Étude de document – Géographie correction
Le document intitulé « Quatre enfants sur dix n’ont pas accès à l’eau potable dans le monde » est un extrait d’un article du site Internet LaDepeche.fr, le site du quotidien français La Dépêche, un titre de la Presse Quotidienne Régionale (PQR). L’article reprend les conclusions du rapport annuel conjoint de l’agence de l’eau de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture), rapport supervisé par le rédacteur en chef Richard CONNOR et la directrice de l’UNESCO, Audrey AZOULEY. Le rapport pointe les très grandes inégalités entre riches et pauvres dans l’accès à l’eau potable et les risques que ces inégalités s’accroissent dans les années à venir avec le dérèglement climatique et l’explosion démographique des pays pauvres.
La « planète bleue » est recouverte d’eau mais l’essentiel de l’eau douce (3% du volume total, soit 36 millions de km3) est stocké sur les continents, dont 28 millions de km3 sous forme de glace : l’eau ne devrait pas manquer au XXIe siècle mais elle est inégalement répartie. Aux États-Unis et au Canada, la consommation d’eau est de 300m3 /an / per capita, elle est inférieure à 10m3 au Niger. Le développement durable (Rapport Brundtland, 1987) qui consiste à assurer l’amélioration des niveaux et des conditions de vie sans interdire aux générations futures de satisfaire, elles aussi, leurs besoins fondamentaux impose un accès égal à une eau potable sûre.
Dans quelles mesures peut-on affirmer que l’article de LaDepeche.fr intitulé « Quatre enfants sur dix n’ont pas accès à l’eau potable. », compte rendu du rapport de l’ONU sur l’eau, permet de comprendre les enjeux d’une gestion durable de l’eau dans le monde aujourd’hui ?
On ne peut nier que le rapport des Nations Unies dont l’article de LaDepeche.fr se fait l’écho pointe une réalité indiscutable : l’accès l’eau est socialement inégalitaire et la demande en eau ne cesse de croître. Pour autant, la logique de privatisation des ressources, de privatisation des services de distribution et de libéralisation des marchés économique n’est pas remise en cause : en tout état de cause l’ONU ne manifeste pas de volonté de faire de l’eau un bien commun et de sortir l’eau de la logique de marché…
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Les auteurs du rapport dénoncent deux situations différentes : d’une part la demande en eau va augmenter d’ici le milieu du siècle, et, d’autre part, l’accès à l’eau potable est d’ores et déjà insuffisant et socialement inégalitaire.
L’humanité consomme chaque année près de 4 000 km3 d’eau par an, une consommation en augmentation constante de 2%/an depuis 1960, alors que la consommation moyenne est passée de 1 500 km3 en 1945 à 4 200 km3 en 2015. Encore faut-il préciser qu’il s’agit là surtout des prélèvements en eau : car 50% de l’eau prélevée n’est pas consommée mais gaspillée. Selon le rapport de l’ONU, la « […] demande mondiale en eau devrait augmenter de 20% à 30% […] d’ici 2050 » (Lignes 7 et 8). En cause, la « croissance démographique » (ligne 6) : la population mondiale augmente d’une part du fait de l’allongement de l’espérance de vie dans tous les pays du monde, d’autre part de la transition démographique (Passage d’un équilibre démographique ancien caractérisé par des taux de mortalité et de natalité forts autour de 50‰ à des taux faibles autour de 2‰). Cette transition démographique qui se déroule sur plusieurs décennies voit la mortalité s’effondrer d’abord alors que les taux de natalité restent forts : c’est la situation actuelle de la plupart des Pays les Moins Avancés (PMA) dont nombre de pays africains, comme le Niger notamment. Avec un indice de fécondité de 8 enfant par femme, le Niger connaît la croissance démographique la plus forte du monde, sa population double tous les 18 ans (Elle doublait tous les 22 ans en l’an 2000). Mécaniquement, les besoins en ressources (Pétrole, bois, alimentations, eau) augmentent. Mais ils n’augmentent pas arithmétiquement, car, concomitamment à la croissance démographique, les modes de vie évoluent aussi : le niveau de vie mondial augmente, les standards occidentaux de société de consommation se mondialisent (« […] développement économique et […] [l’] évolution des modes de consommation […] », lignes 6 et 7). Les besoins en ressources, et singulièrement en eau, augmentent plus vite que la population mondiale. Certaines régions du monde consomment plus d’eau que la moyenne mondiale : c’est le cas à Dubaï où le développement du tourisme de luxe et du tourisme d’affaire ont fait exploser la consommation d’eau, c’est le cas également en Californie où les golfs (Palm Springs) et les surfaces irriguées destinées aux Industries Agro-alimentaires (IAA) s’étendent au milieu du désert, alimentée par les fleuves dont on détourne le cours (Colorado) ou des nappes phréatiques et aquifères qui sont pompées sans retenue. 97% du fleuve Colorado n’atteignent pas le Mexique.
Or, l’accès à l’eau douce et plus particulièrement à l’eau potable est déjà problématique à l’heure actuelle : « […] 844 millions de personnes n’avaient pas accès à un service d’eau potable sûr […] » (Ligne 13), et « seuls 39% de la population mondiale disposait [en 2015] de services d’assainissement sûrs » (Lignes 13 et 14). Ces difficultés d’accès à l’eau potable et cette impossibilité d’avoir accès à des services d’assainissement (C’est-à-dire de retraitement des eaux usées domestiques) causent 780 000 morts (Dysenterie, choléra) « bien plus que les victimes de conflits, de séismes et d’épidémies. » (COVID-19 mise à part), (Lignes 11 et 12). Or cet inégal accès à de l’eau potable pénalise les pauvres à toutes les échelles. Les pas pauvres sont les premiers touchés : « […] les plus démunis sont assujettis le plus à la discrimination » constate le rédacteur en chef du rapport Richard CONNOR […] » (Lignes 22 et 23) souligne LaDepeche.fr. Les « pays les moins avancés » (Ligne 24) sont ceux qui concentrent les inégalités les plus fortes : 62% des citadins vivent dans des bidonvilles, payent « […] l’eau dix fois plus cher que leurs concitoyens plus riches qui ont l’eau du robinet […] » (Lignes 26 et 27) car ils la payent à des revendeurs (Camions citernes comme par exemple dans les faubourgs de New Delhi, en Inde, où le gouvernement lui-même organise ce genre de distribution). À Kinshasa, en République Démocratique du Congo (RDC), alors que la capitale est irriguée par le fleuve Congo (Le 2ième débit fluvial du monde), les écarts de consommation sont impressionnants : les habitants des quartiers raccordés à l’eau courante consomment 100m3 d’eau / an, c’est moins de 15m3 dans les quartiers périphériques. Mais partout dans le monde « la majorité des personnes […] qui n’ont pas accès à des services élémentaires d’assainissement vivent dans des zones rurales. […] » (Lignes 28 et 29). Les pays pauvres, les pauvres de tous les pays, les habitants des franges urbaines, les ruraux, cette liste des discriminés de l’eau ressemble à toutes les listes de laissés pour compte produites par la mondialisation : l’auteur de l’article oublie aussi les femmes, partout chargées des tâches les plus pénibles. Et les enfants évidemment. Le titre le rappelle « Quatre enfants sur dix n’ont pas accès à l’eau potable dans le monde ». On pourrait ajouter que les femmes dans les zones rurales des pays en voie de développement sont celles à qui échoient les corvées d’eau, et, parmi les femmes, les plus jeunes d’entre elles. On pourrait dire la même chose des victimes de catastrophes naturelles dans les pays pauvres (Haïti) comme dans les pays riches (Saint-Martin en France dans les Caraïbes, par exemple), mais on pourrait dire la même chose des laissés pour compte de la croissance économique.
L’eau potable est donc de plus en plus rare et toujours aussi peu accessible aux pauvres, et ce à toutes les échelles : les pays en développement en garantissent moins l’accès que les pays riches, les citadins en ont plus que les ruraux, les pauvres y ont moins accès que les classes moyennes et la payent plus cher. « […] L’objectif de développement durable défini par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), qui prévoit « d’ici à 2030 un accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable » pourrait ne pas être atteint. […] » (Lignes 17 à 19) pense important de souligner l’auteur de l’article. Comment remédier à cette situation d’ores et déjà inacceptable et qui semble ne pouvoir que s’aggraver ?
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L’ONU est-elle crédible quand elle dénonce l’inégalité sociale comme cause première de l’inégal accès à l’eau ? Faire payer les riches semble ici ressortir plus d’une logique de charité que de solidarité, rien qui ne rompe avec la logique libérale de privatisation des ressources. La question de l’eau, du reste, n’est qu’un aspect d’une question plus vaste, celle du développement durable dont rien ne garantit qu’en contexte de diffusion de la mondialisation les ressorts délétères ne soient remis en question dans ce rapport.
Comment faire pour que « […] L’accès à l’eau [soit] un droit humain vital pour la dignité de chaque être humain […] » (Ligne 15) selon le vœu de la directrice de l’UNESCO, Audrey AZOULEY ? Les ambitions du rapport de L’ONU semblent alors bien modestes comme le relève complaisamment l’auteur de l’article : « […] l’ONU n’apporte pas de solutions miracles. […] » (Ligne 32). Et en effet, l’essentiel du rapport semble proposer que « […] Les gens fortunés qui payent très peu doivent commencer à payer plus pour que l’accès soit universel […] » (Lignes 32 et 33). Et de l’argent il en faudra (« […] Les besoins sont estimés à 114 milliards de dollars annuels […] », lignes 34 et 35) car les besoins estimés sont « […] trois fois ce qui est dépensé actuellement, sans prendre en compte les coûts de fonctionnement et d’entretien […] » (Lignes 35 et 36), les coûts les plus importants sur la longue durée. « Faire payer les riches » ? L’idée n’est pas neuve : elle est d’ailleurs mise en pratique dans nombre d’États et à l’échelle mondiale. Dans le pays le moins avancé du globe (selon les standards de l’ONU), le Niger, qui figure bon dernier des listes annuelles des IDH (0,394 en 2020 selon le rapport sur le développement 2021 du PNUD), la Société d’Exploitation des Eaux du Niger (SEEN), pourtant privée, a des tarifs différenciés selon le cubage d’eau consommée : les premiers mètres cubes (m3) sont des tarifs sociaux, les plus gros consommateurs payant alors le rabais consenti aux plus modestes consommateurs. Les zones rurales et les quartiers périphériques sont desservis par des fontaines « publiques » mais pas gratuites où un préposé monnaye l’eau au seau, au bidon, et peu débiter la facture directement sur le compte du client via le télépaiement par téléphone portable. La télé-irrigation permet d’arroser les champs cultivés au plus juste, permettant aux paysans de contrôler et de réguler leur consommation. Là encore, les efforts de recherche et les efforts d’infrastructures sont payés par les gros clients, expatriés, bourgeois fortunés et entreprises locales ou étrangères. L’eau au Niger est devenu un bien public, à défaut d’être un bien commun, et reste la propriété de la Société du Patrimoine des Eaux du Niger (SPEN), la SEEN n’étant que chargée en théorie que de l’assainissement et de la distribution des eaux. Est-ce suffisant ? On peut en douter vu l’ampleur des investissements à réaliser pour capter et gérer les ressources en eau : le barrage des Trois-Gorges, en République Populaire de Chine (RPC), à coûté près de 50 milliards de dollars, 5 fois le PIB du Niger. Les entreprises ne peuvent pas tout faire.
Rien dans l’article ne concerne deux questions pourtant fondamentale dans une logique de développement durable : d’une part, comment réduire, dès maintenant, la consommation d’eau dans les zones du monde où l’eau potable est abondante ? D’autre part, comment changer le système qui a conduit à une telle iniquité dans l’accès à l’eau potable ? Les exemples des stratégies d’économie d’eau mises en place en Californie (Quotas d’eau, coupures, interdiction d’arrosage des pelouses domestiques, plantations d’arbres et d’arbustes locaux économes en eau) montrent que les résultats restent décevants. Les gros consommateurs (En l’occurrence en Californie les agriculteurs) restent prioritaires. L’exemple de la péninsule arabique (Koweït, Qatar, Émirats Arabes Unis et Arabie saoudite essentiellement) de dessalement de l’eau de mer montre que cette solution qui permet d’augmenter artificiellement la quantité d’eau douce disponible est de courte vue ; l’eau est chère, les processus de dessalement sont polluants, et la consommation reste excessive (Pistes de ski sur de la neige artificielle en plein désert…). Cette solution est du reste le monopole de pays riches (Californie aux États-Unis, Libye de Kadhafi, pays pétroliers du golfe arabo-persique) et de pays en zone littorale évidemment. Surtout, le système même qui a conduit à instaurer une telle disparité dans l’accès à l’eau doit être interrogé : c’est le même qui a conduit à des inégalités d’accès à la téléphonie mobile et à Internet (« Zones blanches »), qui a conduit à des disparités spatiales dans le développement (Dynamisme des zones littorales, atonie des zones enclavées et des zones rurales), qui a conduit aussi au délabrement des infrastructures routières et des grands ouvrages d’art (Barrages, viaducs, ponts). Le retrait des États qui étaient les seuls à pouvoir financer sur des décennies des infrastructures coûteuses a entraîné l’extension de la logique de marché à tous les secteurs de la vie en commun : les famines au Sahel dont d’abord dues à des flambées locales des prix plus qu’à des raretés de céréales, l’eau est devenue un bien marchand… Or le système des Nations Unies par le biais du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (WBG, World Bank Group) a favorisé le désengagement des gouvernements et l’entrée en scène des entreprises dans des secteurs relevant du bien commun. « Faire payer les riches » dans un monde où les inégalités domestiques s’accroissent, favoriser une logique de charité en lieu et place des politiques de solidarité des années soixante et soixante-dix permet de faire l’économie d’une question essentielle : comment les riches d’aujourd’hui sont-ils devenus riches, sinon en profitant des logiques de marché et de retrait des États sponsorisées depuis plus de 40 ans par les agences de l’ONU ?
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Les différentes instances onusiennes peuvent bien commencer à s’inquiéter des disparités des conditions de vie, et singulièrement de l’accès à l’eau potable, et de pointer la responsabilité sociétale des « plus riches » qui « doivent commencer à payer plus ». Mais il aurait sans doute fallu s’en préoccuper avant de lancer quarante années de politiques favorisant le désengagement des États, le libéralisme économique, la disparition des entreprises d’État et l’initiative privée qu’elle soit entrepreneuriale ou humanitaire, domaine devenu lui aussi un véritable business. Que les pauvres soient les moins connectés aux réseaux d’adduction d’eau potable quand celle-ci est payante apparaît plus comme une lapalissade que comme une analyse. Demander aux riches de payer plus dispense surtout de se demander comment ils sont devenus riches (Souvent sur les décombres des politiques du FMI et de la Banque mondiale). En ce sens le rapport UNESCO-ONU apparaît surtout comme une prise de conscience tardive du pompier pyromane.
© Souleymane ALI YÉRO, Erwan BERTHO & Ronan KOSSOU (2021).
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