale n’a pas sa « Chinatown » et ses cohortes de restaurants « chinois » adaptés en réalité aux goûts spécifiques des populations locales ? Non seulement les cultures d’Asie rayonnent mais elles échappent parfois aux influences extérieures : si Facebook est le premier réseau social dans le monde le deuxième, Baïdu, est … chinois ! Et ses 300 millions de clients ne semblent pas souffrir de n’avoir aucun « ami » américain.
L’Asie orientale est donc devenue un acteur majeur de la mondialisation, non plus comme simple subalterne des économies et des cultures occidentales (Etats-Unis, Canada et Europe de l’Ouest) mais avec un rôle directeur, de cogestion et même d’impulsion des investissements, comme des modes. Comment comprendre cette puissance ?
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L’Asie orientale bénéficie d’abord d’un poids humains inouï (1) qui l’immunise en quelque sorte des contraintes extérieures à la zone. Mais son organisation spatiale marquée par la métropolisation et la littoralisation des hommes et des activités (2), et son rôle historique dans la mise en place de la mondialisation (3) sont également des facteurs explicatifs forts.
L’Asie orientale c’est d’abord l’Asie des fortes densités. Dans les rizières du delta de la rivière des perles, près de Guangzhou et Hong Kong (RSA) les densités rurales sont supérieures aux densités urbaines moyennes en Europe. On compte en moyenne plus de 2,000 habitants/km² le long des littoraux d’Asie orientale, régions rurales y compris. Ce que l’on a appelé « la civilisation du riz » requière en effet de forts contingents d’hommes (Entretien des digues et des canaux, piquage et repiquage difficilement mécanisables…) mais en contrepartie nourri de fortes populations. Près d’un homme sur trois vit en Asie orientale (Un homme sur deux vit d’ailleurs en Asie !). La RPC compte un milliard et demi d’habitants, l’Indonésie en compte 250 millions et le Japon 115. Ces foyers de peuplement sont pour beaucoup dans l’attrait de l’Asie orientale : le marché « chinois » est en Europe un vieux fantasme industriel. Peugeot et Citroën attendent depuis 1979 les centaines de millions de consommateurs promis. Mais c’est aussi un formidable réservoir de producteurs : la main d’œuvre, habituée aux nombreuses privations des régimes dictatoriaux d’hier et d’aujourd’hui (RPC d’aujourd’hui, Indonésie de Sukarno hier), et des classes politiques fermées sur elles-mêmes (Japon, Singapour, Taïwan) est une des moins chère du monde. L’ouvrier chinois gagne au mieux 8$ par jour (C’est 8$ par heure en Europe) et une fois déduction faite des frais de nourriture et de logement il n’aura guère que 5 à 6$ de revenus nets. Une misère en Europe, un luxe pour les paysans asiatiques qui quittent la terre pour les grandes métropoles comme Jakarta ou Guangdong. Cette main d’œuvre illettrée hier est fortement diplômée aujourd’hui et les universités asiatiques forment les grandes cohortes des prix Nobels, médailles Fields et ingénieurs. 50% des brevets déposés chaque années aux Etats-Unis par des firmes étrangères viennent d’Asie, dont 4,000 de la seule Corée du Sud (A titre de comparaison la France en dépose 3,000 par an). Cette population diplômée forme le fer de lance des prouesses techniques (La plus longue voie ferrée haute vitesse du monde est en Chine) et scientifique (Taïkonautes chinois, robotique japonaise). Un quart de la puissance de calcul des superordinateurs dans le monde se concentre en Asie. Les grandes universités asiatiques dominent la recherche et donnent même les nouveaux critères scientifiques : le classement des 100 meilleures universités du monde réalisé par l’université de Shanghai est attendu maintenant avec appréhension par les vénérables universités européennes et américaines.
L’Asie orientale possède l’atout géophysique de pouvoir s’organiser autour de la Mer de Chine, véritable Caraïbes extrême-orientales elle lie les grandes puissances industrielles et financières (Japon, Corée du Sud et Taïwan) avec les pays de délocalisations récentes (NPIA-2 et Chine littorale) et les plaques tournantes commerciales et financières aujourd’hui spécialisées dans la banque assurance (Hong Kong et Singapour). C’est ce qu’on a appelé un peu familièrement « le circuit intégré asiatique ». La capacité de l’Asie orientale à produire en circuit presque fermé a dopé ses activités financières et portuaires. Les deux tiers du tonnage de Singapour sont constitués de fret en provenance et à destination de la zone. L’activité maritime est au cœur du développement de la puissance économique de la région. Les façades maritimes (Chine littorale de Tianjin au Hunan et la mégalopole japonaise et ses 1,200 km de côtés urbanisées et industrialisées) jouent un rôle commercial et industriel majeur à l’échelle de la planète. Les principaux ensembles portuaires du monde s’y concentrent. Sur les 10 ports les plus actifs du monde dans le trafic de conteneurs 7 sont asiatiques dont les 6 premiers ! Sur la mégalopole japonaise mais aussi maintenant en Corée du Sud les littoraux se doublent de gigantesques plates formes artificielles qui accueillent les activités financières, commerciales et bancaires comme les activités industrielles, sidérurgiques et maritimes sur des terres pleins de plus en plus grands. Le port de Shanghai trop étroit pour faire face à l’augmentation du trafic (30 millions d’Équivalents Vingt Pieds par an, soit plus de 80,000 conteneurs débardés chaque jours) s’est délocalisé 30 km en pleine mer sur un ensemble de 7 îles raccordées entre elles par un terre plein artificiel relié au continent par le plus long pont du monde, suffisamment haut pour laisser passer les portes conteneurs géants, comme les Post Panamax de Maersk. Les flux financiers et maritimes lient ces façades entre elles et sont dominées par des métropoles géantes (Tokyo et son aire urbaine : plus de 35 millions d’habitants) et en plein essor (25% des grues de construction du monde sont à Shanghai qui s’est doté de plus de 4,000 grattes ciels ces cinq dernières années). Chaque année 40 millions de paysans chinois quittent les campagnes pour s’installer en ville. Au Japon 90% de la population vit dans la mégalopole, et que dire des cités États comme Hong Kong (Territoire à statut spécial de la RPC) ou Singapour où la population par nature est urbaine à 100%.
Mais le roman vrai de « l’émergence miraculeuse » de l’Asie mentionne rarement que les fortes croissances sont aussi le produit d’une histoire spécifique. Il n’existe pas de modèle vertueux du développement en Asie. Si l’on se focalise sur le Japon et les NPIA-1 d’un côté et la RPC de l’autre il faut admettre que la stratégie de développement par substitution des importations (Appelée par des humoristes le « développement en vol d’oies sauvages », qui fait naître du Japon des années soixante dix les « dragons », et ensuite les « bébés tigres » !!) a bénéficié d’un contexte géopolitique unique. Sous parapluie militaire et commercial américain le Japon et les NPIA-1 ont pu fermer leurs frontières à la concurrence étrangère le temps de développer des industries lourdes (Acier, construction navale) puis légères (Automobiles, électroménager) puis de haute technologie (Hi-Fi, électronique, optique). Les populations captives de la production nationale essuyant bien malgré elle les ratés des premiers tâtonnements. La Chine, enfermée par la Guerre Froide (1947-1991) a bénéficié de son isolement géopolitique (Allié de l’URSS donc coupée du monde capitaliste) puis a monnayé son ralliement progressif au capitalisme (Les « 4 modernisations » de Deng Xiaoping, 1978-1979) réussissant le tour de force de bénéficier de la clause de la nation la plus favorisée auprès des Etats-Unis, voyant ainsi la dernière grande puissance communiste en affaire avec la plus grande puissance capitaliste. Or ces passe-droits, ses clauses amicales qui permettaient aux nations asiatiques de fermer leur marché à la concurrence le temps de développer leurs secteurs économiques à haute valeur ajoutée ne sont plus possibles aujourd’hui où les pays du monde sont quasiment tous membres de l’OMC, c’est-à-dire adeptes di libre échange sans entrave et sans exception. Il n’y a donc pas de modèle asiatique. La Guerre froide est finie, la stratégie de développement par substitution des importations ne semble plus guère possible. D’ailleurs le développement des NPIA-2 (Thaïlande, Malaisie, Indonésie et Philippines) qui se fait dans un contexte de concurrence pure et parfaite est moins spectaculaire que celui des NPIA-1, et beaucoup plus fragile. Qu’on se souvienne qu’en 1950 le PIB de la Corée du Sud est inférieur à celui du Sénégal. Il y a loin que celui de la Malaisie dépasse celui de la Corée en 2050.
Pour devenir cet acteur majeur de la mondialisation des économies et des cultures, l’Asie orientale a donc bénéficié d’une population nombreuse, dense et très bien formée, d’une mer intérieure (La Mer de Chine) qui a organisé la région en un gigantesque carrefour mondial de produits industriels, et de conditions géopolitiques qu’on ne retrouve plus aujourd’hui. Pourquoi, alors, l’Asie orientale n’est-elle pas le géant politique que sa puissance et son intégration régionale lui permettraient d’être ?
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L’Asie orientale n’est en effet aujourd’hui qu’une expression géographique sans aucun contenu géopolitique, idéologique ou politique. L’Asie orientale n’est qu’une illusion cartographique : dans les relations internationales n’existent aujourd’hui que les rivalités ou les convergences, fragiles, des intérêts de tel ou tel. La région est d’abord le théâtre d’une formidable dégradation des conditions environnementales (1) produit de la croissance et d’une négligence orchestrée des autorités de la zone. Par ailleurs les fortes croissances si elles permettent de réelles avancées sociales sont aussi le ferment de graves déséquilibres socio-spatiaux (2). Enfin les rivalités stratégiques et les inquiétudes générées par le comportement erratique de l’ogre chinois (3) sont sources de tensions grandissantes. Ce sont les hypothèques de la puissance asiatique.
La région est de plus en plus marquée par les déséquilibres : environnementaux, juridiques, sociaux spatiaux… L’Asie orientale des fortes densités est aussi celle des fortes contraintes. Les contraintes physiques d’abord. L’Asie orientale c’est l’Asie des typhons, des séismes et des raz de marée (Tsunamis) dont on sait maintenant (Fukushima, 2011) la violence et les conséquences désastreuses (20,000 morts) aussi bien en termes de vies humaines que de désorganisation économique. Mais tous les États de la planète sont confrontés à de semblables défis et les exemples sont nombreux pour montrer que les sociétés face aux risques s’adaptent et s’il le faut reconstruisent. L’Empire romain n’a pas été ébranlé par Pompéi, quand bien même son élite dirigeante y a périt, ses intellectuels aussi. Ce qui frappe en Asie orientale c’est la négligence des autorités face aux risques. La corruption (Chine, Japon), l’impréparation des autorités face à l’ampleur des défis (Japon), la désinvolture des populations (Chine, Indonésie) aggravent les risques. Comme si la dégradation de l’environnement et les catastrophes cycliques étaient le prix nécessaire à payer pour bénéficier de la forte croissance. La pollution atmosphérique est telle à Pékin qu’il a fallu interdire les activités industrielles en périphérie pendant la durée de Jeux pour que l’air soit respirable pour les athlètes ! Les eaux littorales de la mégalopole japonaise sont souillées depuis les années soixante et les poissons n’y existent quasiment plus qu’en bassins d’élevage depuis le début des années quatre-vingt. De cette désinvolture vis-à-vis de l’environnement (qui n’est certes pas l’apanage des sociétés asiatiques) s’ajoutent d’autres comportements pernicieux et au final dangereux. C’est le cas par exemple du mépris affiché par les hommes d’affaires chinois à l’égard de la propriété intellectuelle, fondement de l’économie de marché. Si jusqu’à récemment la copie et la contrefaçon concernaient le secteur assez peu étendu des produits de luxe, elles touchent maintenant tous les domaines et parmi les plus sensibles comme les technologies duales, à la fois civiles et militaires (Aéronautique, électronique…). Certains opérateurs occidentaux ont du quitter la Chine (Danone) d’autres refusent de s’y installer (Géox). La méfiance des opérateurs économiques devant certains pays de l’Asie orientale parce que le climat des affaires s’y détériore est évidemment un frein à la puissance. Plus graves peut-être, chaque pays de la région est porteur de déséquilibres socio-spatiaux grandissants : si la Chine littorale vit dans un pays émergent (PIB de 7,500 de $/an/hab/PPA) les paysans chinois de l’intérieur des terres vivent dans un pays du Tiers-Monde (Moins de 2,000 $/an/hab/PPA). Le rapport de revenus entre la Chine littorale et la Chine intérieure en Parité de Pouvoir d’Achat (PPA) est de 1 à 3 ! Il en va de même des inégalités entre villes et campagnes de toute la zone… Il faudra lever cette inconnue que représentent les centaines de millions d’hommes privés des fruits de la croissance…
Mais la principale limite de la puissance en Asie orientale vient principalement du fait que cette dernière est politiquement très fragmentée. Le Japon, 3e puissance économique de la planète, est exclu des grandes organisations régionales. Les membres de l’ASEAN sont les principales victimes des crimes de guerre du Japon impérial pendant la Seconde Guerre mondiale (Unité 731 et ses expériences médicales sur des prisonniers de guerre, « femmes de réconfort » principalement coréennes et chinoises, parfois de simples ouvrières japonaises, marche à la mort des prisonniers en Birmanie, crimes contre les populations civiles en Chine comme à Nankin en 1937). Les hommages rendus par quasiment tous les Premiers Ministres japonais aux cendres des criminels de guerre japonais pendus après le procès de Tokyo (1947-1948), les manuels scolaires nippons présentant l’archipel comme une victime de l’impérialisme occidental laissent un goût amer aux dirigeants des pays concernés mais surtout excite les nationalismes respectifs. Les heurts entre les autorités chinoises et japonaises sont fréquents. Plus graves sont les litiges territoriaux. Les îles Spratly revendiquées à la fois par le Vietnam, la RPC, la Malaisie et l’Indonésie, et dont la Zone Économique Exclusive (ZEE) est riche en hydrocarbures et qui se trouvent, de surcroît, sur les routes maritimes stratégiques de la RPC, de la Corée du Sud et du Japon sont une des causes majeures de conflits entre les pays de la région. La diversité des régimes politiques (Dictature en RPC et en Corée du Nord), régime en transition démocratique avancée (Indonésie, Philippines, Singapour, Taïwan) et démocraties (Parfois récentes comme la Corée du Sud), voire théocraties (Dans le très curieux Brunei) le kaléidoscope politique n’aide pas à l’intégration régionale. Sans parler de la fracture religieuse que l’après 11 septembre 2001 a exacerbé et des dynamiques séparatistes. La guerre entre séparatistes musulmans et le gouvernement philippin, ou entre les séparatistes d’Aceh et le gouvernement indonésien, la récente sécession du Timor oriental montrent que la région est fragile. La concentration des marines de guerre de toutes les grandes puissances régionales et mondiales dans le détroit de Malacca pour lutter contre la piraterie endémique ajoute paradoxalement à l’instabilité de la zone. D’autant plus que les motifs anciens de conflits survivent encore : le contentieux entre la RPC et Taïwan n’est pas réglé. Et les provocations militaires de la RPC, première puissance militaire de la région, (Occupation des Spratly, manœuvres militaires au large de Taïwan) renforcent l’inquiétude des pays riverains de la Mer de Chine. Tant que l’Asie orientale ne sera pas apaisée elle ne pourra en tant qu’entité prétendre être une puissance politique majeure à l’échelle mondiale.
Et en définitive, l’inconnue majeure reste, étrangement, la République Populaire de Chine. Que ce soit à l’échelle régionale ou mondiale son comportement peut inquiéter. La croissance chinoise est largement assise sur la production de biens industriels (16% de la valeur ajoutée industrielle mondiale est d’origine chinoise) à destination de la Triade (60% du PIB chinois est constitué d’exportations). Des produits phares (Comme les produits Apple) sont fabriqués en Chine, le long du littoral qui va de Tianjin (Avant port de Pékin) jusqu’à l’île méridionale de Hunan, une des premières ZES ouverte par Deng Xiaoping en 1979. Aujourd’hui l’économie chinoise, trente ans après l’ouverture au capitalisme, a fait des bonds de géants. La Chine est une puissance nucléaire et spatiale, mais surtout sa finance est une des premières du monde. Le rachat par la République Populaire de Chine des dettes publiques polonaise dans un premier temps, puis espagnole et portugaise enfin a montré que désormais c’est non plus comme producteur mais bien comme créancier qu’il fallait appréhender la RPC. Ses réserves de change sont immenses (2500 milliards de dollars en bonds du Trésor essentiellement) et donne à la Banque Centrale Chinoise un pouvoir sur les décisions économiques de la planète. Au sommet de Davos de 2010 les dirigeants chinois, invités d’honneur, ne se sont pas privés de donner des leçons de moralité aux peuples dépensiers du Nord ! Les fonds d’investissements comme China Investment Corporation (CIC) et ses 300 milliards de participations dans des entreprises dans le monde (2000 rachetées en 2009) deviennent des acteurs clés de la finance. Car la Chine énerve et inquiète. Son « Yuan » (Surnom du renmimbi, la « monnaie du peuple ») grossièrement sous-évalué d’au moins 40% par Pékin fait fuir les emplois de la Triade vers la Chine, appauvrissant les pays du Nord qui empruntent alors auprès de…Pékin ! Or la RPC doit connaître une croissance de plus de 8% pour fournir les 20 millions d’emplois annuels qui vont absorber l’exode rural. En conséquence l’appétit de la Chine paraît sans limite : en 2010 66% des fusions-acquisitions internationales dans le monde comprenaient des partenaires chinois. On se souvient de LENOVO rachetant la division PC d’IBM, l’icône de l’informatique des États-Unis. Or l’Occident ruiné et souvent volé de ses brevets de fabrication ne va pas laisser indéfiniment la Chine voler des idées avec ses industriels et voler des emplois avec sa monnaie. Les accointances de Pékin avec les dictateurs de la planète (Ahmadinedjad en Iran, Assad en Syrie, Omar El Béchir au Soudan, Biya et Bongo pour respectivement le Cameroun et le Gabon), trop heureux enfin d’avoir un partenaire économique qui ne parle pas de droits de l’homme, ne sont pas de nature à détendre les relations avec les autres pôles de la Triade.
On le voit les hypothèques qui pèsent sur la puissance de l’Asie orientale sont nombreuses. Et la première de ces hypothèques est sans conteste l’Asie orientale elle-même. Saura-t-elle trouver dans un contexte géopolitique et économique très tendu les ressources pour se constituer en une association d’États transparente et clairvoyante, condition sine qua non pour obtenir le statut de grande puissance ?
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L’épicentre de la puissance mondiale s’est définitivement déplacé en Mer de Chine, manifestation d’un exceptionnel dynamisme économique, plus solide qu’on ne le pensait avant la crise des sub primes et des dettes publiques de 2008-2010. L’Asie orientale qui n’était, excepté le Japon, que l’atelier du monde est devenue le banquier du monde. Le rapport de force a changé. L’Asie orientale est donc devenue un acteur directeur central de la mondialisation. Mais les lourdes hypothèques géopolitiques, la nature même de sa croissance, les impératifs de développement d’un tiers de l’humanité représentent des inconnues sérieuses. Et inquiétantes. Or la vertu cardinale d’une puissance, outre l’unité politique qui n’est pas acquise, c’est de rassurer. Et aujourd’hui l’Asie orientale nourrit sans doute beaucoup de sentiments, parfois contradictoires. Mais elle ne rassure personne.
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