« Une postulation impatiente de fraternité. »
« […] Il est vrai que la littérature de la négritude a été une littérature de combat, une littérature de choc et c’est là son honneur ; une machine de guerre contre le colonialisme et le racisme et c’est là sa justification. Mais ce n’est là qu’un aspect de la négritude, son aspect négatif. Si nous avons tellement haï le colonialisme, si nous l’avons tellement combattu, c’est sans doute parce que nous avions conscience qu’il nous humiliait, qu’il nous séparait de nous-mêmes et que cette séparation nous était intolérable ; mais c’est aussi parce que nous savions qu’elle nous séparait du monde, qu’elle nous séparait de l’homme, de tous les hommes y compris de l’homme blanc, bref qu’elle nous séparait de notre frère. Autrement dit, le poète de la négritude ne hait tellement le racisme et le colonialisme que parce qu’il a le sentiment que ce sont là des barrières qui empêchent la communication de s’établir.
Bref, si j’avais à définir l’attitude du poète de la négritude, la poésie de la négritude, je ne me laisserais pas désorienter par ses cris, ses revendications, je ne les définirais que comme une postulation, irritée sans doute, une postulation impatiente, mais en tout cas une postulation de la fraternité. […] »
CÉSAIRE (Aimé), Discours sur l’art africain. , Québec, 1973, Presses de l’Université de Laval, volume 6, n°1.