« Le marché bleu », un marché de nuit au cœur de Niamey
TCHIN HABOU, LE MARCHÉ DE YANTALA
LE MARCHÉ TCHIN ABOU OUVRE À LA NUIT TOMBÉE. INSTALLÉ LE LONG DE LA PRINCIPALE ARTÈRE DE NIAMEY, LA CAPITALE DU NIGER, IL ASSURE AUX HABITANTS UN APPROVISIONNEMENT SUR LA ROUTE DU RETOUR À LA MAISON. PROGRESSIVEMENT, IL A DÉVELOPPÉ TOUTE UNE ÉCONOMIE DU TEXTILE DESTINÉE À LA JEUNESSE QUI TENTE D’ÉCHAPPER AUX CONTRAINTES D’UNE SOCIÉTÉ PATRIARCALE ENCORE TRÈS CONSERVATRICE. MÈRE À LA RECHERCHE D’UNE TENUE DE SPORT POUR LES ENFANTS SCOLARISÉS ET JEUNES COUPLES D’ÉTUDIANTS S’Y CÔTOIENT À LA FAVEUR DE LA NUIT.
Le marché de nuit de Yantala, quartier populaire de la capitale, Niamey, communément appelé par les Niaméyens TCHINI HABOU, est un marché peu commun car il ne commence à s’animer qu’à la tombée du jour aux environs de 18h30. Ce petit marché, qui se situe aux abords de la route de Tillabéry, la principale artère routière de Niamey, en face d’un ancien bar, L’ÉPERVIER aujourd’hui fermé, s’étend du camp de gendarmerie au rond point Gadafawa, grand carrefour routier de la capitale.
À l’origine, il y a plus d’une trentaine d’années, à cause de ses néons bleus qui s’illuminent dès le coucher du soleil, ce marché était le « marché bleu ». il s’anime tout doucement avec ses échoppes qui se montent une à une, quand les vendeurs élèvent les perches de bois qui vont servir d’échoppes. Le treillis formé par les perches de bois entrecroisées sert à suspendre les cintres : le « marché bleu » est essentiellement un marché du textile, des accessoires pour les vêtements et un centre de vente de produits de sports, essentiellement des chaussures et des maillots.
Chaque vendeur choisit sa place et monte son échoppe, il n’y a pas d’horaire précis, les échoppes sont démontées le matin, remontées en fin d’après-midi, et couvertes d’un drap qui protège vendeurs, acheteurs et articles de la poussière, omniprésente la plupart de l’année dans une ville située pratiquement aux portes du désert.
Le « marché bleu » est aujourd’hui multicolore : les néons bleus qui faisaient son signe distinctif dans les années quatre-vingt dix sont aujourd’hui concurrencés par les arrivages de Chine : les lumières jaunes, blanches, vertes lui donnent encore cette couronne kaléidoscopique de la vie nocturne de Niamey mais plus rien de le distingue de tous les petits centres improvisés du commerce de nuit, où un vendeur à a sauvette, un vendeur de brochettes et un vendeur de cigarettes se rassemblent aux bouts des rues pour fournir aux étourdis l’occasion d’acheter les derniers condiments avant de gagner la cour commune.
Le marché est très vivants dès 19h après la prière, les vendeurs s’activent entre installation d’échoppes et disposition d’articles; on y trouve de tout, cela va des sacs aux cosmétiques; sacs pour enfants et pour femmes, draps, couvertures, tapis, seaux, habillement, (chaussures, chemises, chaussettes, robes, dessous, pantalons, shorts, montres, lunettes, ceintures, articles pour enfants, vêtements de bébé. Et bien sûr, tout pour l’électricité, ampoule, néons, prises électriques, multiprises, adaptateurs pour tous les types de prises électriques du monde…
Le « marché de nuit » a toujours été très éclectique : minijupe et hijab font bon ménage ! Les articles pour la pratique de la religion musulmane, (Tapis de prière, chapelets, voile, hijab, bouta pour pratiquer les ablutions) se sont invités sur les étalages au gré de la demande de la clientèle.
De la nourriture également mais très peu ; en générale quelques femmes s’installent au marché pour vendre leurs plats aux hommes célibataires ou travailleurs de nuit en route pour le labeur. Les vendeurs de fruits et légumes ne sont pas les bienvenus. Ils s’installent plus loin, après le rond point Gadafawa. Ceux qui se sont installés dans la journée aux emplacements du « marché bleu » décampent dès que les premières perches se dressent.
LES VENDEURS ET LES POUVOIRS PUBLICS
J’ai voulu savoir pourquoi ce marché s’est installé précisément à cet endroit et se reconstruit à chaque intervention des pouvoirs publics. TCHIN HABOU, qui veut dire « marché de nuit » en Djerma a été plusieurs fois interdit par les pouvoirs publics. Son emplacement peut être dangereux, car les échoppes sont à la limite de la route la plus passante de Niamey, les attroupements d’acheteurs et de colporteurs gênent la circulation, les accidents causés par les taxis qui pilent brusquement pour charger la clientèle ou la déposer au marché sont fréquents. Il faut beaucoup d’agilité aux motocyclistes pour éviter, toujours de justesse, les acheteuses qui changent de boutique, les vendeurs qui hèlent les clients… Mais les vendeurs, malgré l’insistance de l’État, sont toujours revenus, et au même endroit.
Aujourd’hui un accord à été trouvé entre la Mairie et les vendeurs avec des règles impératives, comme par exemple le démontage des échoppes à la fin de chaque nuit de vente afin que le matin la place soit nette et propre. La ville de Niamey change : les marchés ne sont plus les bienvenus au cœur de la ville, et avec l’extension constante de la ville sous les effets conjugués de la croissance démographique et de l’exode rural, le centre ville se déplace sans cesse. Le « petit marché », principal marché de produits frais de la capitale a fait les frais de la politique de rénovation urbaine entamée depuis une dizaine d’années et a été condamné à fermer, son existence datait de la colonisation. Les boutiques sauvages établies depuis des décennies le long des routes ont été balayées par les bulldozers de la Mairie pour la préparation en 2019 du sommet de l’Union Africaine.
Le centre de Niamey de vide de ses habitants la nuit, la spécialisation des quartiers s’accroît : le centre des dévolu aux activités de service en col blanc, les vendeurs de bric et de broc sont voués, eux aussi, à une expulsion à brève échéance. Leur survie est due à ce service si particulier qu’ils rendent : une dernière halte avant la maison pour les étourdis ! Et, bien sûr, au fait qu’ils payent une taxe… de 100 fCFA par nuit (Moins de 20 centimes d’Euro).
LE MARCHÉ DE LA DERNIÈRE CHANCE
Idrissa est arrivé de son village il y a trente ans à cette époque le marché existait déjà : depuis trente ans il vend des articles textiles, gagne en moyenne 40 000 FCFA / nuit, un bon chiffre dans un pays où le salaire minimum mensuel est approximativement du même montant. Bien sûr Idrissa doit défalquer de cette somme le coût initial de l’achat de sa marchandise, mais les prix auxquels les commerçants achètent en gros leurs vêtements sont soigneusement tenus secrets !
Idrissa s’y est installé et continue donc à vendre et « se débrouiller » comme disent pudiquement les commerçants pour qui les affaires vont plutôt bien. La légende qu’aiment colporter les commerçants de Tchin Abou raconte que le marché à commencer à se mettre en place lorsque quelques vendeurs s’arrêtaient à cet endroit pour discuter et manger au coucher du soleil et, de fil en aiguille, ont décidé de s’installer là pour y vendre leurs articles. Cet endroit était pour eux avant tout un lieu de convivialité, où les vendeurs parlaient de leurs journées. Les femmes voyant ses vendeurs se réunir ont décidé à leur tour de leur vendre de la nourriture et tout s’est mis en place de cette manière, attirant des vendeurs d’un peu tous les coins de la ville de Niamey. Il est important de souligner que ce marché est un « marché de la débrouille », pour les commerçants qui choisissent là un mode vie nocturne très particulier, et qui les singularise par rapport au reste de la communauté marchande de la capitale.
Le mot que l’on peut retenir est le mot convivialité concernant ce marché de nuit il a été à la base de la création de ce marché. Mais la convivialité n’explique pas tout : le marché a rapidement tiré profit d’un voisinage rémunérateur… D’abord la proximité de grandes infrastructures militaires, comme le camp de la Garde Nationale, vénérable institution aux soldats biens payés, l’état-major de la Gendarmerie Nationale, constituent une clientèle recherchée : les jeunes soldats sont toujours en quête d’effets (Piles électriques, chaussures de sport, lunettes de soleil) et savent trouver, quelque soit l’heure où se termine leur garde, des échoppes ouvertes. Ensuite la proximité avec l’un des plus anciens bars de Niamey, l’Épervier, un des rares établissements du quartier de Yantala vendant de l’alcool depuis les années quatre-vingt. Alcool, militaires, le quartier de Yantala a été aussi réputé pour être le quartier général de bandes de voyous et de la prostitution… La clientèle originelle du marché bleu, le marché des fêtards et des oiseaux de nuits de tous acabits.
La création à la fin des années quatre-vingt de quartiers d’habitation situés le long de la Route de Tillabéry, et en particulier le quartier aisé de Kouara Kano, réservé dans un premier temps à une élite militaire, a dopé l’activité économique du marché, qui, de marché interlope pour faune de la nuit, est devenu une halte pour les femmes de bonnes familles et les maris en quête d’un cadeau de dernière minute.
Ce marché de nuit est également un marché de la dernière chance, parce qu’il existe pour permettre à ceux qui n’ont pas eu le temps de faire leurs courses en journée d’acheter la nuit… Et surtout pour ceux qui, en période de fête, ont eu une entrée d’argent tardive (Le salaires sont souvent versés le jour avant la fête religieuse, et les achats ne sont alors possible qu’après l’heure de fermeture des entreprises : idéal pour notre « marché de nuit »). Ce marché est la dernière chance d’acheter les vêtements de fêtes, les accessoires de coiffures pour les filles comme les perles où les colliers fantaisies.
Les vendeurs viennent de plusieurs marchés de Niamey, ils quittent du grand marché, du marché de jour de Yantala, de plusieurs coins différents de la ville. Ils sont issus de différentes ethnies du Niger, des BELLAS, DJERMAS, HAOUSSAS, KANOURIS, PEULHS, pratiquement tout le Niger y est représenté. La majorité des vendeurs sont des hommes mais il y a également des femmes en petit nombre qui vendent surtout des plats préparés, une tradition de ce quartier de Niamey, historiquement construit par des travailleurs immigrés de l’intérieur, souvent des hommes seuls.
LE MARCHÉ DE NUIT, UNE ÉCONOMIE INFORMELLE
Cette économie parallèle qui échappe au contrôle de l’Etat, en Afrique représente malgré tout un véritable moteur social qui crée un grand nombre d’emplois. Le marché de nuit est le poumon du quartier Yantala, et le soir, il attire bons nombre de clients qui travaillent aux alentours, dans les stations d’essence, les pharmacies de garde quelques boutiques d’alimentations qui sont ouvertes jusque tard dans la nuit.
Le marché de nuit de Yantala a créé autour de lui tout un écosystème économique et social : dans une relation de réciprocité, des commerces complémentaires se sont ouverts à sa périphérie, comme des pharmacies populaires, des boutiques de vêtements pour hommes et pour femmes proposant des articles à l’occidentale, des mini-épiceries, des salons de coiffure, et même des boutiques d’électroniques et de réparation de téléphones cellulaires ! En retour, les acheteurs viennent faire un tour à Tchin Abou car on y fait toujours de bonnes affaires !
L’importance des marchés, il ne faut pas l’oublier, est d’abord, au Niger, de favoriser la création de liens sociaux, de partages : le MARCHE BLEU n’était pas censé perdurer puisque au départ ces vendeurs vendaient à la sauvette ils installaient leurs petites bricoles et débarrassaient les lieux dès que les pouvoirs publics pointaient leur nez. C’est son succès en tant que producteur de lien social dépassant le simple cadre de la vente qui a assuré sa longévité, et lui aussi permis de générer, à ses périphéries, d’autres activités lucratives.
Mais aujourd’hui, si ce marché a plus de 30 ans, il est toujours particulier parce que le matin il n’y a aucune trace du passage des vendeurs, c’est un marché à l’image des jeux de constructions qui se montent et se démontent. Les échoppes sont démontables et c’est ce côté qui fascine, cette débrouillardise dont font preuve ces vendeurs pour ne laisser aucune trace évidente de leur passage et de leur installation durant la nuit.
Seul l’œil exercé de celui qui connaît peut détecter dans les faisceaux de perches attachés ici ou là, des trous dans la latérite, des rectangles de terre laissés libres toute la journée, la place fantôme laissé pour la prochaine nuit du marché.
Avec des bouts de bois ils montent leurs commerce, ils montent en quelque sorte leur avenir, Idrissa et ses amis que j’ai rencontrés m’ont affirmé qu’il n’est pas facile pour eux de vendre leurs marchandises parce que en ce moment les affaires ne sont pas bonnes, mais ils ont connu des périodes meilleures et m’assurent même que grâce à la vente au TCHINI HABOU certains vendeurs chanceux ont pu tirer leurs épingles du jeu et s’enrichir aujourd’hui ils sont ce qu’on appelle de grands commerçants, je suis très heureuse de l’apprendre. Mais tous les commerçants ne racontent-ils pas la même histoire des « affaires qui marchent mal » mêlées curieusement avec les légendes de succes stories stupéfiantes ?
Les Africains possèdent cette capacité de créer rapidement des choses malgré les conditions difficiles. Avec des bouts de bois noués on crée un marché, c’est une idée très écologique respectueuse de l’environnement. Les vendeurs sont présents temporairement mais cela leur convient, ce n’est certes pas facile tous les jours mais certains y trouvent leur compte.
L’informalité est un filet social en Afrique, le seul problème réside dans la précarité des emplois, car il n’y a pas de réelle organisation, les conditions de travail ne sont pas forcément bonnes et il y a des risques d’incendie dus aux installations électriques qui ne répondent pas aux normes de sécurité, dans le cas du MARCHÉ BLEU les néons sont installés directement sur les bouts de bois, des multiprises en cascades alimentent les sources d’éclairage, cela représente un réel risque d’incendie (Le précédent des marchés de Yantala situé plus loin ou du vénérable Petit marché du centre ville qui ont tous les deux intégralement brûlés sont significatifs…).
L’aspect positif est la création d’un lieu d’échange le soir, il existait à l’époque un bar juste en face L’ÉPERVIER, qui aujourd’hui a fermé ses portes. A défaut de grandes industries il existe au Niger ces lieux d’échanges où s’écoulent les marchandises, ces petits commerces fleurissent un peu partout dans la ville et permettent aux jeunes sans emplois de s’inventer un avenir, sans investissement financier énormes .Il suffit d’un peu de débrouillardise et beaucoup de courage pour monter sa petite affaire, pour moi c’est un exemple qu’il est important de souligner, vendre tard le soir ‘est pas donné à tout le monde il faut un sacré dose de motivation.
Le quartier de Yantala vit grâce au TCHINI HABOU jusque très tard le soir certains vendeurs sont là au delà de minuit. Aucun horaire n’a été défini quant au début et la fin du marché, chacun est libre, mais grâce au marché, YANTALA est très animé la nuit.
Ce marché tout en longueur a une particularité c’est qu’il est informel, certes les vendeurs s’acquittent d’une taxe journalière de 100 f CFA auprès des agents de la mairie, mais les conditions de sécurité ne sont pas réunies, et comme il s’agit d’un marché de nuit il peut exister des trafics de tout genre, et ce côté obscure fait partie de la vie du marché. Concernant les installations électriques elles doivent être revues, une solution doit être trouvée pour permettre aux vendeurs d’éclairer leurs échoppes sans mettre leur vie en danger. A l’époque ils s’éclairaient à la bougie, aujourd’hui ce sont des néons. Des panneaux solaires photovoltaïques pourraient faire l’affaire parce qu’écologique et sûrs. Les vendeurs pourront les démonter en même temps que les échoppes.
© Aminata BEÏDARI BERTHO (2019, 2020)