« Laisse-toi de temps en temps chavirer. »
« […] Égaré dans un tourbillon d’images désordonnées, des pensées floues me reviennent, elles défilent au galop. Ce sont, je suppose, des éclats de ma vie. J’y aperçois l’ancêtre se lever, il se tient maladroit. Autour de lui, une nuée d’esprits de bonté. Halluciné, son regard s’est perdu quelque part au-delà des vivants, ses mots, eux, je les entends encore très bien…
Il faut toujours y croire. Rester fort. La foi soulève des montagnes. Tu ne regardes pas la vie, non, tu la prends à pleines mains, tu la couches sous toi comme une femme, une vraie, avec la cambrure comme une prière. Tu l’étreins doucement, parfois plus intensément, tu cherches les sources de vie palpitantes, torrides et moites, ici, ailleurs, partout, le monde t’appartient. Apprends à sentir le monde, donne-lui toujours le meilleur de toi-même. Mords sans retenue. La peur, tu la laisses loin derrière toi, elle passe en toi puis s’en va. Marche comme un seigneur parmi les autres, pense constamment au sens de tes actes, tout pas résonne, les tiens étonnent ! Prends garde à ton port de tête, surtout quand la vie fait mal au corps et au cœur. Crache violemment au sol, s’il le faut, sois sourd au souffle mauvais et mesquin, celui-là t’entraîne dans la tanière du regret, de l’envie et du ressentiment.
Avec les mots, il y a aussi cette présence difficile à décrire. Les invisibles portent chaque syllabe dans leur voyage jusque dans mon âme, les chargeant d’un sens encore plus grave. C’est une sensation forte sur ma peau, proche d’une caresse tendre d’amant.
Serre les dents quand la vie est aride, quand elle taille des entailles profondes au fond de toi. La solitude, tu ne la connaîtras jamais, tu es un maillon de la chaine éternelle, le trait d’union sans lequel tout se brise. Laisse-toi de temps en temps chavirer, pour rejoindre le temps d’un rêve, l’espace d’un voyage, le monde immatériel des défunts. C’est là que l’on trouve les clés d’hier, d’aujourd’hui et même de demain, la source inépuisable du bon cœur, qui aime, console, guérit. Apprends à canaliser cette force, cette énergie, puisqu’elle peut te bouleverser jusqu’aux abords de la démence. C’est un bain de lumière noire où dansent follement des images et des paroles solennelles. […] »
N’SONDÉ (Wilfried), Le Cœur des enfants léopards. , 2010, Paris, Actes Sud, pages 12&13.
ISBN 978-2-7427-9005-0