CONFÉRENCES
« La nuit des idées », Niamey et les « Utopies actives », NIGER Janvier 2017
Institut Français, Université Abdou Moumouni, CCFN, Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France au Niger
Niamey, le jeudi 26 janvier 2017 à 16h30 Faculté des Sciences Économiques et Juridiques
Afrotopia, une utopie africaine, par Felwine SARR, Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal, modérateur SAÏDOU Djibril,
avec
Mahaman TIDJANI ALOU, Doyen de la FSEJ (UAM) et BOUREÏMA Adamou, Professeur titulaire de Géographie, Vice-Recteur chargé des affaires académiques de l’Université Abdou Moumouni de Niamey (UAM)
Et avec
ASSALEK Ibrahim, directeur de l’ONG Hed Tanat (Agadez) et ALMOKTAR Allahoury, directeur du CIPMEN (Incubateur de start-up au Niger)
PRÉSENTATION
Dans le cadre définit naguère par Bachir DIAGNE et Achille MBEMBÉ, bâtir un monde commun, Felwine SARR rappelle l’urgence philosophique : la mutualité, afin de rendre l’espace-monde habitable pour tous. Pour cela, en Afrique, le premier moment consiste à s’affranchir des discours projetés sur l’Afrique, objet mais rarement sujet des discours portés sur elle.
Mystérieuse dans l’Antiquité, merveilleuse durant le Moyen-Âge et une partie de la Renaissance, malheureuse aujourd’hui et pour large part tout au long du XXe siècle, le discours sur l’Afrique qu’il émane des Africains ou du Reste Du Monde hésite entre l’Afropessimisme et l’Afroeuphorie. Et on demande à chacun de se positionner sur ce discours qui reste marqué par une forme de consumérisme intellectuel (« Pour » ou « contre »).
Sortir de cette injonction nécessite peut-être de se défaire des mythes de téléologie sociétale : le développement (le plus formidable des « écomythes »), la démocratie, la modernité et le progrès. Des mythes sociétaux qui ont si intimement rejoints notre arrière-plan intellectuel qu’ils se sont progressivement affranchis de l’obligation d’interrogation, pourtant préalable impératif de tout raisonnement.
Entreprendre une archéologie conceptuelle de ces écomythes permet de rappeler un certain nombre d’évidences qui en amenuisent la force et même la pertinence. Ce sont des produits sémantiques étrangers à l’Afrique (Et pour le développement étrangers à l’Europe), ce ne sont pas des concepts neutres (Aucun d’ailleurs ne l’est), ce sont des produits idéologiques, d’un lieu, d’un temps…
Un projet de société doit être l’émanation de la société et recevoir l’adhésion de la société concernée : une construction conceptuelle, quelle qu’elle soit et aussi généreuse qu’elle soit, ne peut être reprise sans un travail d’interrogation et d’adaptation. Par ailleurs, le développement dans son acception commune d’aspiration au progrès et au bonheur n’est pas un monopole idéologique ou conceptuel de l’Occident : il y a une aspiration universelle des sociétés depuis la nuit des temps à un mieux vivre, de même qu’il y a une commune aptitude à répondre de manière endogène aux problématiques sociétales. Mais ces réponses ont longtemps été diverses.
Le concept de « développement » par exemple à eu, parce qu’il a été repris dans le monde sans aucun travail d’interrogation populaire, un impact très négatif sur l’inconscient des sociétés les moins riches. Progressivement mis en œuvre par les administrations TRUMAN (1945-1952) et EISENHOWER (152-1960), il est conçu comme un moyen d’agglomérer le monde autour des États-Unis dans un contexte de « Guerre froide » (1947-1991).
D’intransitif (On « se développe »), le développement devient transitif (On « développe »). Du coup, rétroactivement, certaines nations sont dites « développées », et donc à la fois dans le sens de l’histoire et dans sa phase la plus achevée, d’autres au contraire deviennent « en retard de développement », ou « en développement », et doivent se lancer dans cette aventure sociétale qui s’achèvera quand elles auront atteint le modèle de la société de référence.
Le développement réactive les métaphores biologiques et confortent les visions linéaires et les conceptions évolutives de l’Histoire : d’où un grand rendez-vous manqué de l’Afrique des indépendances avec elle-même. C’est le début d’une démarche mimétique qui conduit les sociétés africaines à se comparer sans cesse avec les sociétés plus industrialisées et plus riches en ce concevant toujours sur le mode du moins et de l’infériorité.
Or l’Afrique est le plus vieux régime d’historicité de l’humanité. Les métaphores de son futur doivent être imaginées en partenariat avec les sociétés concernées. L’autonomie intellectuelle, véritable pétition de « montée en humanité », et qui ne peut s’entendre comme une autarcie intellectuelle, doit permettre une recherche des emprunts les plus féconds et conscients dans toutes les sociétés environnantes. Sans fétichisme de la tradition ou de l’identité originelle, autre mythe sociétal.
La question de l’action et de ses modalités est donc posée. Quelles solutions ? Comment allouer les ressources de manière optimale ? Comment accroître le bien être de la société ?
L’industrialisation, sans doute, mais via les énergies renouvelables d’une part. Construire une croissance fondée sur les besoins des groupes humains, une perspective hétérodoxe en économie mais qui permettra aussi de repenser les formes du politique.
Si développement il y a, ne doit-il pas aussi consister à répondre aux besoins imaginés ? Voire imaginaires ? Comme le souligne ASSALEK Ibrahim, directeur de l’ONG Hed Tamat (Agadez) les populations rurales ou urbaines populaires demandent souvent, par mimétisme, des infrastructures ou des services présents chez les voisins : d’où un important travail de discussion et de rencontres avant de définir les priorités en termes d’équipement.
L’Afrique est le terrain de prédilection de l’innovation frugale, comme le rappelle ALMOKTAR Allaoury, directeur de CIPMEN (Incubateur de start-up au Niger).
Pour Felwine SARR, une des clés est psychologique : il faut aller chercher dans les tréfonds de la psyché les leviers de la foi non pas dans le futur mais dans le présent de l’Afrique. Le discours est une des clés : la manière dont on se dit conditionne déjà l’action à venir. Il faut refuser d’abord la dialectique entre l’apologie et le dénigrement.
Le discours auto-apologétique est le plus souvent de pure composition et ne résiste pas aux épreuves de l’adversité et à la rugosité de la mise en œuvre concrète des solutions. La frénésie d’action qu’on ressent parfois dans la rue africaine et dans le volontarisme politique affiché est souvent le maigre paravent d’un déficit initial de pensée.
L’urgence est donc de ré-enchâsser l’économie, qui n’est finalement qu’une des perspectives offerte sur le champ social, dans le corpus des sciences sociales, avec toutes les autres sciences sociales, pour écouter la modernité africaine et offrir à la psychologie collective une pensée sereine sur le présent et une voie claire vers le futur.
Bien sûr, africaniser les concepts venus d’Europe, et hégémoniques aujourd’hui, pose le problème de l’identification des valeurs africaines sur lesquelles fonder un renouveau conceptuel : or les valeurs sont ambigües, comme la solidarité villageoise qui est aussi déresponsabilisation et assistanat parfois comme le souligne le public.
Dans ce processus de réinvention de soi, il est donc nécessaire de comprendre par exemple qu’en Afrique encore, mais vraisemblablement partout aussi, l’individu n’existe que parce que sa communauté, aussi enveloppante soit-elle, existe. Et elle ne peut exister que si elle laisse la place à l’individuation.
Résumé © Erwan BERTHO (janvier-février 2017, dernière révision 2018)
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