« Être métisse, est-ce avoir la mauvaise ou la bonne couleur de peau ? »
« […] Un week-end sur deux, Dr Kouadio amenait sa famille au village.
Dès que Nina et sa sœur sortaient se promener, une horde d’enfants courait derrière elles en chantant : « Bôfouè, bôfouè ! « , Même sans parler la langue de la région, elles savaient que les gamins les traitaient de « Blanches ». Du coup, elles évitaient de s’aventurer seules. Par la suite, elles apprirent que ce terme s’adressait également à tous ceux qui s’habillaient à l’européenne ou parlaient avec un accent étranger. Maigre consolation, le mal était déjà fait.
Adibjan.
Dispute avec une amie :
« D’ailleurs, toi, tu n’es pas une vraie Africaine ! »
Nina pensa:
Etre métisse, est-ce avoir la mauvaise ou la bonne couleur de peau ? Marcher sur une corde raide. Falsification d’identité. Le miroir se brise. Trouble-fête ?
« Votre arbre généalogique, s’il vous plait ! »
Elle murmura :
« Toute ma vie, j’ai louvoyé, négocié, feinté. J’ai caressé dans le sens du poil, courtisé l’acceptation, attendu la reconnaissance, espéré l’invitation. Toute ma vie, j’ai tenté de faire preuve de bonne volonté, multiplié les efforts pour être entendue. J’ai reformulé mes envies, redirigé mon tir, mis plusieurs cordes à mon arc. Je me suis décarcassée, pliée en quatre, ai mis du miel dans ma bouche, tourné sept fois mes phrases. Finalement, j’ai dansé autour du pot.
Un mensonge à deux, à trois, à plusieurs. Etre multiple, être une. Des deux côtés, à double tour. Aller-retour et marche arrière. La ligne droite n’existe pas.
Que me voulez-vous ? Que dois-je faire pour vous convaincre ? Je suis fatiguée des hauts et des bas qui durent trop longtemps.
Et pourtant, je vois que vous êtes pareils, que les limites sont devenues floues. Je vois bien que mes incertitudes sont aussi les vôtres.
Quand je vous regarde, nous nous reconnaissons. […] »
TADJO (Véronique), Loin de mon père. , 2010, Paris, Acte Sud, Livre II, Chapitre III, pages 126&127.
ISBN 978-2-7427-9127-9