PRÉPA BAC – HORIZON ÉTUDES SUPÉRIEURES
Sujets corrigés – Session 2015
DEUXIÈME PARTIE – GÉOGRAPHIE
Étude critique de documents
Sujet – Tensions et intégrations régionales en Amérique du Nord.
Consignes : quels aspects des dynamiques d’intégration et des tensions au sein de l’Amérique du Nord ces deux documents évoquent-ils ? Quelle présentation de la réalité le document 1 exprime-t-il ?
Depuis la signature (1992) du traité instituant l’Accord de Libre Échange Nord Américain (ALÉNA), en 1994, l’intégration économique s’est accentuée de manière spectaculaire entre ses trois membres, le Canada, les États-Unis et le Mexique. L’intégration s’est semble-t-il arrêtée aux questions économiques. Comme les déclarations incendiaires du candidat républicain à la présidentielle américaine, Donald TRUMP, sur les migrants mexicains l’ont montré, il subsiste un relent important de racisme anti-mexicain aux États-Unis.
Les deux documents du corpus nous présentent les mécanismes de tensions et d’intégration de manière diamétralement opposée : le document 1 intitulé « Photomontage publié en 2012 « 20 ans de succès indéniables pour l’ALÉNA » est produit par Free Enterprise, une association d’hommes d’affaires soutenue par la Chambre de Commerce des États-Unis. Ce document exprime donc le point de vue officiel étatsunien. Le document 2 au contraire « La frontière États-Unis – Mexique », est une carte établie par la Documentation photographique (mars-avril 2012, n°8086), une publication officielle du cabinet du Premier Ministre français, réalisée par des universitaires, sur des questions d’Histoire et de Géographie à destination du monde scolaire ou estudiantin. Le document cartographie des données collectées auprès des patrouilles frontalières américaines, données compilées (2007) par National Geographic, un magazine scientifique grand public mais très sérieux. Le document 2 est donc un document fiable, et relativement apolitique ; il présente cependant le nombre de migrants mexicains tués pendant le franchissement clandestin de la frontière américano-mexicaine, une carte qui laisse penser que les tensions entre les deux États ne se sont pas autant apaisées qu’on aurait pu le croire après 20 ans d’intégration économique.
Dans quelles mesures peut-on affirmer que ces deux documents montrent que l’intégration économique très poussée n’a pas apaisée les tensions géopolitiques, économiques et sécuritaires entre les pays membres de l’ALENA ?
L’ALÉNA est le principal mécanisme d’intégration économique en Amérique du Nord (I.) : il assure une interdépendance des économies qui la constituent (1) mais n’a fonctionné qu’au profit des entreprises internationales et de secteurs très spécifiques des économies nationales sans retombée générale flagrante (2). Cela explique que les tensions soient vives (II.), particulièrement à la frontière américano-mexicaine (1), ce qui peut se lire de manière contradictoire soit comme le produit d’une intégration insuffisante soit comme le produit d’une intégration inégale et délétère (2) à l’échelle continentale.
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L’ALÉNA est le principal mécanisme d’intégration économique en Amérique du Nord. Depuis 1992-1994 L’ALENA a rendu les trois économies interdépendantes (1) mais les retombées ont été modestes pour les citoyens car les entreprises qui en ont bénéficié sont placées sur des marchés très ciblés (2).
Le traité instituant l’Accord de Libre Échange Nord Américain (ALÉNA) est signé en 1992, le traité entre en vigueur en 1994. Il prévoit la libre circulation immédiate des capitaux et, graduelle, des marchandises. Les étapes de la libéralisation progressive des échanges sont négociées de manière pragmatique entre dirigeants des trois États signataires : le Canada, les États-Unis et le Mexique. Les effets sur les économies, et sur l’économie mexicaine d’abord, ont été immédiats. Le long de la frontière américano-mexicaine, la « Mexamérique », s’est constituée une bande de délocalisations industrielles, d’abord à capitaux américains investis au Mexique puis des capitaux d’Europe et d’Asie de l’Est, des Nouveaux Pays Industrialisés d’Asie de 1ère génération (NPIA-1) comme la Corée du Sud et Taïwan, et bien sûr le Japon. La « Mexamérique » est devenue le cœur d’assemblage de la production industrielle électronique mondiale : 50% des téléviseurs vendus dans le monde sont assemblés à Tijuana, au Mexique, le long de la frontière, en face de San Diego (Californie). Les usines mexicaines, les « maquiladoras » accueillent une main d’œuvre mal payée (Moins de 3$/heure), d’abord mexicaine puis au début du XXIe siècle venant de l’Amérique centrale et andine. Les villes de part et d’autre de la frontière forment les « Twin Cities », sorte de villes jumelles dont le développement est assuré par les accords de libre échange de l’ALÉNA. Le document 2 en montre nettement les principales : Tijuana en face de San Diego, Ciudad Juarez en face d’El Paso, Matamoros en face de Brownsville, Nuevo Laredo en face de Laredo. Le même phénomène se produit sur le frontière Canada-États-Unis : une région transfrontalière se forme dans le « Puget Sound » avec Seattle aux États-Unis et Vancouver au Canada, et des Grands Lacs au Saint-Laurent (« Main Street America » en référence à la route 66). Une partie importante de la sous-traitance automobile américaine se déroule au Canada, de même que le tournage des séries télévisées, là où les syndicats de l’entertainment sont moins puissants qu’en Californie ou dans l’État de New York. L’ALÉNA a donc mis les délocalisations à portée de territoire des États-Unis sans entrainer de rupture de charge ou d’éloignement excessif. L’Accord à permis en retour des créations d’emplois, pas toujours très qualifiés, et des flux d’Investissements Directs Étrangers (IDE) importants vers les deux voisins des États-Unis.
À en croire le « Photomontage publié en 2012 « 20 ans de succès indéniables pour l’ALÉNA » publié par Free Enterprise l’ALÉNA, du moins pour les États-Unis, n’a eu que des effets positifs : le conteneurs aux couleurs des États-Unis est placé au dessus des deux autres, le conteneur américain est frappé de la mention « Export », ce qui sous-entend que le libre échange a dopé les exportations et donc l’activité industrielle des États-Unis tandis que le Canada et le Mexique, avec la mention « Import » seraient devenus des importateurs nets. Les chiffres des balances commerciales ne sont pas en totale contradiction avec cette affirmation des patrons : le Canada importe pour 100 milliards de dollars en provenance des États-Unis (50% de ses importations), exporte pour 290 milliards US$ (75% de ses exportations vont vers les États-Unis), le Mexique importe pour 160 milliards de dollars des États-Unis (50% de ses importations) et exporte pour 240 milliards US$ (80% des exportations). La balance commerciale est clairement déficitaire pour le Mexique, excédentaire pour le Canada. L’asymétrie dans les relations se lit à un autre niveau : pour le Canada et le Mexique, les États-Unis sont le partenaire commercial privilégié (50% de leurs importations, 75% à 80% de leurs exportations) tandis qu’eux-mêmes ne représentent qu’une part assez secondaire (mais significative) des relations commerciales des États-Unis. Le Canada ne représente que 15% des importations américaines, le Mexique 12%. Le Canada représente 20% des exportations américaine, le Mexique moins de 12%. L’intérêt pour les États-Unis dans la signature de l’accord était plus de nature géopolitique, comme le reconnaît Joseph STIGLITZ, conseiller économique du président CLINTON (1992-2000) : permettre de consolider le leadership américain par le biais de l’expansion du libre échange au niveau continental. Des emplois ont été détruit aux États-Unis, notamment des emplois faiblement qualifiés et rémunérés, ceux des États ruraux du Deep South qui formaient cette « Sweat belt », la « ceinture de la sueur », mais aussi les emplois industriels et tertiaires des industries anciennes (Sidérurgie, automobile…) du quart Nord-Est, la « Rust Belt », la « ceinture de la rouille ». Les retombées économiques sont donc moins évidentes que le photomontage ne le laisse croire aux patrons américains.
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Les tensions restent donc vives entre les trois géants économiques que sont le Canada, les États-Unis et le Mexique : la frontière américano-mexicaine est devenue à la fois une des frontières les plus surveillées et une des plus meurtrières entre deux pays en paix (1). Mais l’ALÉNA n’est que le reflet exacerbé de tout un continent qui hésite entre intégration, replis identitaire et protectionnisme (2).
En dépit des excellentes relations commerciales qui se nouent entre les trois pays signataires de l’ALÉNA, la circulation des personnes reste astreinte aux règles de visas classiques : ainsi, les travailleurs qui souhaitent s’installer aux États-Unis pour y travailler doivent obtenir un permis de travail (« Green Card »), ceux qui viennent y voir leur famille doivent se munir d’un visa, les deux étant extrêmement difficiles à obtenir pour les travailleurs peu ou pas qualifiés. Pourtant, l’ensemble des industries installées dans le Sud-Ouest américain, de Los Angeles à Houston, sont demandeuses d’une main d’œuvre bon marché : c’est le cas des industries textiles (Coton du Texas) et des Industries Agroalimentaires (IAA) qui ne peuvent pas délocaliser leur production. En conséquence, une importante main d’œuvre hispanique vit et travaille aux États-Unis, s’installant dans les territoires mexicains annexés au XIXe siècle par les États-Unis : Californie, Nouveau Mexique, Texas, ou l’Arizona qui compte 30% d’Hispaniques… Près de 10 millions d’Hispaniques seraient en situation clandestine. Deux millions ont vu leur situation régularisée par le président OBAMA dans la période 2008-2012. La vitiviniculture californienne ne survivrait pas sans la main d’œuvre peu payée qui vient des tréfonds du continent dans son ensemble. La population des États-Unis y voit une concurrence déloyale sur l’emploi, et accuse fréquemment la communauté hispanique (Les « Chicanos ») de tous les maux et essentiellement de la criminalité. Il est vrai que la main d’œuvre immigrée clandestine hispanique qui s’installe aux États-Unis provient de régions de forte criminalité urbaine et au passé politique sanglant (Nicaragua, Salvador, Guatemala) voire de narco-États (Panamá, Équateur, Pérou, Bolivie). Pourtant les études montrent que la criminalité ne vient pas particulièrement des migrants. Cependant la riposte américaine devant le passage des clandestins est impitoyable (1994 en Californie, 2010 en Arizona) : fortification de la frontière, et d’abord le long des Twin Cities (Le document 2 le montre de San Diego à Yuma, et de Nogales à El Paso par exemple). Les patrouilles officielles ou de vigilentes constatent les décès de migrants noyés (les « Weet Back », les « dos mouillés » qui franchissent la frontière le long du Rio Grande), quand ils ne les provoquent pas en abattant les clandestins qui s’enfuient lors des arrestations. 4000 morts en 10 ans dont près de 50% aux environs de Tucson : la frontière la plus meurtrière dans une zone de paix. Donald TRUMP s’est fait une spécialité électorale de l’invective contre les Chicanos. Les tensions sont vives aussi au Mexique où les paysans ont mal vécu la libéralisation des échanges agroalimentaires (2008) : la mise en concurrence des deux agricultures ruine l’agriculture la moins productive, celle du Mexique (2,5 tonnes par hectare conte 8,5 au Nord), qui subventionne à hauteur de 700 US$/paysan quand les États-Unis le font à hauteur de … 21 000 US$. En conséquence les experts estiment à 30 par heure le nombre de paysans mexicains qui franchissent la frontière illégalement.
Comment transformer l’intégration économique en intégration politique ? Y-a-t-il trop ou pas assez d’intégration libérale entre les trois États, voire à l’échelle du continent ? Le cas mexicain est particulièrement intéressant. Après 22 ans d’intégration économique effective, la situation sécuritaire s’est dégradée dramatiquement : les femmes sont les premières victimes de cette insécurité chronique. C’est près de 3 000 disparues en 20 ans à Ciudad Juarez par exemple. Le pouvoir des « Narcos » s’est renforcé (Cannabis, pavot et drogues de synthèse chimiques), entraînant des guerres de gangs qui nécessitent l’intervention de l’armée fédérale dans des situations juridiques de loi martiale dans de nombreux États fédérés du Mexique. Les milices paysannes se forment pour dénier à une police qu’elles jugent corrompue le droit de faire régner la paix civile. Des groupuscules militarisés à la solde de politiciens régionaux ou locaux organisent des assassinats ciblés contre des syndicalistes, des journalistes ou des leaders d’opinion gênants. Le cas des quarante-trois étudiants enseignants d’Iguala (État de Guerrero) disparus est symptomatique : l’enquête de l’Organisation des États Américains (OEA) a montré le rôle trouble d’un État mexicain désinvolte et distant. Plus que jamais le dicton « Trop loin de Dieu, trop près des États-Unis » se vérifie : car la violence générée par le trafic de drogue en provenance des Andes ne se justifie que parce que le marché mondial de la cocaïne se trouve encore aux États-Unis. Or les investissements américains restent modestes dans les économies sud-américaines. Si 20% des IDE des États-Unis vont au Mexique, et dans des secteurs productifs, ils représentent le même poids que les IDE qui vont vers les paradis fiscaux des Caraïbes, dont les Bermudes et les Îles Caïmans. 300 milliards de dollars d’IDE (2010) sont capitalisés dans ces deux paradis fiscaux chaque année, contre moins de 100 pour le Mexique. L’Amérique du Sud a refusé (2005) la création d’un marché commun américain pour développer des zones alternatives de coopérations économiques. Comme le Mercado Común del Sur (MERCOSUR, 1991) ou l’Alliance Bolivarienne pour les Amérique (ALBA, 2001) crée par le Venezuela sous l’égide d’Hugo CHAVEZ. Or cette Amérique latine ne peut encore faire contrepoids face au géant étatsunien parce qu’elle est elle-même géopolitiquement divisée : le Brésil, un des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et South Africa) dispute avec l’Argentine, le Venezuela et la Colombie le rôle de leader régional. Seule une intégration politique dont les États-Unis ne veulent pas encore, et dont les puissances régionales n’arrivent pas à dessiner les contours, permettra d’offrir l’intégration nécessaire sans aviver les tensions internes ou régionales.
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L’Amérique est un continent à l’intégration fonctionnelle (Migratoire, financière, culturelle) forte mais aux mécanismes d’intégration formelle (Politique et économique) très limités. L’ALENA qui permet la libre circulation des capitaux et des marchandises mais pas des personnes offre un exemple emblématique de ces mécanismes qui ont accru l’intégration et dans le même temps exacerbé les tensions. Car l’intégration politique reste à faire sur un continent – et plus spécifiquement en Amérique du Nord – où domine l’ombre écrasante des États-Unis.
© Erwan BERTHO (Mai – Juin 2016, révision 2017)
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