Le chant des partisans
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?
Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme.
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes.
Montez de la mine, descendez des collines, camarades !
Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades.
Ohé, les tueurs à la balle et au couteau, tuez vite !
Ohé, saboteur, attention à ton fardeau : dynamite…
C’est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères.
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère.
Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves.
Ici, nous, vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève…
Ici chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait quand il passe.
Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place.
Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.
Chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute…
Présentation de l’oeuvre :
Titre : « Le Chant des Partisans »
Auteurs : Joseph KESSEL et son neveu, Maurice DRUON (deux écrivains).
Compositeur : Anna MARLY (chanteuse, compositeur russe).
Date : 1943
Nature de l’oeuvre : ce chant engagé, cette « Marseillaise de la Résistance », est devenu l’hymne de la Résistance durant la Seconde Guerre Mondiale.
Origine de l’oeuvre :
En 1941, Anna Marly, artiste russe réfugiée à Londres, s’engage comme volontaire à la cantine des Forces Françaises Libres (FFL). Elle s’enrôle au théâtre des armées et chante au micro de la BBC dans l’émission «les Français parlent aux Français». En 1942, elle crée « la marche des partisans » en russe, après avoir lu le récit d’une bataille en URSS. Joseph Kessel et Maurice Druon, venus rejoindre les Forces Françaises Libres à Londres, en font une version française: « Le chant des partisans »
Ce chant est devenu le générique de l’émission de la BBC (radio britannique) « Honneur et Patrie ».
Les Forces Françaises Libres, composées de tous les Français réfugiés en Angleterre, après l’armistice de 1940, autour du général de Gaulle, ont eu avec la BBC une « arme nouvelle et redoutable » pour l’ennemi : la diffusion des informations, de messages codés et le soutien moral des Français se faisaient par la radio. C’est pourquoi les ondes étaient brouillées par les Allemands, mais la mélodie du Chant des Partisans passait car elle était sifflée.
Histoire et contexte de l’œuvre
Parachuté par les avions de la Royal Air Force, ce chant deviendra le chant de ralliement de la Résistance en France, mais aussi en Europe.
Il sera chanté (ou sifflé) par des résistants dans les prisons ou par des condamnés à mort au moment de leur exécution.
Le manuscrit, trois feuillets d’un cahier d’écolier, où le chant est rédigé à l’encre bleue, est classé monument historique depuis 2006. Ce chant est donc un élément de notre patrimoine.
Contexte historique
En mai 1940, la rapidité de l’offensive allemande met l’armée française en déroute. Devenu chef du gouvernement, le maréchal Pétain demande l’armistice à l’Allemagne (signature le 22 juin 1940 ). Il devient le chef absolu de la France. Persuadé que l’Allemagne va dominer durablement l’Europe, Pétain engage la France dans la collaboration avec l’Allemagne en octobre 1940. Il met la police française au service de l’occupant afin d’arrêter les opposants et les Juifs. Après l’invasion de la zone sud en 1942, le régime de Vichy pousse plus loin encore la collaboration avec les nazis en acceptant le Service de Travail Obligatoire (STO : obligation pour les jeunes gens d’aller travailler en Allemagne) et en créant la Milice qui traque les Résistants et les Juifs.
Dès la demande d’armistice, le Général de Gaulles, de Londres, appelle à la poursuite du combat le 18 juin 1940. Avec les premiers volontaires qui le rejoignent, il fonde les Forces Françaises Libres (FFL) : résistance extérieure.
En France, les premiers résistants sont peu nombreux et isolés. Ils refusent la défaite, la soumission du pays à l’occupant et la politique de collaboration du régime de Vichy. Progressivement des groupes se structurent dans la clandestinité (« armée des ombres »).
Leurs actions sont diverses : tracts, sabotages, envoi d’informations à Londres. C’est la Résistance intérieure.
L’entrée des communistes dans la Résistance après l’invasion de l’URSS en 1941, la dureté de l’occupation, le refus du STO provoque l’afflux de résistants et la constitution des maquis (refuge des résistants dans les zones difficiles d’accès : forêts, montagnes).
En 1943, Jean Moulin, envoyé de Londres par le général de Gaulle, parvient à unifier les résistants dans le Conseil National de Résistance (CNR) afin de préparer la libération du pays. Il fait reconnaître le général de Gaulle comme le chef de toute la résistance française.
Après l’invasion de l’URSS par les nazis (1941), les communistes se rallient à la Résistance. L’occupation de la zone libre (novembre 1942) et le durcissement de la collaboration motivent les nouveaux résistants. Les femmes sont nombreuses à rejoindre le mouvement. Le refus du STO (Service du Travail Obligatoire) pousse les jeunes à gagner les maquis (refuges clandestins de résistants). La Résistance se renforce en 1943 ; grâce à l’action de Jean Moulin, elle s’unifie sous l’autorité de De Gaulle.
Analyse de l’œuvre
– Le poème est constitué de quatre strophes de quatre vers (quatre quatrains).
v STROPHE 1
– Dans les vers 1 et 2, la situation désespérée de la France est rappelée.
– La métaphore « le vol noir des corbeaux » fait allusion aux avions allemands bombardant le pays (sens figuré ; au sens propre, les corbeaux sont des oiseaux qui viennent manger des cadavres, soit des charognards. On peut y voir une allusion aux Allemands qui pillent le pays, qui terrorisent, qui tuent).
– Dans le vers 2, la France est personnifiée (« les cris sourds du pays qu’on enchaîne ») : il est fait ici référence aux hommes se révoltant tout bas contre l’oppression de l’occupant.
– Le rappel de cette situation est adressé à un « ami », c’est-à-dire à quelqu’un avec qui on peut tout partager, et l’anaphore « Ami, entends-tu » insiste sur le besoin d’être entendu du plus grand nombre.
– Les vers 3 et 4 appellent explicitement à la lutte (« c’est l’alarme » : signal pour appeler aux armes).
– La population civile est interpellée par l’interjection « Ohé ». La France rurale (« paysans ») et industrielle (« ouvriers ») est appelée pour lutter et vaincre l’ennemi.
– Il est à noter que les paroles du « Chant des Partisans » ne citent jamais les Allemands ; tout n’est qu’allusion, sous-entendus (« ennemi »). Mais dans le contexte de l’époque tout le monde sait de qui on parle.
v STROPHE 2
La strophe 2 incite expressément à la lutte armée.
– Le mode impératif (« montez », « descendez », sortez », tuez », « dynamite ») se prête bien à l’expression de cette exhortation et montre la nécessité d’agir, de même l’anaphore « Ohé » des vers 7 et 8 qui reprend l’appel lancé dans la première strophe.
– Le champ lexical des armes rend l’appel au combat manifeste : « fusils », « mitraille », « grenades », «balle», « couteau », « dynamite », avec même une accumulation au vers 6 («les fusils, la mitraille, les grenades»).
– Tous les moyens mis en oeuvre par la Résistance sont présents : armes blanches, explosifs, sabotages…En 1943, la Résistance est organisée et c’est une armée de combat à l’intérieur de la France.
– Tous sont appelés à passer à l’action, qu’ils viennent « de la mine », « des collines », « de la paille »… et à exécuter l’ennemi (« Les tueurs […]tuez »), qui est mis en garde au vers 8 (« Saboteur, attention… »).
v STROPHE 3
Dans la strophe 3, la lutte est justifiée : « la haine », « la faim », « la misère » initiées par les Allemands qui torturent et réquisitionnent poussent les Français (« nous », « on ») à s’engager dans la lutte, à entrer dans la Résistance.
– L’antithèse des vers 11 et 12 qui rapproche et oppose les pays en paix (« Il y a des pays où les gens […] font des rêves ») et les pays en guerre (« Ici, […] nous on crève ») montre la volonté de lutter pour une vie meilleure (les termes « rêve » et « crève » sont de plus mis en évidence à la rime).
v STROPHE 4
Cette strophe résume d’abord les risques encourus par tout résistant (arrestation, torture, déportation, mort (vers 13)) et met en avant l’esprit de fraternité qui relie ces hommes.
– Le vers 14 montre l’action clandestine (« sort de l’ombre ») des résistants mais aussi la solidarité qui les unit : ils forment une chaîne jusque dans la mort (« Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place ») et la force de la Résistance.
Le « sang noir » du vers 15 fait écho au « vol noir » du vers 1 mais annonce la fin du nazisme. Le groupe nominal « au soleil » évoque en effet le retour à une vie normale.
Dans les deux derniers vers , l’espoir de la libération émerge : l’utilisation du futur « sèchera » et de l’impératif « Sifflez » le confirme (on peut noter l’allitération en [s] présente tout au long de la strophe et qui vient renforcer le sifflement).
– La personnification de la liberté renforce également cette impression : la liberté , « qui écoute », est présentée comme un être vivant au milieu des partisans.
Conclusion
Le texte et la musique sont indissociables. Le thème musical est facile à mémoriser : il s’appuie sur un rythme de marche très simple et répétitif.
Ce chant a été repris et interprété par de nombreux artistes dont Germaine Sablon, Jean Ferrat, Yves Montand… En 1997, le groupe Zebda a adapté la chanson dans l’album « Motivés ».
Le premier extrait du nouvel album « Une Histoire de France » du groupe Les Stentors est « Le Chant des Partisans » (2013).
Ce chant a pour but de glorifier et de motiver la Résistance. Il s’adresse bien sûr aux résistants (environ 300.000 hommes et femmes à la fin de la guerre) mais il présente également de façon anonyme la Résistance. Il ne faut pas oublier que l’efficacité de la Résistance provient de l’union des Français, décidés à vaincre la dictature nazie. Des hommes et des femmes de tous horizons politiques et religieux n’ont pas hésité à aller jusqu’à sacrifier leur vie pour lutter contre l’occupant nazi : des anonymes et d’autres très connus comme Jean Moulin, Raymond et Lucie Aubrac…
Cet hymne emblématique de la Résistance et de la Libération reste un hymne à l’insoumission et à la liberté.
© Chedlia EL FALLAH (avril 2016)
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