COMPOSITION
Le temps des dominations coloniales. L’Empire français au moment de l’exposition coloniale de 1931, réalités, représentations et contestations.
Vous montrerez comment l’Empire colonial français qui paraît à son apogée en 1931 et fait l’objet de représentations contradictoires est déjà fortement contesté dans les colonies comme dans la métropole en raison d’un système colonial foncièrement injuste
En mai 1931 s’ouvre à Paris l’Exposition coloniale de Vincennes. L’événement a été pensé comme grandiose par les autorités françaises. Les Français sont au rendez-vous : 33 millions de tickets vendus, 8 millions de Français de Province se rendent à Paris pour visiter l’exposition. C’est sans aucun doute la vraie rencontre entre le peuple français et son empire. Monument à la gloire de l’idéologie coloniale, l’exposition cache pourtant la réalité d’un système colonial exploiteur et érigé en système d’exception. Nous verrons dans quelles mesures on peut affirmer qu’au moment où se déroule l’exposition coloniale (1) les réalités oppressives du système colonial (2) entraînent de très fortes contestations (3).
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L’exposition coloniale se tient de mai à novembre 1931 dans l’Est de Paris (Vincennes) là où se trouvent encore aujourd’hui des vestiges de cet événement (Pagode bouddhiste des jardins de Vincennes, Maison de l’Immigration de la Porte Dorée…). Cette exposition n’est pas l’apologie de la colonisation comprise comme la nécessaire domination de l’homme blanc sur les peuples arriérés (Le fardeau de l’homme blanc, Rudyard KIPLING, 1899). La visée pédagogique de cette exposition est affirmée par le Ministre des Colonies, Paul REYNAUD, dans son Introduction au Livre d’or de l’exposition coloniale, (1931) « […] Nos colonies ne sont plus des noms mal connus, dont on a surchargé leur mémoire d’écoliers. Ils en savent la grandeur, la beauté, les ressources […] Chacun se sent citoyen de la Grande France, celle des cinq parties du monde. […] ». Depuis la Première Guerre mondiale (1914-1919) la perception des populations colonisées par les Français s’est grandement modifiée : le sacrifice des tirailleurs sénégalais (Premiers à défiler sur les Champs Élysées en 1919) et des tirailleurs algériens, l’effort des travailleurs tonkinois pour construire les tranchées, dans l’ensemble l’apport économique de l’Empire pendant la guerre sont reconnus de tous. Les souffrances partagées sur les champs de bataille ont détruit l’image des « Indigènes » pleutres et inférieurs. Banania remplace la matrone antillaise sur ses boîtes de chocolat en poudre pour mettre celle, plus valorisante, du tirailleur sénégalais. René MARAN, pour Batouala, véritable roman nègre, reçoit le prix Goncourt (1921). En France, un homme est le promoteur de cette nouvelle idée coloniale, c’est Albert SARRAUT, gouverneur de l’Indochine (De 1911 à 1914 et de 1916 à 1919) et deux fois Ministre des Colonies (de 1920 à 1924 et de 1932 à 1933). Il propose un « Pacte colonial » à la France. Dans Grandeurs et servitudes coloniales (1931, Paris, aux éditions Le Sagittaire) il écrit : « […] les indigènes étant des hommes comme nous, il faut les traiter en hommes comme nous, c’es-à-dire leur assurer les garanties primordiales de statut individuel, de droit personnel que nous réclamons pour nous-mêmes […] ». Albert SARRAUT va plus loin encore quand il déclare à la suite « […] Il faut enfin habiliter nos protégés à participer dans une mesure légitime et convenable à l’administration de leur propre pays. […] ». L’exposition coloniale participe à ce programme en mettant en valeur la diversité et la richesse de l’Empire : le temple d’Angkor Vat (Siam, actuel Cambodge), une pagode, la réplique de la mosquée de Djenné (Soudan français, actuel Mali) sont reproduits pour montrer la splendeur et le raffinement des sociétés non-européennes. Les spectateurs côtoient les populations colonisées dont on fait venir des familles entières (Sans les exposer comme c’était le cas lors des « zoo humains » du début du siècle). Les spectacles (Comme les danses des Dogons de la falaise de Bandiagara, Soudan français) permettent aux Français de se colleter avec la culture vivante de sociétés qui apparaissent brutalement plus complexes qu’il n’y paraissait dans les livres de Géographie. Nul angélisme cependant : les arrières pensées économiques, c’est-à-dire la croissance sans laquelle aucune redistribution ne peut se faire, ne sont pas loin. Paul REYNAUD l’indique clairement : « […] Alors que la lutte économique est plus sévère que jamais, les colonies enseignent aux Français le courage et la confiance […] Déjà, la France extérieure est le plus gros client de la France d’Europe et le premier de ses fournisseurs […] Que de chômeurs si ce débouché se fermait brusquement ! […] » (Introduction au livre d’or de l’exposition coloniale, 1931, Paris). La crise économique qui vient de frapper l’Europe et le monde (Autriche et Allemagne en faillites bancaires dès 1928, États-Unis en octobre 1929) entraîne un retour du protectionnisme : la France espère échapper aux rigueurs de la crise en se repliant sur son Empire, plus stratégique encore que pendant le Première Guerre mondiale.
L’exposition coloniale de 1931 donne l’image d’une France réconciliée avec sa mission coloniale et pleinement consciente des efforts qu’elle doit faire pour que le « Pacte colonial » se traduise par une amélioration considérable de la situation économique, sociale et politique des populations qu’elle administre : qu’en est-il de la réalité coloniale ? Autant il serait absurde de brosser un tableau exclusivement négatif de la présence de la France dans ses colonies, autant il est naïf de parler d’un « rôle positif » de la colonisation. Parce que celle-ci est d’abord un coup de force sanctionné par une conquête militaire. Le système colonial est avant tout un « régime d’exception » (IDRISSA Kimba, Guerres et sociétés : les populations du « Niger » occidental au XIXe siècle et leurs réactions face à la colonisation (1896-1906), Niamey, 1981, IRSH). Le Code de l’indigénat (1914) rassemble un arsenal de lois adoptées dès 1881. Les habitants des colonies (Les « indigènes ») sont des « sujets », citoyens de seconde zone, particulièrement contrôlés par l’administration coloniale : lieu d’habitation, voyage, réunions privées ou publiques, enseignements traditionnels sont soumis à une autorisation administrative préalable. En somme les libertés publiques banales en France sont déniées aux habitants des colonies. L’administration politique est confiée à des gouverneurs et des gouverneurs généraux, encore que les situations varient en fonction des statuts juridiques des territoires. L’administration est, en théorie, directe dans les colonies comme en Afrique (Afrique Occidentale Française, AOF, et Afrique Équatoriale Française, AEF) ou en Asie (Tonkin) et en théorie indirecte dans les protectorats (Annam, Maroc, Siam, Tunisie) où les souverains traditionnels sont censés administrer leurs sujets. Mais la faiblesse du nombre de fonctionnaires impose partout le recours à des cadres et des employés locaux tandis que les autorités françaises décident en dernier ressort, quelque soit le statut du territoire. La politique sanitaire et scolaire est réelle mais elle sert tout autant les intérêts français (Et parfois plus encore les intérêts de certains Français) plutôt que les intérêts des habitants : on ne compte que 12 hôpitaux publics en AOF en 1937 pour 14 millions d’habitants et une seule école des cadres (William Ponty sur l’île de Gorée, en face de Dakar, au Sénégal). On n’y compte pas une seule université et les élèves les plus brillants (Comme Léopold SÉDAR SENGHOR ou Félix HOUPHOUËT-BOIGNY) doivent venir en France métropolitaine pour achever leur formation. La politique sanitaire est une des réussites de la colonisation : interdiction du bétail dans les villes mais création de parcs à bestiaux en périphéries des agglomérations, créations de fosses sceptiques avec campagnes hebdomadaires d’épandage de chaux-vive sur les ordures ménagères, lutte contre les pandémies endémiques (Maladie dite « du sommeil », variole…). En conséquence, la population de l’AOF passe de 12 à 14 millions d’habitants entre 1922 et 1939, soit une hausse de 16% en 17 ans. L’exploitation la plus éhontée est économique. Les colonies sont cantonnées au rôle d’exportatrices de matières premières : hévéa de Cochinchine, bois du Congo, cacao et café de Côte d’Ivoire, etc. Les rares voies ferrées construites conduisent toutes vers les ports d’exportation. La France investi peu dans son Empire (Ce que dénonce justement Albert SARRAUT) : moins de 10% des capitaux investis à l’étranger vont dans les colonies ! Mais les compagnies privées, qui bénéficient des concessions à exploiter et qui abusent des populations locales en les spoliant, font des profits importants. Car les populations locales sont astreintes au travail forcé (Jusqu’en 1946, date à laquelle il est reconverti en « Service Obligatoire du Travail ») : mal nourries, pas ou peu payées, les populations déplacées sur les chantiers publics ou privés meurent en masse (20,000 morts sur le Congo-Océan dénoncé par André GIDE dans Voyage au Congo suivi de Retour du Tchad, 1927, Paris, Gallimard). Comme le dit Andrée VIOLLIS dans Indochine SOS (1935) « […] C’est comme ça qu’on prépare les révolutions. […] ».
Et en effet, autour des années Trente, la révolution est en marche. La Guerre de KAOCEN (1916-1917) au Niger avait montré la capacité des populations sous jougs colonial à établir des stratégies internationales (par le biais de la confrérie des Senoussi de Libye), de se fédérer (Touaregs du Niger et Toubous du Tchad et de Libye) et d’utiliser du matériel militaire moderne (canons, mitrailleuses). Mais les révoltes sur des mots d’ordres traditionnels ont disparu (Dernière révolte en Algérie en 1870). Désormais les populations colonisées utilisent les armes intellectuelles et politiques de l’Occident : journaux, partis politiques (Comme l’Étoile nord-africaine en Algérie de MESSALI HADJ), syndicats sont les éléments principaux du mécanisme qui conduit aux revendications autonomistes puis indépendantistes. Les leaders des indépendances sont souvent des fils de chefs (SENGHOR, HOUPHOUËT-BOIGNY, HO-CHI-MINH) diplômés du Supérieur (HOUPHOUËT est médecin, SENGHOR agrégé de Grammaire). Mais les ouvriers (Grève des cheminots à Thiès au Sénégal, 1938) jouent un rôle majeur dans l’éveil des consciences politiques, un rôle auquel SEMBÈNE Ousmane dans Les Bouts de bois de Dieu (1963) rend hommage en racontant les sacrifices et les souffrances des familles des grévistes de 1947 en AOF. Dans ce combat pour l’égalité politique, la justice sociale et le développement économique les leaders des populations colonisées ne sont pas seuls. Le Parti Communiste Français (PCF) soutient leurs revendications à l’aide de son organe de presse (L’Humanité) et de son syndicat (La Confédération Générale du Travail, CGT). Né de la scission d’avec la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) au Congrès de Tours (1920) le PCF accueille dès sa création houleuse un jeune délégué indochinois, fondateur du Parti Communiste du Vietnam (1930), HO-CHI-MINH. Les intellectuels français sont également des combats pour l’émancipation : Albert LONDRES, André GIDE, Louis-Ferdinand CÉLINE, dénoncent la prévarication des administrateurs, la rapacité des directeurs de sociétés privées, la noblesse des populations colonisées et leurs souffrances injustifiées. Pour certains Français la colonisation, ayant trahi ses idéaux, n’a plus de raison d’être.
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L’exposition coloniale de Vincennes de 1931 marque le grand rendez-vous raté entre la France et son Empire. Les Français se réconcilient avec l’idée coloniale mais la crise économique puis la guerre serviront de prétextes pour retarder la réforme nécessaire d’un régime d’exception injuste et d’une exploitation économique prédatrice.
© Erwan BERTHO (2013, révision juillet 2017, 2019)
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COMPOSITION HISTOIRE corrigée 9 Le temps des dominations coloniales
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