BIBLIOTHÈQUE VIRTUELLE – EXTRAITS – Michel FOUCHER, Frontières d’Afrique. Pour en finir avec un mythe, 2014, Paris, « Les frontières d’Afrique sont devenues des frontières africaines. »

BIBLIOTHÈQUE VIRTUELLE – EXTRAITS

L’AFRIQUE FACE AU DÉVELOPPEMENT ET LA MONDIALISATION

Michel FOUCHER, Frontières d’Afrique. Pour en finir avec un mythe, 2014, Paris

« Les frontières d’Afrique sont devenues des frontières africaines. »

EXTRAIT

« […] Les frontières d’Afrique ont mauvaise réputation. Elles seraient, aujourd’hui encore, arbitraires et absurdes, poreuses et subverties, indéfendables et non défendues. 

                Pourtant, en juillet 2014, la résolution de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) sur les litiges entre États africains au sujet des frontières, adoptées par la conférence des chefs d’État et de gouvernement réunie au Caire les 17-21 juillet 1964, passe le cap du demi-siècle. […]

                Ce principe d’intangibilité a été respecté, à de rares exceptions près : indépendance de l’Érythrée (selon une ligne coloniale ancienne, italo-abyssinienne) et sécession, sous forte pression extérieure et à l’issue problématique, du Soudan du Sud ; seule la tenue d’un référendum a permis à l’Union africaine d’accepter cette altération de la ligne générale. L’engagement du Caire a été globalement tenu et continue de l’être. Les États se sont appropriés cet héritage d’une période coloniale finalement assez brève (1885-1960), au regard de la longue durée de l’histoire politique du continent […].

                Il est donc temps d’en finir avec le mythe des cicatrices coloniales responsables de tous les maux : des tracés arbitraires, artificiels et absurdes dans un continent qui aurait ignoré les limites politiques et donc le Politique […]. L’affirmation du caractère pénalisant des frontières africaines fait partie d’une de ces nombreuses idées reçues. […]

                Le présent essai entend poursuivre la déconstruction de cette doxa qui ressurgit à l’occasion de chaque conflit et qui fait l’impasse sur les réalités politiques (des frontières assumées depuis cinquante ans par les États et les nations) et les dynamiques de terrain (des frontières gérées de manière pragmatique comme source d’opportunités et comme une ressource par les sociétés). […]

                Les frontières d’Afrique sont devenues des frontières africaines, assumées comme telles, dans une politique de réaffirmation des frontières avec le soutien de l’Union africaine. La genèse des tensions internes est à chercher ailleurs. L’enjeu crucial est dans l’appropriation et le contrôle des périphéries et des enveloppes. […] Les États africains ont su, jusqu’à maintenant, s’en tenir à ce principe d’inviolabilité garante de stabilité et ont évité les logiques de fragmentation propres au continent européen depuis 1989.

                Les frontières actuelles y présentent plusieurs caractéristiques originales. Elles ont été tracées en un bref quart de siècle (1885-1909) pour plus de 70% de leur longueur. Situation historique unique au monde, qui procède du vecteur central du découpage, le partage de territoires en possessions et en sphères d’influence par des puissances extérieures rivales mais complices.

38% des longueurs furent ainsi délimitées dans les dix premières années qui suivirent la conférence de Berlin et 50% dans les quinze premières années, soit entre 1885 et 1900, ce qui confirme la réalité du « scramble for Africa ». Ce processus s’acheva avec le partage franco-espagnol du Maroc en 1911-1912 et l’annexion de la Libye par l’Italie. Hormis l’Éthiopie, il n’y eut plus rien à partager. Ce furent des frontières a priori, tracées depuis l’Europe sur des cartes indécises, avec beaucoup de blancs et d’inconnues et, le plus souvent, avant même toute reconnaissance de terrain. […]

Ces deux faits – découpage exogène et partage rapide – expliquent la nature des supports des tracés. Ils sont hydrographiques et lacustres dans 34% du total, orographique (suivant les contours de la géographie physique) dans 13% ; ils suivent des lignes géométriques (astronomiques, mathématiques) dans 42% des cas (contre 23% en moyenne mondiale) ; ils relèvent d’autres catégories (ethniques, tracés antérieurs) dans 11% des cas seulement. […] À la différence de ce qui se passait en Europe, on commença en Afrique par définir sur la carte les territoires convoités puis on entreprit sur le terrain de les conquérir. La carte précéda le texte. […]

[…] Le discours sur l’artificialité des frontières africaines n’est pas porté par les dirigeants et les peuples africains. Il est d’origine coloniale ; il est surtout aussi ancien que la colonisation. Il néglige l’importance des négociations entre puissances pour produire les limites inter-impériales – deux décennies dans le cas de la frontière très sinueuse entre le Niger et le Nigeria (1890-1904). Il sous-estime la prise en compte, par les traceurs puis les administrateurs, des réalités politiques locales et régionales antécédentes sur lesquelles ils cherchaient à s’appuyer, ne serait-ce que pour réduire les coûts. Il ignore l’existence de limite politiques précoloniales qui, pour être plus des marches de séparation que des frontières linéaires modernes, n’en n’étaient pas moins des marqueurs de royaumes et d’empires, des proto-frontières si l’on veut.  […] »

FOUCHER (Michel), Frontières d’Afrique. Pour en finir avec un mythe, 2014, Paris, aux éditions CNRS, 61 pages, ISBN 978-2-271-08062-2, des pages 9 à 18.

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