« Soul Food. »
« […] A l’origine, la soul food n’est pas de chez nous. Enfin, pas sous cette appellation.
Bien sûr, n’importe quelle personne attachée à la cuisine de sa grand-mère, à celle de son terroir aurait tout à fait raison de la considérer comme sa soul food, la nourriture qui touche et remplit son âme. Cependant, le terme se rapporte, avant tout, à la cuisine afro-américaine.
Une alimentation mêlant des éléments venus d’Afrique et d’autres, trouvés sur place ou importés d’Europe.
On raconte des histoires de déportés africains ayant conservé des graines dans leurs cheveux ou dans leurs oreilles durant le Passage du milieu, cette traversée qui les emmenait pour un voyage sans retour. Ceci est fort peu probable.
Les déportés avaient autre chose à l’esprit, et peu de latitude, lorsqu’ils étaient capturés puis vendus, pour ramasser des graines ou faire des boutures. (…)
Puisque la civilisation est, d’après nous, surtout dans l’assiette, il n’est pas exagéré d’affirmer que les États-Unis doivent une partie de ce qu’ils ont de la civilisation à cette cuisine imprégnée d’Afrique.
Ceux qui ont eu la chance de goûter la cuisine créole de la Nouvelle Orléans, qui n’a rien à voir avec les hot-dogs et les hamburgers, savent que cette vérité ne se discute pas.
Parmi les plats issus de la période de l’esclavage, citons : le calalu, qui se prépare également dans la Caraïbe, et dont le nom viendrait de l’appellation mandingue d’une plante proche de l‘épinard, le gumbo, le gruau ou le pone bread, poches de bouillies africaines et des gâteaux qu’on en tire en les moulant ou en les séchant, et le jambalaya, dony le nom viendrait de tshimbolebole, terme bantou dont l’origine exacte s’est perdue, les Bantous occupant aujourd’hui une bonne partie du continent africain, du centre au sud.
Concernant le jambalaya, plat unique mêlant riz et viande, emblème gastronomique de la Nouvelle Orléans, précisons tout de même qu’il est de facture créole et ne peut être considéré comme typiquement africain. Ce n’est ni du foufou ni du ndole.
Ce plat est vraiment le produit de la rencontre des cultures, mais on pourrait presque en dire autant de bien des mets africains, qui n’existeraient pas sans l’introduction sur le continent de plantes venues d’Europe ou du Nouveau Monde.
Les populations d’ascendance africaine ont donc métissé le contenu de leurs assiettes depuis des siècles au point même pour les Africains en particulier, de s’imaginer qu’ils se nourrissent comme le faisaient leurs ancêtres.
Il y a quelques années, un écrivain français d’origine camerounaise s’est attiré l’ire des Africains installés en France, pour avoir intitulé son livre : Je suis noir et je n’aime pas le manioc. On a crié à la traîtrise, au déni des origines.
Pourtant, il n’y a pas de raison objective qu’un Africain aime le manioc, tubercule implanté en Afrique par les Portugais qui le firent venir d’Amazonie, par les navires destinés au commerce des esclaves.
Cet aliment s’est bien intégré aux cultures africo-caribéennes, qui ont épuisé les manières de l’utiliser, que le simple fait de prétendre ne pas en manger devient synonyme de complexe de couleur.
En réalité, les Africains les plus chauvins seraient bien incapables de dire ce que mangeaient leurs ancêtres avant l’arrivée du manioc. Il y avait autre chose, bien sûr, mais pour ce qui est des féculents, le manioc a détrôné tous les autres – à l’exception de l’igname. […] »
MIANO (Léonora), Soul Food Équatoriale. , 2009, Paris, aux éditions Nil, collection « Exquis d’écrivains », 112 pages.
ISBN 978-2-84111-380-4