« Femme noire. »
« […] Femme noire
Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !
J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux.
Et voilà qu’au cœur de l’Été et de Midi, je te découvre, Terre
promise, du haut d’un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un aigle.
Femme nue, femme obscure !
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui
fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes
du Vent d’Est
Tam-tam sculpté, tam-tam tendu qui grondes sous les doigts du
vainqueur
Ta voix grave de contre-alto est le chant spirituel de l’Aimée.
Femme nue, femme obscure !
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l’athlète,
aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de
ta peau
Délices des jeux de l’esprit, les reflets de l’or rouge sur ta peau qui
se moire
Á l’ombre de la chevelure, s’éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.
Femme nue, femme noire !
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l’éternel
Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les
racines de la vie
[…] »
SENGHOR (Léopold Sédar), Chants d’ombre. 1964, Paris, éditions du Seuil, in Œuvre poétique. , réédition en 2006, 426 pages.
ISBN 978-2020857680