« Ne courbe pas l’échine. »
« […] A côté de la délégation chinoise, chargée de construire des ponts, des routes ou des hôpitaux, il y avait des miliciens cubains et des tortionnaires est-allemands pour améliorer les services de sécurité. Des coopérants français pour assurer l’éducation scolaire rationnelle et promouvoir la francophonie sous l’équateur, des envoyés du Vatican à robe noire, gardiens de l’âme des Africains. Ils soulignaient avec gravité qu’en l’état des choses l’autochtone nécessitait beaucoup de catéchisme et peu de mathématiques, il faut savoir se donner des priorités ! Le pays souverain, indépendant, auquel on avait gracieusement fait cadeau de la liberté, se retrouva dans de bonnes mains. Nous avons d’abord appris à demander, ensuite à réclamer, aujourd’hui nous avons réussi à devenir un vrai peuple mendiant, plaintif, la main toujours tendue. Le ventre vide. Les yeux tristes tournés vers le ciel, puisque le salut vient soit sous la forme d’avions-cargos pleins de médicaments et de denrées alimentaires, soit de la bénédiction céleste.
Pris dans ce brassage des nations, animé par le dynamisme d’individus originaires de contrées si lointaines, ton père fut rapidement mordu par le goût de l’ailleurs et le désir d’aller à son tour apporter sa parole, son histoire, son savoir et ceux des siens chez les autres. C’est aussi pour te faire connaître le monde et ses diversités, te décomplexer à jamais qu’il commença à préparer votre départ pour la France, ivre de bonheur. Le monde vous appartient !
Repose-toi, encore un peu, ne courbe par l’échine… […] »
N’SONDÉ (Wilfried), Le Cœur des enfants léopards. , 2010, Paris, Actes Sud, pages 88&89.
ISBN 978-2-7427-9005-0