Tale– GÉOGRAPHIE (9), France : dynamiques différenciées des territoires transfrontaliers
Selon le géopoliticien français Michel FOUCHER, « les frontières sont des structures spatiales élémentaires de forme linéaire à fonction de discontinuité géopolitique et de marquage de repère sur les trois registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire » (FOUCHER, 1988). Cette discontinuité peut signifier opposition idéologique, rivalité géopolitique, tension. La frontière se présente alors comme une ligne de front infranchissable séparant deux États en conflit (le rideau de fer pendant la Guerre Froide, la frontière entre Turquie et Arménie aujourd’hui). La discontinuité peut au contraire être synonyme de différentiel (monnaie, niveau de développement, normes et règlements) et susciter des échanges. Il faut plutôt considérer la frontière comme une interface. Des espaces transfrontaliers apparaissent quand les échanges transcendent la discontinuité politique. On parle de territoires transfrontaliers quand il existe un projet politique de construction et d’approfondissement des relations à travers les frontières. Nous examinerons les territoires transfrontaliers qui existent dans les zones de contact entre la France et ses voisins en Europe (Espagne, Italie, Suisse, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Andorre, Monaco) mais aussi outre-mer (Brésil, Surinam, Pays-Bas). Ces territoires en périphérie de la France sont-ils des marges ou des espaces dynamiques source de cohésion et d’intégration ?
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Souvent issues d’initiatives locales encouragées par les institutions européennes (Convention de Madrid en 1980, Programme Interreg en 1989), de nombreux territoires bénéficient de la coopération transfrontalière entre la France et ses voisins membres de l’Union Européenne. Dès la fin des années 1960, les élus des départements lorrains, du Land de la Sarre et du Luxembourg associent leurs réflexions au sujet de la désindustrialisation, un phénomène qui touche ce triangle minier. Peu à peu la coopération s’est institutionnalisée et l’euro-région « Sar-Lor-Lux » a été créée en 1980. D’autres territoires (Rhénanie-Palatinat et Wallonie) ont rejoint cet ensemble connu désormais sous le nom de « Grande Région ». Ce territoire n’a pas qu’une existence institutionnelle. C’est le bassin de vie d’un grand nombre d’actifs qui traversent la frontière quotidiennement. Près de 70 000 français travaillent au Luxembourg (chiffre en forte croissance depuis les années 1990), environ 35 000 français travaillent en Belgique. Des infrastructures permettent de dépasser la frontière entre la France et l’Allemagne (passerelle reliant Strasbourg et Kehl au-dessus du Rhin, tram-train entre Sarreguemines et Sarrebruck). Le Land de Bade-Wurtemberg, prospère et dynamique (3,2% de chômage) attire les français installés dans le Grand est, une région en grande difficulté (9,4% de chômage). Au sud de la France, les flux et les mobilités au-delà des Pyrénées vers l’Espagne sont moins importants. Il existe tout de même des territoires transfrontaliers dans les espaces marqués par une forte continuité culturelle (Pays Basque et Catalogne). Cette continuité a facilité la création d’eurorégions (Aquitaine-Euskadi et Pyrénées-Méditerranée). Près de 10 % des Français installés dans le département des Pyrénées Atlantique travaillent au Pays Basque espagnol. La fermeture de la frontière entre la France et l’Italie pendant plusieurs semaines pendant l’épidémie de Covid-19 a empêché les transfrontaliers de vivre et de travailler normalement.
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La Suisse, signataire des accords Schengen mais pas membre de l’Union Européenne, attire de nombreux français (niveau de rémunération, taxes et fonctionnement du système bancaire). Le différentiel et la discontinuité suscitent les échanges. Près de 160 000 français vivent en France mais travaillent en Suisse. La commune de Ferney-Voltaire située dans le département de l’Ain au nord de Lyon est une cité dortoir où vivent de nombreux français membres des organisations internationales qui ont leur siège à Genève en Suisse. Il n’y a pas de véritable coopération transfrontalière institutionnalisée. L’intégration territoriale se fait « par le bas » et dépend des pratiques spatiales et des stratégies résidentielles des habitants. Citons tout de même l’aéroport international Bâle-Mulhouse-Fribourg, seul aéroport transfrontalier du monde. Son conseil d’administration est composé de huit membres français, huit membres suisses et deux représentants allemands, à titre consultatif.
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L’examen des territoires situés aux frontières de la France ne serait complet sans un détour par la Guyane en Amérique du sud, entre le Brésil et le Surinam. La question s’y pose selon des termes différents (différentiel de développement important, maîtrise du territoire difficile, abondance des ressources) mais a de l’intérêt (Voir exposé). Selon Valérie Morel et Sylvie Letniowska-Swiat, on assiste à « l’émergence d’une région ou d’un espace inter-frontalier » englobant la ville d’Albina (Surinam) et celle de Saint-Laurent (Guyane française). Le fleuve Maroni « reflète bien tous les enjeux et les ambiguïtés d’une frontière interface entre un pays du Nord et un pays du Sud ». N’oublions pas enfin les frontières maritimes et terrestres (tunnel sous la Manche) entre la France et le Royaume-Uni à l’heure du Brexit. De nombreux observateurs s’inquiètent des conséquences d’un durcissement de la frontière (contrôles douaniers, visas) sur le devenir de ces territoires transfrontaliers. 100 000 entreprises françaises commercent avec le voisin d’outre-Manche. 16 000 PME ont comme seul client la Grande-Bretagne. Le volume d’affaires avec le Royaume-Uni s’élève à 60 milliards d’euros par an. Pour certaines villes françaises (Calais, Dieppe), les échanges transfrontaliers sont vitaux.
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Cette analyse a mis en évidence le dynamisme inégal des territoires transfrontaliers qui existent entre la France et ses voisins du fait de la continuité culturelle et des pratiques spatiales des individus mais aussi grâce à la volonté de décideurs politiques. Les territoires les plus dynamiques sont ceux situées au nord-est de la France. Ces périphéries du territoire national sont parvenues à s’intégrer à la mégalopole européenne.
Sources :
FOUCHER (Michel), Fronts et frontières, 1988, seconde édition 1991, Fayard.
Dossier sur les espaces transfrontaliers sur le site Géoconfluences http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/transfrontalier et notamment l’article consacré à la Guyane http://geoconfluences.enslyon.fr/geoconfluences/doc/typespace/frontier/FrontScient10.htm
© Souleymane ALI YÉRO, Erwan BERTHO & Ronan KOSSOU (2020)
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Articles complémentaires :
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