« Les Hutus comme les Tutsis. »
« […] Les rumeurs selon lesquelles l’armée tutsie, le FPR, était responsable de l’attentat contre l’avion étaient partout au centre des conversations. Simultanément, d’autres rumeurs circulaient selon lesquelles les Tutsis auraient planifié le meurtre systématique de tous les Hutus, une fois qu’ils auraient pris le pouvoir. Dans cette atmosphère, la minorité tutsie de chez nous s’est sentie menacée et a commencé à fuir.
Certains Hutus affirmaient qu’on avait trouvé des armes chez les Tutsis qui avaient fui. Ils affirmaient aussi qu’elles devaient servir à tuer les Hutus. Étrangement – c’étaient en effet surprenant – on disait aussi que même chez les Tutsis les plus pauvres on avait trouvé des armes modernes.
Les rumeurs couraient, et les Hutus comme les Tutsis paniquaient complètement. Tout le monde avait peur de tout le monde, et nous, enfants, étions angoissés, car nous entendions tant de choses, et à présent tout cela se rapprochait de nous.
À Kigali, ils nommèrent un nouveau président, mais le chaos régnait dans le système politique. Papa et maman, comme tous les autres Hutus, avaient peur que l’armée tutsie gagne la guerre et prenne le pouvoir.
Après deux jours de calme, les Tutsis de la région quittèrent soudain, presque comme sur ordre, leurs maisons. Je me souviens que le samedi 9 avril, en allant rejoindre une camarade de jeu, j’ai rencontré une fille tutsie que je connaissais, Nyiramana. Elle errait, les mains vides, sans but, et avait l’air d’avoir peur. Ce soir-là, presque tous les Tutsis ont fui. Dans un premier temps, ils sont allés dans l’école catholique de Gikongoro. L’école était proche de l’église catholique, où vivait notre évêque, et les Tutsis espéraient sans doute y être en sécurité.
Le dimanche 10 avril, nous devions aller à l’église en dépit de tout. Je ne comprenais pas pourquoi il y avait tant de réfugiés tutsis dans l’école. Pourquoi étaient-ils là – tous, depuis les nouveau-nés jusqu’aux mourants – puisqu’ils avaient une maison ?
Peu après notre retour de l’église, les premières maisons tutsies ont commencé à flamber. Il y avait des cris violents et je croyais que c’était pour sauver des gens. Je n’ai compris que le lendemain que ce qu’on criait, c’était qu’il fallait tuer les Tutsis !
Nous autres les enfants sommes allés près de la route, comme avant, pour voir ces gens bizarres qui criaient. Parmi les maisons en feu, il y avait celle d’un de nos instituteurs. C’était affreux. Il venait de se marier et maintenant sa maison brûlait.
Un garçon, dont la mère était tutsie, revenait à pied de l’église. Il avait habité avec sa mère toute sa vie, et à présent les gens commençaient à parler, disant qu’il était tutsi et qu’il aurait dû fuir. Puis quelqu’un a dit qu’il n’était pas du tout tutsi, puisque sa mère l’avait eu avec un Hutu. Au Rwanda, le lignage ethnique passe par le père, et cela a sauvé le garçon ; mais leur maison a complètement brûlé.
Ce soir-là, le dimanche 10 avril, reste gravé dans ma mémoire. Avant de nous coucher, mon père nous a dit que nous ne devions sous aucun prétexte quitter la maison les jours suivants, sauf si la situation changeait. Il nous a menacés de nous frapper si nous n’obéissions pas.
Ces jours-là furent marqués par des massacres et des cruautés. Beaucoup d’hommes hutus s’organisaient en patrouilles pour aller commettre des violences dans les environs.
Ces hommes venaient des familles d’ouvriers agricoles les plus pauvres et beaucoup d’entre eux étaient analphabètes. […] Beaucoup de ces bourreaux n’avaient jamais eu de travail salarié régulier ; mais à présent ils se sentaient occupés – occupés à massacrer leurs voisins. […] ils étaient nombreux, et étaient dirigés par des hommes qui eux, en revanche, étaient éduqués, entre autres en tant que gendarmes. Cela nous le savions. Un combat qui jusque-là avait été politique et social était brusquement devenu ethnique, raciste et extrêmement violent. […] »
UMUGWANEZA (Angélique) & FUGLSANG (Peder), Les enfants du Rwanda, 2008, Copenhague, traduit par Inès JORGENSEN, avec l’aide du Danish Arts Council, Copenhague, pour les éditions Gaïa, Gaïa Éditions, Montfort-en-Chalosse, France, 2014, 343 pages, pages 28 à 30, ISBN 978-2-84720-371-4.
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