ANTHOLOGIE – 2010, Wilfried N’SONDE, Le silence des esprits « J’ai laissé parlé mon coeur. »

« J’ai laissé parler mon cœur. »

             Le train rempli à craquer au départ de Paris par une foule anonyme et informe s’était vidé au fil des arrêts, nous abandonnant à son rythme saccadé, avec pour seul spectacle derrière les vitres les noms illuminés des gares. Elles se suivaient se ressemblaient, peuplées d’ombres aux pas pressés qui se fondaient et disparaissaient dans la nuit de fin d’après-midi. A l’intérieur, la lumière artificielle, blanche, celle qui met tout à nu. Le bleu et le rouge des sièges séparés par un mince couloir, le sol d’un gris terne et sale sur lequel échouaient nos envies et nos mots refoulés.

            En passant près de nous, deux policiers bienveillants saluèrent « M’sieur dame » et continuèrent nonchalamment leur chemin.

            J’avais échappé au contrôle d’identité auquel je m’étais résigné. Je relevai la tête sur le sourire plein de gentillesse de Christelle. Convaincu qu’elle venait, par miracle, de me sauver de la catastrophe, je la dévisageai comme on admire une fée, elle lut dans mon regard une reconnaissance infinie. Surprise par ma réaction, gênée, Christelle se trouva un peu mal sur son siège.  

            Etonnés, nous nous étions retrouvés seuls face à face, si proches dans l’espace, étrangers l’un à l’autre, quelque chose de troublant s’était installé dans le huis clos du wagon, nous restâmes quelques secondes sans voix. Des phrases égarées sous nos langues se taisaient dans nos regards, deux solitudes se cherchaient, s’évitaient et s’épiaient du coin des yeux derrière la barrière de silence.

            J’ai piétiné violemment ce qui me restait de fierté, rassemblé miraculeusement, ici et là en lambeaux de courage pour lui répondre sur un ton mal assuré. Habité subitement par des esprits subtils et délicats, j’ai laissé parler mon cœur.

 Je voulais me rendre à un abri pour sans domicile fixe, je me suis égaré ! Une boule remonta soudainement dans ma gorge et m’étrangla la voix. J’eus toutes les peines du monde à rajouter que je n’avais pas vraiment où aller !

N’SONDÉ (Wilfried), Le silence des esprits. , 2010, Paris, aux éditions Actes Sud, pages 38 et 39.

ISBN 978-2-7427-8925-2

Print Friendly, PDF & Email