2de – HISTOIRE (19), Tensions et crispations dans la société d’ordres : les résistances au changement.
Le XVIIIe siècle voit une augmentation singulière des révoltes (+25% entre 1715 et 1789) : pourtant la lecture des cahiers de doléances montre que les sujets de LOUIS XVI sont attachés à la royauté et à la personne du roi. Le paradoxe n’est qu’apparent : la contestation est alimentée à la fois par la volonté de garder les privilèges anciens et une réelle volonté de voir l’ordre politique changer vers plus de justice… Mais pour qui ?
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Les campagnes sont le théâtre de rebellions violentes et très étendues : ces révoltes, souvent des rebellions de subsistances, sont animées à la fois par la volonté de voir les droits anciens et coutumiers respectés, et par la volonté d’échapper aux principales charges seigneuriales qui pèsent sur les terres. Les paysans vivent une période de mutations importantes dans le rapport à la terre et dans la perception de la propriété. Sous l’impulsion des physiocrates, les propriétaires rentiers qui naguère délaissaient leurs terres à des fermiers en reprennent en main la gestion. Ils aspirent à accroître les rendements agricoles grâce à des approches plus scientifiques : les nouvelles cultures sont importées (La pomme de terre), de nouveaux rythmes sont mis en place, notamment celui des plantes fourragères pour régénérer la terre. En conséquence, le système de l’assolement triennal qui voyait un tiers des terres agricoles laissé en jachère (et qui était occupé par les pauvres pour la pâture de leurs animaux) est abandonné : les pauvres ruraux n’ont plus accès à la terre. Les terres communales (Les « communaux ») sont souvent occupées par des riches propriétaires contre redevances, là encore les pauvres sont privés d’un autre accès à la terre. Les mauvaises récoltes, les hivers rudes, les guerres où la soldatesque ravage les villages et les cultures, les impôts en constante augmentation, qui ne pèsent presque que sur le monde rural, jettent les paysans dans la misère et les poussent à la révolte. La bourgeoisie apparaît souvent comme une force de progrès : c’est oublier qu’une partie significative de la bourgeoisie est propriétaire de terres seigneuriales sur lesquelles sont attachés des privilèges comme les corvées (Les journées de travail dues par les paysans) et les banalités (Taxes coutumières seigneuriales). La bourgeoisie, attachée aux idées des Lumières quand il s’agit de lui permettre d’exercer une plus grande part du pouvoir, de ne plus subir les vexations de l’ordre noble, ou d’accaparer les communaux, se montre très conservatrice quand il s’agit d’abolir les privilèges liés aux terres.
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La noblesse apparaît comme l’ordre le plus rétif aux dynamiques de changement : pourtant, elle constitue aussi une des rouages essentiels de la diffusion des idéaux des Lumières. Comment comprendre ce paradoxe ? La noblesse constitue à y regarder de plus près un ordre profondément clivé. La noblesse rurale est pauvre et attachée à ses privilèges seigneuriaux. Elle fait peser lourdement sur sa paysannerie les droits et privilèges attachés à ses terres : corvées, taxes sur le four, le pressoir et le moulin, droits d’octroi encore présents sur les ponts, exclusivité de la chasse (Le braconnage reste encore sévèrement puni). Cela ne l’empêche pas de rejoindre les révoltes paysannes : celle des « Bonnets rouges » en Bretagne (1675) ou celle des « Nu-pieds » en Normandie (1639-1643). Certains nobles se comportent en véritables bandits, organisant alors une contre-société conforme à leur idéal de devoir social et d’équité (Marion DU FAOUËT en Bretagne, exécutée en 1755). La noblesse citadine, de haute extraction, qu’elle soit d’épée ou de robe, est souvent liée au monde de la finance : ses richesses viennent du grand commerce maritime et des adjudications d’État, elle est moins attachée que la noblesse rurale aux privilèges seigneuriaux mais hostile à toute idée d‘imposition des revenus car les siens peuvent être considérables. Les prises d’armes de la noblesse comme celle de la Fronde (1648-1653) sont devenues rares : mais nombre de nobles complotent, comme le marquis de PONTCALLEC avec 200 autres Bretons qui prennent les armes contre le Régent (1718-1720). Ils sont exécutés. Dans les couloirs de Versailles, la haute noblesse conspire : le duc du MAINE, fils illégitime de LOUIS XIV conspire contre le Régent (1717), les propres frères de LOUIS XVI, le comte de Provence (Futur LOUIS XVIII) et le comte d’Artois (Futur CHARLES X) sont des acteurs importants des campagnes de calomnies contre la reine Marie-Antoinette, l’épouse de LOUIS XVI. Le Cardinal de ROHAN, impliqué dans l’escroquerie du « Collier de la Reine », est jugé puis acquitté par ses pairs alors même que sa culpabilité est évidente : le clergé, lui aussi, conspire contre la monarchie absolue… La haute noblesse de robe issue des Parlements proteste quand elle juge que le pouvoir royal empiète sur ses prérogatives (Ce qu’elle appelle alors « l’absolutisme »), mais elle veille, par la cooptation de ses membres, à se fermer à la bourgeoisie et refuse toute réforme fiscale : elle combat TURGOT, CALONNE et NECKER, les derniers réformateurs du règne de LOUIS XVI (1774-1792).
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Les résistances aux dynamiques de changements illustrent parfois un réel conservatisme mais les différents ordres (et les différents groupes de pression au sein de ces ordres) veulent souvent plus de pouvoir et moins d’impôt pour la catégorie à laquelle ils appartiennent, sans se soucier de la situation générale de la France. De plus en plus les réflexes d’Ancien Régime ne sont plus ceux d’une société d’ordre mais de classes sociales… La Révolution française (1789-1799) fera émerger des figures politiques capables de penser une refondation radicale du système politique et social.
© Souleymane ALI YÉRO, Erwan BERTHO & Ronan KOSSOU (2020)
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