« Se méfiant l’un de l’autre sans aucune raison tangible. »
« […] Tshilombo savourait la musique en sirotant sa bière, installé dans le canapé. Il se retourna. Un nuage de parfum de prix précéda l’entrée de Mme Odia Tshilombo qui venait d’arriver, suivie de Kapinga, sa jeune cousine. Son épouse était vêtue d’un pagne rose éclatant lui moulant les hanches à merveille. Le regard de Tshilombo s’y attarda puis remonta vers le visage et les yeux qui, à chaque fois qu’il les contemplait, déclenchait en lui une surprise agréable, malgré deux décennies de vies commune. Mme Tshilombo était en effet d’une très grande beauté. Grande, mince, des yeux en amande qui avaient toujours la faculté de déstabiliser l’homme. En la regardant, son mari éprouvait toujours une émotion trouble. Un sentiment assez fort, tout de même, pour qu’il puisse le confondre acec de l’amour. Pendant toutes ces années, il s’en était contenté et à chaque fois qu’il doutait de lui, il n’avait qu’à bien la regarder pour que son cœur s’emballe à nouveau. Odia avait su tirer profit de cette situation, car sur le chapitre de la pérennité de l’amour, elle avait un avis depuis longtemps tranché. C’est vrai que lorsqu’ils s’étaient connus, il était plutôt coureur. Bel homme, charmeur, dpté aussi de qualité ne se voyaient que quand il était en érection, Tshilombo plaisait aux femmes. Ayant tout de même affaire à bon parti, elle l’avait épousé, croyant que le bonhomme s’assagirait avec le temps, subjugué par elle. Cela aurait pu être, mais entraîné par une force d’inertie, il avait continué à multiplier les conquêtes. C’étaient elles, les garces, qui faisaient tout pour l’épingler à leur tableau de chasse, se défendait-il très mal. Sa femme était convaincue du contraire et, petit à petit, elle ne crut plus du tout en sa fidélité. Elle ne se priva pas de le lui rappeler à chaque occasion. Elle ne perdit pas de temps non plus. Ils eurent trois enfants très vite. Elle passa les seize premières années à les élever, pour ne pas trop penser aux frasques de son mari. Les enfants étaient grands maintenant et poursuivaient des études à Bruxelles sous la garde de leur frère aîné. La situation au pays étant plus qu’instable, comme tous ceux qui en avaient les moyens, les Tshilombo avaient préféré envoyer leur progéniture loin, sous des cieux plus cléments. Plus tard les activités de Tshilombo dans les services de renseignement l’avaient contraint à plus de retenue. Il s’était lassé des femmes et était devenu plus sérieux. Il lui arrivait de récidiver, mais c’était uniquement par dépit. Parce qu’entre-temps, Odia s’était lancée dans les affaires et se souciait de moins en moins de ce que son conjoint pouvait faire. Ce dernier servait surtout à la soutenir dans ses activités commerciales, en lui procurant des licences et des devises. Le succès aidant, Odia commença à s’adonner de plus en plus à la vie mondaine de la ville. Soirées de gala, fêtes de charité, réunions du Lion’s club, sans compter les dîners officiels auxquels son mari devait participer. Sa beauté en faisait une invitée particulièrement sollicitée. Petit à petit, les enfants étant loin, elle se consacra de plus en plus à elle-même. Tshilombo, un peu dépassé par sa réussite, commença à goûter au fruit amer de la jalousie. Une voix masculine un peu trop grave au téléphone, u voyage pas très clair, et son esprit se mettait en marche, fabriquant de lui-même des scènes suspectes et des images scabreuses. N’étant pas en mesure d’étayer le moindre soupçon contre elle, il se tint coi et se considéra comme un martyr délaissé par sa femme. Entre-temps, Odia lui faisait tellement bien comprendre qu’il n’était qu’un salaud et un fornicateur qu’un sentiment de culpabilité s’insinua en lui, et s’installa. Ce dont elle usa à bon escient. Chaque fois qu’elle avait besoin de quelque chose d’un peu compliqué, elle appuyait dessus et Tshilombo, désarmé, acquiesçait à n’importe quoi, permettant ainsi à son épouse de développer ses affaires de façon considérable. Tshilombo et sa femme partageaient donc leurs vies, au jour le jour, se méfiant l’un de l’autre sans aucune raison tangible. […] »
BOFANE (In Koli Jean), Mathématiques congolaises. , Paris, 2008, aux éditions Actes Sud, série « Aventure » dirigée par Marc de GOUVENAIN, 318 pages, extrait des pages 66 et suivantes.
ISBN 978-2-7427-7457-9