DEVOIRS & CORRECTIONS
HGGSP
« La connaissance, enjeux politiques et géopolitiques » / Correction
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La production et la diffusion de connaissances revêtent des enjeux politiques : le récent coup d’État en Birmanie, où l’Internet et les réseaux sociaux sont régulièrement suspendus, montre que la diffusion de la connaissance est un outil de contrôle social. Les programmes scolaires, et notamment ceux d’Histoire et de Philosophie, sont un enjeu majeur du politique dans la construction d’une identité nationale ou régionale. C’est pourtant loin d’être une nouveauté.
Qu’est-ce qui donne l’impression que la connaissance a acquis une dimension nouvelle qui en fait un véritable enjeu politique ? Le savoir dans l’Antiquité, qu’elle soit proche-orientale ou méditerranéenne, est affaire de personne privée : même si les États en profitent évidemment. Et César en Gaulle soumet ses ennemis autant avec ses ingénieurs qu’avec ses légionnaires. Au milieu du Moyen Âge, en Occident, le pouvoir s’empare de la question de la production et de la diffusion du savoir. La création des universités, notamment celle de La Sorbonne en France, la constitution des archives royales en France, volonté expresse de Philippe Auguste, puis d’un corps de juristes (Les « légistes » de Philippe le Bel) professionnalise la fonction d’officier du roi et sert le renforcement du pouvoir. Si le savoir libère, il permet aussi de surveiller. On est déjà loin du modèle grec d’une assemblée d’aristocrates éclairés dissertant librement dans les jardins d’Athènes sur des questions existentielles. On est même loin du modèle des pédagogues rémunérés par des riches familles pour éduquer leurs enfants aux arcanes de la rhétorique ou de la politique. Le savoir ne sert plus seulement des intérêts de classe, mais aussi des intérêts politiques du pouvoir. Les agents du roi désormais entrent en compétition avec l’aristocratie dans la gestion des affaires publiques. En Chine le système des concours définitivement mis en place sous les Ming suit le même schéma. Désormais, deux modèles d’États s’affrontent silencieusement : des États qui se dotent d’un corps de fonctionnaires professionnels, d’autres qui restent sur un modèle de gestion aristocratique des affaires de l’État. La création des lycées en France (1804) étend cette exigence de professionnalisation aux questions militaires, les lycéens étant originellement destinés aux carrières militaires. La France est pionnière en la matière : au XVIIIe siècle la dynamique connaît une accélération (Création des écoles militaires, création des écoles d’ingénieurs comme l’École des Ponts et Chaussées). De la fin du XIXe siècle (Gratuité et obligation de la scolarité), au milieu du XXe siècle (1945, création de l’ENA), l’État en France met la main sur la production et la diffusion du savoir (Création du CNRS, création de l’école polytechnique). Excepté les pays anglo-saxons qui restent majoritairement sur un modèle de scolarité privée, l’ensemble des pays du monde suivent l’exemple français d’une fonction publique réglementée et professionnalisée dans des organismes de formations publics. Dans les pays anglo-saxons, le corps politique se technicise aussi, mais sans la professionnalisation qu’on lui connaît ailleurs : Harvard fournit, avec les universités de la Ivy League, l’essentiel du corps politique et de la haute fonction publique. Dans le second XXe siècle, seuls quelques rares présidents américains ne sont pas issus de Harvard ou d’une de ses consœurs.
L’accès des filles à la connaissance est, par exemple, un enjeu clairement politique, c’est-à-dire qui procède d’une politique publique (ou de son absence) ou de volonté générale. Louise LABÉ (Œuvres, 1556), femme de Lettres, évolue dans un contexte politique de transition, entre le Moyen Âge où les femmes sont cantonnées à une éducation de distraction et de gestion du ménage héritée de Xénophon et de son Économique (Les femmes sont éduquées pour coudre, tisser, jouer d’un instrument, danser et chanter avec un vernis léger de savoir biblique) et l’affirmation de l’humanisme, notamment à travers la Réforme, où les femmes sont invitées à lire et à prendre parti dans les querelles politiques. Ses poèmes, illustrations formelle des nouvelles règles imposées par La Pléiade, mettent les femmes à l’égal des hommes, notamment dans l’expression du désir amoureux et du plaisir. Christine de PISAN (La Cité des Dames, 1418) avait ouvert la voie. Les femmes mécènes sont nombreuses pendant la Renaissance : on pense au XVIe siècle à Marguerite de NAVARRE, en particulier. L’action des femmes comme créatrices de connaissance ou acteurs de la diffusion des connaissances se renforce alors pour atteindre un premier apogée au XVIIIe siècle : Olympes de GOUGES combat l’esclavage des Africains déportés aux Antilles et en Amérique, Madame GEOFFRIN et Madame du DEFFAND tiennent des salons où les esprits les plus savants du temps se rencontrent. Catherine II de Russie est mécène des Philosophes de son temps, VOLTAIRE et DIDEROT reçoivent ses subsides, Marie-Anne PAULZE, épouse de LAVOISIER, est la collaboratrice de son mari, un des savants les plus avancés des Lumières. Tous ces exemples ne montrent finalement que des réussites individuelles, sans volonté politique de faire évoluer la condition intellectuelle des femmes : Madame GEOFFRIN elle-même, bien que salonnière, avait une instruction sommaire. Le XIXe siècle, marqué par le Code civil et les valeurs bourgeoises marque un recul de la condition féminine, mais les femmes accèdent à l’école plus largement : en France, la République veut des filles convaincues des idéaux républicains qui éduqueront leurs enfants dans la foi républicaine. Marie CURIE quitte la Pologne sous occupation russe où les femmes sont exclues des universités pour poursuivre ses études en France : elle participe alors à un mouvement féministe de grande ampleur qui voit les femmes devenir avocates, professeur en Sorbonne, Prix Nobel… C’est bien l’action politique des femmes et les mesures législatives et légales qui permettent aux femmes d’entrer durablement dans la production et la diffusion de la connaissance. À l’inverse, en Asie centrale, comme en Afghanistan ou au Pakistan, les filles restent encore exclues de l’accès à la connaissance : le martyr de MALALA, victime de persécutions, est révélateur d’une absence de réelle volonté politique.
La production de connaissance est aussi un enjeu de pouvoir. Le projet Manhattan de construction de la bombe atomique américaine en est une manifestation patente : même si, au final, la bombe atomique ne fut qu’une dépense marginale dans l’effort de guerre américain, la volonté d’investir sur un temps long alors que les défaites et les incertitudes s’accumulaient ne peut provenir que d’une volonté politique forte. Alors que les Nazis pensaient que la science nucléaire était « enjuivée » et avaient perdu leurs principaux savant dans ce domaine, les Américains marginalisaient les savants européens suspectés d’être communistes et confiaient le projet à un natif, OPPENHEIMER. Les services de renseignement illustrent aussi l’enjeu politique que représente la connaissance : la connaissance des secrets ennemis – ou des pays supposés ennemis – n’est que la traduction moderne du proverbe romain Si vis pacem, para bellum(« Si tu veux la paix, prépare la guerre »). Les agences de renseignements ont pour justification de connaître les intentions ennemies pour éclairer la décision politique. Bien sûr, l’idée sous jacente est aussi de rééquilibrer la balance en cas d’asymétrie entre deux puissances. La Central Intelligence Agency (CIA) américaine, née de la fusion des services de renseignements de la Seconde Guerre mondiale (1937-1945) dont le célèbre OSS, ou le KGB soviétique, furent des organisations stratégiques pendant la Guerre Froide (1947-1991). Elles ont permis la surveillance de l’ennemi et notamment le rattrapage militaire russe dans les années soixante-dix et quatre-vingt, du fait du KGB, ou la chute de régimes hostiles, notamment celui de MOSSADEGH en Iran ou celui de Salvador ALLENDE au Chili (1973), tous deux déposés sous le patronage de la CIA. Formées des brillants étudiants ou des membres des services spéciaux des armées, les services de renseignement participent aussi à la création de la connaissance parce que leurs analystes savent donner du sens à des informations parcellaires et fragmentées. Mais ces officines peuvent aussi intoxiquer les décideurs. C’est le cas de la CIA lors de la préparation de l’invasion de l’Irak (2003) par les États-Unis qui prétendaient que le pouvoir de SADDAM Hussein possédait des armes de destruction massive tout en sachant pertinemment que ces armes avaient été détruites depuis 1991 et 1992. Il s’agit là d’un cas de mensonge flagrant et de manipulation des décideurs politiques et des opinions publiques, comportement délictueux qui montre combien ces organismes occupent une place ambivalente dans les démocraties où l’opacité nécessaire à leur fonctionnement fourni aussi un alibi pour échapper au contrôle du politique.
La connaissance est un enjeu politique : elle renforce l’action publique, la conforte et en est aussi le décalque. Quand la République, à l’assise incertaine, cherche des appuis elle favorise l’accès des femmes au savoir, quand les régimes veulent se prémunir, leurs services de renseignements œuvrent à les protéger, parfois à les protéger de leurs propres opinions publiques. La CIA et le KGB furent autant des agences de renseignement que de surveillance : ANDROPOV et POUTINE en Russie, George Herbert BUSH aux États-Unis sont des chefs d’États issus des services de renseignement…
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