« Un très bon nègre. »
« […] Et voici ceux qui ne se consolent point de n’être pas faits à la ressemblance de Dieu mais du diable, ceux qui considèrent que l’on est nègre comme commis de seconde classe : en attendant mieux et avec possibilité de monter plus haut ; ceux qui battent la chamade devant soi-même, ceux qui vivent dans un cul de basse fosse de soi-même ; ceux qui se drapent de pseudomorphose fière ; ceux qui disent à l’Europe : « Voyez, je sais comme vous faire des courbettes, comme vous présenter mes hommages, en somme je ne suis pas différent de vous ; ne faites pas attention à ma peau noire : c’est le soleil qui m’a brûlé ».
Et il y a le maquereau nègre, l’askari nègre, et tous les zèbres se secouent à leur manière pour faire tomber leurs zébrures en une rosée de lait frais.
Et au milieu de tout cela je dis hurrah ! mon grand-père meurt, je dis hurrah ! la vieille négritude progressivement se cadavérise.
Il n’y a pas à dire : c’était un bon nègre.
(Les Blancs disent que c’était un bon nègre, un vrai bon nègre, le bon nègre à son bon maître.
Je dis hurrah !
C’était un très bon nègre, la misère lui avait blessé la poitrine et dos et on avait fourré dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui qu’on ne prend pas au collet ; qu’il n’avait pas puissance sur son propre destin ; qu’un Seigneur méchant avait de toute éternité écrit des lois…) […] »
CÉSAIRE (Aimé), Cahier d’un retour au pays natal. , Paris, 1936-1939, aux éditions Présence africaine (1983).
ISBN 978-2-7087-0420-6